Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Émilie Bordeleau, inspirante figure féminine

Émilie Bordeleau, inspirante figure féminine

Émilie Bordeleau, emblème féministe avant l’heure? Le mythique personnage, qui a suivi sa vocation d’enseignante, a donné naissance à dix enfants, a quitté son mari, est retournée dans son village d’adoption pour prendre sa marmaille en charge et a repris l’ardoise et la craie après sa séparation, ses plus jeunes marmots encore sous ses jupes, peut certainement être considéré comme une inspirante figure féminine, encore aujourd’hui.

Qu’est-ce qui était vrai, qu’est-ce qui était faux dans l’histoire d’Émilie Bordeleau et sa descendance, brodée dans trois romans (Le chant du coq, Le cri de l’oie blancheet L’abandon de la mésange) par l’auteure Arlette Cousture et dépeinte dans une série télévisée en deux volets (Les filles de Caleb et Blanche) vue dans une cinquantaine de pays et devenue un point de référence de la télévision québécoise? Arlette Cousture travaille encore à le démystifier, 30 ans après la parution du premier bouquin de sa trilogie.

La dame le répète : ses propres ancêtres ont été des muses, elle a emprunté aux souvenirs de sa famille pour créer l’univers devenu si précieux aux yeux des Québécois des Filles de Caleb, mais son arbre généalogique lui a simplement servi de squelette. Elle n’a jamais soutenu ni prétendu avoir rédigé une biographie des siens.

«Ce n’est pas leur vie, insiste Arlette Cousture. Je suis partie du squelette de la famille, mais un squelette, ça ne parle pas, ça n’a pas d’émotions. C’est moi qui ai été obligée d’inventer les muscles, les nerfs, le cœur, les émotions. Il a fallu que je travaille fort pour tout romancer. Parce que je n’avais personne qui n’avait survécu au 19siècle pour me parler! Il fallait que je les invente. C’est la beauté de la chose. Je me dis que, dans le fond, j’ai écrit un peu de la tradition orale…»

Madame Cousture cite en exemple le retour d’Émilie Bordeleau à Saint-Tite après sa désertion du nid familial de Shawinigan, sa progéniture à sa suite. Il est véridique qu’Émilie avait regagné le patelin où elle avait été institutrice, connu son Ovila et accouché de ses enfants, alors qu’elle-même était native de Saint-Stanislas. Mais pourquoi revenir s’établir à Saint-Tite, plutôt que dans le village qui l’avait vue naître, elle? Dans le roman, il est bien mentionné que Saint-Tite fut, dans l’âme d’Émilie, le «seul endroit au monde où elle pouvait respirer» (Le cri de l’oie blanche, p.24). Mais ce sont là des sentiments, des intentions qu’Arlette Cousture a imaginés, prêtés à son héroïne. Étaient-ils réels?

«C’est toujours mystérieux, je n’ai pas de réponse», indique cette dernière.

Ou encore, le personnage d’Elzéar Veillette, ennemi juré de Caleb, qu’Arlette Cousture a créé de tous membres et baptisé ainsi en fouillant dans son patrimoine familial, en jumelant le prénom et le nom de ses deux grands-pères. Quelle ne fut pas la surprise de l’écrivaine, lors d’une conférence donnée à Saint-Stanislas, il y a plusieurs années, quand on lui a signalé qu’un Elzéar Veillette avait véritablement vécu à deux pas de chez Caleb Bordeleau, à l’époque! C’est dire à quel point Arlette Cousture ignore elle-même l’authenticité de quantité de faits et d’éléments contenus dans sa saga historique, l’une de celles qui a le mieux illustré les coutumes et racines des Québécois.

«C’est un hasard extraordinaire, pensez-y : que je trouve un nom au hasard, Elzéar Veillette, et qu’il y ait effectivement eu un maquignon, deuxième voisin de Caleb Bordeleau, qui s’appelait Elzéar Veillette. Ça veut dire que c’est plus vrai que vrai, les Filles de Caleb», résume la «mère» de l’œuvre.

