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Budget fédéral: des scientifiques à la recherche de fonds fédéraux

Des scientifiques à la recherche de fonds fédéraux

Bien des chercheurs en santé attendent le prochain budget fédéral avec un mélange d'appréhension et d'espoir. L'élection de Justin Trudeau était perçue comme une bouffée d'air frais. Or, un an et demi plus tard, de nombreux scientifiques sont à bout de souffle en raison du manque de financement fédéral.

Un texte de Marie-France Bélanger

Jean-Claude Labbé est chercheur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC), où l’on tente de mieux comprendre le cancer, la plus importante cause de décès du pays. Mais de plus en plus, son travail de recherche prend une tout autre forme. En fait, la moitié de son temps est littéralement consacrée à chercher du financement. « Le travail devient presque un travail de collecte de fonds », dit-il.

Il est inquiet et il n’est pas le seul à l’IRIC, qui compte 29 laboratoires. « La majorité d’entre nous ont vu leurs programmes de recherches fondre. C’est aussi simple que ça », affirme le directeur scientifique de l’établissement, Marc Therrien.

« On se retrouve maintenant dans une situation qui, sans être alarmiste, n’est pas loin d’être catastrophique », dit celui qui, comme plusieurs autres, espérait des changements avec l’arrivée des libéraux. Mais pour l’instant, il attend toujours.

À l’Institut universitaire en santé mentale Douglas (affilié à l’Université McGill), l’heure est grave pour Bruno Giros et Salah El Mestikawy, deux chercheurs de calibre international. Bruno Giros est l’un des spécialistes mondiaux de la schizophrénie. Salah El Mestikawy, lui, tente de comprendre les dépendances et les troubles du comportement.

« Dans quelques semaines, je n’ai plus d’argent. Donc je suis en train progressivement de licencier mon équipe », indique-t-il.

L’équipe de Bruno Giros, elle, est passée de huit à deux personnes, et « peut-être [à] zéro au mois de juin », précise-t-il.

Les instituts de recherche en santé

Pour tous ces chercheurs, les subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sont essentielles. Cet organisme fédéral constitue la plus importante source de financement pour la recherche en santé en milieu universitaire.

Or, depuis 10 ans, son budget annuel d’environ un milliard de dollars n’a pas bougé. En revanche, le nombre de chercheurs qui demandent du financement a bondi de 60 %.

Selon l’organisme, c’est l’une des raisons pour lesquelles le taux de réussite, soit les chances d’obtenir du financement, a diminué. Il est passé de 26 % en 2005-2006 à un peu plus de 14 % en 2014-2015.

La situation, qui est loin de s’améliorer, s’annonce encore plus difficile, prévient Marc Therrien. Il précise que les taux de succès du prochain concours oscilleront entre 8 et 10 %. « Vous comprenez que pour en avoir une [subvention], il faut en soumettre 10. Ce n’est humainement pas possible », dit-il.

Selon le chercheur, une seule demande de subvention aux IRSC peut prendre de deux à quatre semaines de travail à temps plein.

Pour Yves Gingras, professeur à l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences, les orientations du gouvernement Harper sont aussi en cause.

Il évoque la concentration des fonds auprès d’un plus petit nombre de chercheurs, soit ceux qui sont jugés les plus performants, et l’augmentation de la proportion des subventions attribuées à la recherche appliquée, qui vise à trouver des solutions pratiques à des problèmes concrets. Deux autres facteurs, qui, à son avis, ont contribué à réduire les chances de décrocher du financement.

Vers un appauvrissement de la recherche fondamentale

Dans un tel contexte, Jean-Claude Labbé craint un appauvrissement de la recherche fondamentale — qui vise à comprendre les phénomènes et à accroître les connaissances dans un domaine sans applications pratiques immédiates —, pourtant essentielle. Il cite d’ailleurs en exemple le cas du microbiologiste canadien Gary Kobinger, qui a mis au point le vaccin contre le virus Ebola.

« Pour que le docteur Kobinger puisse faire ça, ça demande 100 ans de recherche », souligne-t-il. Il ajoute que la mise au point d’un tel vaccin s’appuie, en amont, sur le travail de milliers de chercheurs qui ont d’abord tenté de comprendre les bases de l’immunologie dans le corps humain.

Plaidoyer pour des investissements en recherche

L’Association francophone pour le savoir (Acfas), dont le mandat est de promouvoir la recherche et l’innovation, plaide pour un réinvestissement du gouvernement pour l’ensemble des domaines de recherche.

« La Corée du Sud, Israël et de pays européens ont tous augmenté leur financement public de la recherche », explique le président de l’Acfas, Frédéric Bouchard.

À son avis, le moment est bien choisi pour agir. « Il y a des chercheurs qui, auparavant, seraient peut-être allés travailler aux États-Unis, ou peut-être au Royaume-Uni, et qui maintenant vont chercher des terres plus hospitalières pour faire leurs recherches. Si on a le financement, on peut attirer un calibre de talent ici, qui ne serait pas venu autrement », dit-il.

La position d’Ottawa

Ottawa se dit déterminé à soutenir la recherche et rappelle qu’il a commandé un rapport indépendant sur le financement fédéral des sciences fondamentales, qui sera déposé sous peu.

Le Québec, qui finance aussi la recherche, a lancé ses propres consultations.

Le président de l’Acfas se dit optimiste compte tenu des démarches des gouvernements fédéral et provincial. Il attend avec impatience le budget fédéral pour connaître les intentions du gouvernement.

Pour Jean-Claude Labbé, c’est aussi l’avenir de la relève qui est en jeu. À son avis, beaucoup de doctorants ou post-doctorants finissent par se demander s’ils ont vraiment envie de faire carrière comme chercheur, vu le temps nécessaire pour trouver des fonds.

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