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«Le Plongeur» de Stéphane Larue: la surprise littéraire de la saison (ENTREVUE)

«Le Plongeur» de Stéphane Larue: la surprise littéraire de la saison
Justine Latour

Jeune homme à la dérive, joueur compulsif et artiste en train d’engouffrer son talent dans le trou noir de son existence, le narrateur découvre les coulisses d’un restaurant, le jour où il fait ses débuts comme plongeur. Si l’univers du premier roman de Stéphane Larue peut sembler banal de prime abord, quelques pages suffisent pour y découvrir un monde fascinant où sévissent les excès de drogues, d’alcool, d’odeurs nauséabondes et d’adrénaline, où le lecteur se surprend à s’en faire autant pour le sort du personnage principal que pour sa capacité à s’acquitter de ses corvées à temps!

Pourquoi vouloir faire découvrir l’envers du décor de la restauration?

J’aime la fiction qui raconte les mondes isolés, codés, interlopes, ou les mondes qui intensifient les rapports humains. […]Raconter le travail, c’est la meilleure façon d’entrer dans un monde fictionnel et d’aller au cœur de ce qui occupe les humains. […]Raconter le travail du plongeur m’a permis d’emmener le lecteur dans un endroit sous haute tension et d’évoquer des personnages immenses. On les découvre en action, pris dans une hiérarchie, des amitiés, des conflits et des histoires dont on ne saura pas tout. Plus simplement, ça m’a permis de raconter une période charnière de ma vie. J’avais assez de recul pour qu’elle m’apparaisse avec une certaine netteté, et non plus dans un chaos informe.

L’expérience a-t-elle été thérapeutique ou elle a rouvert des blessures?

Au moment du premier jet, ça m’a fait revivre une période de ma vie très houleuse, et les vieilles hantises sont revenues. Je vais rester un joueur toute ma vie et je vais toujours devoir vivre avec le spectre de la dépendance. Ça, c’est certain. Mais je suis capable d’en parler sans replonger. À mesure que je retravaillais et réécrivais, ça s’éloignait de moi, ça perdait son caractère privé, ça devenait un objet littéraire à part entière. Ça commençait à apparaître comme quelque chose qui pourrait vivre dans la tête des autres.

D’où vient chez vous cet amour des détails et de la description?

Une de mes grandes préoccupations en écrivant, c’était de restituer l’expérience vécue. […]Pour que ça marche, il fallait que les lecteurs vivent une sorte d’immersion. Il fallait éprouver les lieux, l’espace, les corps, les sons, les odeurs, les façons précises de bouger et de parler, la sensation des choses, du temps, de l’adrénaline, de l’époque. Je voulais qu’à la lecture on se sente habiter, vivre, travailler dans ce monde-là. Je parle d’un milieu que peu de gens connaissent de l’intérieur, mais dans lequel toute une communauté de travailleurs évolue. C’était essentiel pour moi de rendre cet univers avec le plus de justesse possible.

Diriez-vous que Bébert est une sorte de figure paternelle pour le narrateur et que ses autres collègues forment une forme de fratrie?

Figure paternelle, mentor, grand frère, mauvaise influence, coup de pied au cul, ange gardien. Bébert est un peu tout ça. Il est un mentor trop jeune pour avoir la sagesse, mais déjà magané par la vie et le travail. Tout le monde qui a commencé jeune en restauration connaît un Bébert. Et c’est vrai qu’en cuisine, le sentiment de faire partie d’une fratrie apparaît très vite. Vivre des rushs soir après soir, ça éveille quelque chose d’intense entre les gens, ça tisse des liens forts. On fait partie d’une équipe où tout le monde dépend de tout le monde. La dynamique ressemble beaucoup à celle d’une famille, mais une famille dysfonctionnelle, qui change souvent. Les rapports qui se développent entre les membres d’une brigade ont quelque chose de très vrai et de très tortueux à la fois. Sous l’effet du stress, on va se dire des choses horribles, et après le rush on va vivre des moments d’amitié très puissants. C’est une façon de vivre, une façon d’être ensemble.

Il a l’impression que tout le monde a une vie meilleure que la sienne, mais il ne semble pas s’apitoyer sur son sort. Pourquoi?

Il n’est pas une victime, pas plus qu’il se visualise en victime. Il est aux prises avec un problème qui le dépasse, qu’il refuse de reconnaître et qui teinte ses relations. Pendant un bout, il pense qu’il n’a pas de problème. Il a seulement des dettes et il cherche le moyen de les rembourser. Ce qu’il vit, c’est le quotidien du joueur. Quand il a de l’argent, il le joue. Quand il n’en a plus, il angoisse : tant qu’il n’en retrouvera pas, il ne pourra plus jouer. S’il y a des victimes, c’est du côté des proches du joueur. Sauf que c’est aussi du côté des proches que se trouvent, dans le cas du plongeur, le salut et la guérison. Il est très bien entouré. Il n’est jamais laissé à lui-même. C’est à ses proches qu’il cache ses problèmes, mais c’est aussi grâce à eux qu’il arrive à s’en sortir.

Le Plongeur est votre roman. Quelle est la place de l’écriture dans votre vie?

J’ai commencé en lisant des comics books et des bandes dessinées, puis des romans de science-fiction et d’horreur. C’est surtout par ces lectures-là que mon imaginaire littéraire s’est façonné. J’écrivais des histoires inspirées par ces univers-là, j’imitais, j’essayais toutes sortes de choses. Puis, dans la vingtaine, mes lectures se sont diversifiées et j’en suis venu, un peu tardivement, à faire des études en littérature. Ce qu’il y a de bien avec les études littéraires, c’est que ça nous met entre les mains des livres qu’on n’aurait peut-être jamais lus. Ça nous met aussi en contact avec des lecteurs exigeants. On entre dans une communauté où l’on se met à partager, à échanger, à apprendre. C’est très formateur pour l’écriture. Ça l’a été pour moi, en tout cas. Ensuite il faut pouvoir aménager l’écriture dans sa vie. Pour ma part, j’ai un emploi qui me permet d’écrire tous les jours, et ma vie est organisée autour de ça. Il faut que je puisse écrire le plus régulièrement possible. Je fais peu ou pas de compromis là-dessus. C’est la seule manière de faire surgir les histoires que je porte en moi.

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