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Parent transgenre : «pour eux autres, j'ai toujours été leur papa»

Parent transgenre : «pour eux autres, j'ai toujours été leur papa»
Radio-Canada/Lévy Marquis

Il y a quatre ans, Eve Jutras a entamé sa transition vers son corps de femme. L'aboutissement d'une quête pour cette quinquagénaire qui toute sa vie dit avoir contemplé le suicide, parce qu'elle sentait qu'elle ne « cadrait » pas bien, que la société la faisait se sentir déviante. Avec deux enfants issues de sa précédente vie d'homme, elle a dû affronter sa crainte de voir ces derniers la rejeter.

Un texte d'André Dalencour pour Les Malins

Les deux filles d’Eve avaient 16 et 18 ans quand elle a décidé d’entamer sa transition. « L’une finissait le secondaire et l’autre était déjà au cégep », se rappelle-t-elle.

Cela faisait déjà 15 ans qu'Eve était séparée de leur mère. Cette dernière avait déménagé dans une autre ville et les adolescentes étaient restées avec leur papa. Si certains organisent de grandes réunions de famille une fois que leur transition est mûrement réfléchie, Eve a opté pour une approche différente.

« J’ai préféré leur parler séparément, une à la fois. J’ai commencé par la plus vieille, puis elle l’a très bien pris. Même qu’elle a dit : "On t’a toujours vu avec des longs foulards tout ça" », souffle-t-elle. « J’ai souvent porté des choses un petit peu entre les deux, c’est ce qui fait que parfois les gens pensaient que j’étais gaie. »

«J’ai fait ça très graduellement. Les enfants l’ont su en premier, mais au travail, il s’est passé un an avant que je fasse la transition.» - Eve Jutras

Eve a ensuite annoncé sa décision à sa deuxième fille quelques jours après. Mais, il s’est passé plusieurs mois avant sa transformation effective, parce qu'elle ne voulait pas brusquer les choses et déstabiliser son entourage en allant trop vite.

« Donc il faut que tu solidifies [tes relations] dans ton environnement avant de tout changer d’un coup sec, parce que si tu as des gens qui se retournent contre toi d’un bord et de l’autre, tu te retrouves seule. Puis c’est là que tu t’affaiblis à cause des jugements qui sont trop forts », souligne-t-elle.

Quand papa devient une femme

Comme beaucoup de personne qui décide de changer de genre, Eve avait beaucoup de questions et de craintes, mais elle souligne que la plupart ne se sont pas concrétisées.

Elle s'était bien préparée en allant chercher du soutien psychologique et elle avait préparé des stratégies afin que son choix ne pèse pas sur ses filles.

Par exemple, si elles se retrouvaient toutes ensemble dans un contexte social, ses filles pouvaient la faire passer pour une amie de la famille et même de lui choisir un autre prénom féminin. Elle ne les a pas forcées non plus à l’appeler maman.

«Je ne suis pas devenu une maman soudainement. C’est seulement des noms. D’abord que tout le monde est à l’aise avec ça, moi, il n’y a pas de problème.» - Eve Jutras

« Pour eux autres, j’ai toujours été leur papa. Ça serait un peu bizarre de se mettre à appeler leur père "maman" », explique-t-elle. « Les anciens psychologues forçaient les personnes trans à se faire appeler maman [parce qu’assez souvent] c’était des hommes qui devenaient des femmes. […] Ça cause des conflits ou des problèmes. C’est pour ça que je leur ai offert de m’appeler même par un autre nom, que papa et maman. »

Tout ne fut pas rose pour autant, surtout la période d’entre-deux, quand sa voix oscillait entre un timbre grave et plus haut perché. Eve admet que sa cadette a eu de la difficulté à gérer ce passage d’un genre à l’autre.

Ses enfants, sa fierté

Eve fait valoir avec fierté qu’elle n’a pas eu besoin « d’armer » ses filles pour qu’elles sachent se protéger vis-à-vis des opinions des autres.

« Une de mes filles m’a dit que leur mère avait mentionné quelque chose de négatif par rapport à moi, puis la façon dont ma fille lui a dit… Elle lui a dit que pour elle, c’était normal que j’aie fait ça.

Elle était déjà équipée à savoir comment "dealer" même avec l’opinion de sa mère », raconte-t-elle, sans chercher à accabler son ancienne conjointe au passage. « C’est normal, assez souvent les conjoints ou les conjointes d’une personne trans ont plus de difficulté que les gens en général. »

«Je trouve que cela a apporté quelque chose dans leur vie, puis elles, elles apportent quelque chose dans ma vie, donc ça vient apporter du plus.» - Eve Jutras

Elle se plaît aussi à rappeler comment elle en est venue à effectuer des interventions dans un cégep après que sa fille a confié à son professeur que son père était transgenre.

« Je pense qu’elle a tellement donné un message positif par rapport à son père et sa relation avec son père que le professeur lui a demandé si je serais intéressée à aller [faire des présentations] dans les cours », s’enorgueillit-elle.

3 questions sur la transparentalité auxquelles Eve est parfois confrontée

1- Comment est-ce que c'est que d'avoir des enfants lorsque l'on est parent transgenre?

Réponse: C'est comme tous les autres parents : faire à manger, corriger les devoirs, bien les élever, les consoler et leur donner beaucoup, beaucoup, beaucoup d'amour!

2- C'est normal d'avoir des enfants lorsque l'on est transgenre?

Réponse: Il y a bien des enfants sans parents. Des enfants avec un seul parent. Des enfants qui sont adopté(e)s. Des enfants qui ont deux parents du même sexe (gaie ou lesbienne). Et même des enfants qui ont quatre parents (dont la mère et le père sont en couple avec quelqu'un d'autre). Il n'y a aucun mal à cela... Il y a pourtant bien des parents hétéros cisgenres qui sont de très mauvais parents! C'est quoi avoir une famille normale?

3- Pourquoi les personnes transgenres ne se font pas stériliser avant de faire leur transition?

Réponse: Il y a bien des gens qui ne peuvent pas avoir d'enfants et on leur permet d'en faire l'adoption. Et que faites-vous de ceux qui ont eu des enfants avant leur transition? Les enfants de parents trans ont beaucoup moins de jugements que les enfants de parents cisgenres.

Cisgenre : Se dit d'une personne dont l’identité de genre correspond à l'expression de genre. Par extension, le cissexisme est un système de pensée institutionnalisé faisant de la cissexualité, c’est-à-dire la correspondance entre l’identité de genre d’une personne et son sexe biologique, la norme unique à suivre en matière d’identité de genre.

Source : Chambre de commerce LGBT du Québec

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