Émilie sur scène

Or, qu’il soit vérifiable ou pas, le récit des Filles de Caleb vit encore aujourd’hui. À l’automne, Arlette Cousture lançait Chère Arlette, un recueil de lettres immortalisées de sa plume, lui étant toutes adressées, de la part des protagonistes qu’elle a laissés aller il y a trois décennies.

Émilie Bordeleau, Ovila Pronovost, Blanche Pronovost, Henri Douville, Napoléon Frigon, Charlotte Beaumier, Marie-Louise Larouche, Élise Lauzé, Côme Vandersmissen et Eugénie, l’autre grand-maman d’Arlette Cousture, et mère de Clovis (ou Clovis-Émile), qui n’est pas dans la galerie de rôles qu’on connaît des Filles de Caleb, lui parlent dans leurs propres mots, en toute sincérité.

Bilans, regards derrière, rectificatifs, précisions, remontrances ou assentiments des personnages à l’égard de celle qui les a fait connaître, les principaux piliers des Filles de Caleb ont la parole et disent à Arlette Cousture, forts du recul des années, ce qu’ils ne pouvaient exprimer dans leur première incarnation sur papier. Ça et là, on comprend qu’Arlette Cousture s’est permis des libertés dans ses livres, et ailleurs, qu’elle a omis d’autres éléments réels et significatifs.

Les inconditionnels de la trilogie d’origine relèveront dans Chère Arlette quelques anachronismes ou non-concordances. Par exemple, le couple de l’inspecteur Henri Douville et Antoinette, présenté comme asexuel dans Chère Arlette, mène pourtant une vie unie et princière avec trois enfants dans Le cri de l’oie blanche (p.144).

«Mais c’est dans le livre que je m’étais trompée», note Arlette Cousture, lorsqu’on lui fait remarquer le décalage.

L’auteure dit s’être replongée uniquement dans le dernier tome de son coffret avant de cogiter les missives de ses personnages, lesquelles sont une offrande de sa part à ses lecteurs pour souligner les 30 ans des Filles de Caleb. Jamais Arlette Cousture n’a eu l’intention d’écrire une autre brique de sa fresque, mais n’exclut pas queL’abandon de la mésange puisse aussi devenir une série télévisée, comme Le chant du coq et Le cri de l’oie blanche.

«Ça se parle», se borne-t-elle à révéler, sans ajouter de détail.

Puis, preuve de la pertinence toujours actuelle du parcours d’Émilie Bordeleau, celle-ci prendra part, sous les traits de la comédienne Fanny Mallette, au troisième spectacle Femmes ensemble, présenté ce mercredi, 8 mars, à l’Étoile DIX30 de Brossard, à l’occasion de la Journée internationale des femmes.

Dans un monologue signé Arlette Cousture, celle qu’Ovila surnommait sa «belle brume», la passionnée femme de caractère d’abord incarnée par Marina Orsini à l’écran, l’indomptable et fougueuse pédagogue, amoureuse autant des livres que de son homme, déclamera aux filles de 2017 le chemin parcouru et ce qu’elle pense du sort de ses semblables à l’heure des guerres féministes… sur les réseaux sociaux.

À n’en pas douter, si elle vivait toujours en 2017, Émilie Bordeleau aurait bien des choses à dire.

«C’était exceptionnel qu’Émilie continue de travailler après sa séparation, remarque Arlette Cousture. Car la loi disait qu’une fois mariée, elle ne pouvait plus enseigner. Il faut remettre ça dans le contexte, on recule de 100 ans, et elle était séparée! Elle devait prendre sa famille en charge. Mais elle avait des anges gardiens, comme le curé Grenier.»

Le spectacle Femmes ensemble avec, entre autres, la Ministre responsable de la condition féminine, Lise Thériault, Arlette Cousture, Fanny Mallette, Marie-Claude Barrette, Brigitte Lafleur, Ima, Marie-Pier Perreault, France Gauthier et plusieurs autres, et animé par Marie-Lise Pilote, est présenté une seule fois, mercredi, à l’Étoile DIX30 de Brossard.

Le roman Chère Arlette, d’Arlette Cousture, est toujours en vente.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.