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Les «vraies» raisons de l'élection de Donald Trump

Données scientifiques à l'appui, une politologue américaine affirme que les hypothèses les plus répandues ne sont pas forcément les bonnes.
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Combien d'experts ont tenté d'expliquer les victoires inattendues de Donald Trump à la primaire républicaine et à l'élection présidentielle? Données scientifiques à l'appui, une politologue américaine affirme que les hypothèses les plus répandues ne sont pas forcément les bonnes.

Un texte d’Alexandre Duval

La proactivité de Donald Trump sur Twitter n’aurait pas été un facteur important dans sa victoire. Même chose pour les fameux courriels d'Hillary Clinton, les pertes d’emploi dans le secteur manufacturier ou la peur du terrorisme vécue par les Américains.

Autrement dit, des explications évoquées dans les médias ne colleraient pas à la réalité. C’est à tout le moins ce qu’a découvert Diana Mutz en analysant les premières données tirées d’enquêtes scientifiques menées depuis l’élection de Donald Trump.

La professeure de l’Université de la Pennsylvanie sera de passage à Québec, mardi prochain, pour y livrer ses premières conclusions. « C’est vraiment un premier coup d’œil à des échantillons d’électeurs représentatifs des États-Unis qui ont été interviewés en 2012 […] et en 2016 », précise Mme Mutz.

Ces données de panels lui ont permis de connaître tout changement, entre autres dans les situations familiale, financière et professionnelle des électeurs. Elles lui ont permis aussi – et surtout – de mesurer l’évolution de l’opinion des Américains et donc de voir ce qui a pu entraîner la victoire de Donald Trump.

Mythe numéro 1 : la précarité financière des individus

« L’explication la plus populaire dans les médias […] est cette idée que la précarité financière des gens et le déclin des manufactures aux États-Unis ont amené les gens à soutenir Trump », lance la politologue.

Or, Mme Mutz n’a relevé aucune preuve de cette hypothèse. « Même s’il est vrai que les gens les moins éduqués soutenaient davantage Trump, ce n’est pas parce qu’ils perdaient leur emploi ou parce qu’ils avaient moins de revenus », indique-t-elle.

Oui, les États de la « ceinture de la rouille » (rust belt) ont soutenu Trump. Mais les données analysées par Mme Mutz indiquent plutôt que c’est parce qu’ils avaient l’impression d’être collectivement menacés par la mondialisation qu’ils ont choisi Trump et ses idées protectionnistes.

La politologue indique que des Américains ont en effet développé le sentiment que les échanges commerciaux ne se faisaient plus à l’avantage de leur pays; ils croient que les États-Unis sont en passe de perdre leur statut de pôle économique de la planète.

«C’était un enjeu vraiment important dans le choix de vote des électeurs.» - Diana Mutz

Mythe numéro 2 : le mépris des élites

Beaucoup d’experts ont laissé entendre que Donald Trump a fait des gains grâce au sentiment anti-élites d’une bonne partie de la population américaine. Une hypothèse contredite par les données d’enquête électorale, affirme Mme Mutz.

L’explication voulant que « Trump est monsieur-tout-le-monde […] et que tout le système est corrompu n’a eu, au mieux, qu’un effet minime », dit-elle.

Son analyse démontre que ce sentiment anti-élites était très présent chez les électeurs qui avaient des attitudes raciales négatives. Ce sont plutôt ces attitudes négatives – principalement chez les hommes blancs – qui ont été déterminantes, dit Mme Mutz.

La politologue indique que la présidence de Barack Obama – un homme noir – a pu cristalliser ces attitudes raciales négatives et favoriser le soutien envers Donald Trump.

Étonnamment, Mme Mutz dit que les données ne démontrent aucune hausse du sentiment raciste entre 2012 et 2016. Or, le discours de Donald Trump serait parvenu à éveiller cette voix qui hésitait peut-être plus à s’exprimer auparavant.

«Ce n’est pas que les gens ont changé. C’est que cette fois, il y avait un candidat qui était ouvertement le véhicule de leur opinion.» - Diana Mutz

Mythe numéro 3 : les courriels d’Hillary Clinton

À moins de deux semaines du vote, le FBI a annoncé qu’il enquêtait à nouveau sur les fameux courriels d'Hillary Clinton. Dans plusieurs médias, des experts se sont prononcés sur l’impact potentiellement explosif de cette nouvelle.

Quelques jours après sa défaite, Hillary Clinton elle-même disait que cette annonce du FBI avait freiné sa course. Ce qui n'est ni complètement faux, ni complètement vrai, selon Mme Mutz.

« On sait, avec des données de panels, qu’il y a un petit effet sur la réouverture de l’enquête sur les courriels d'Hillary Clinton par le FBI. Mais c’est tout petit; on ne parle pas d’un gros effet, ici. »

Mme Mutz rappelle qu'Hillary Clinton a largement remporté le vote populaire même si elle a perdu au chapitre des grands électeurs, signe qu’elle n’a pas subi de désaffection généralisée.

Au contraire, dit la politologue, les données démontrent que relativement peu de gens ont changé de camp durant toute l’année précédant le vote.

«Il y a eu très peu de changement entre janvier et la fin de l’élection par rapport au candidat que les gens soutenaient.» - Diana Mutz

Mythe numéro 4 : la peur du terrorisme

Donald Trump n’a pas fait campagne qu’en promettant un mur à la frontière avec le Mexique. Il avait aussi parlé d’empêcher les musulmans d’entrer aux États-Unis.

Dans les premiers jours suivant son arrivée au pouvoir, il a signé un décret empêchant aux ressortissants de sept pays de toucher le sol américain. Depuis, son décret a été suspendu par la justice, mais il compte en signer un autre. Sa principale motivation? La sécurité.

Pourtant, indique Mme Mutz, la peur du terrorisme n’a pas augmenté entre 2012 et 2016. Il n’y a aucune preuve scientifique, dit-elle, que cette question a changé le choix de vote de quelque électeur que ce soit.

La politologue rappelle que l’identité partisane des Américains est encore le facteur qui explique le mieux leur choix de vote, peu importe les candidats en lice.

«Ça ne change pas beaucoup d’une année à l’autre et, en fait, c’est le meilleur facteur de prédiction du vote pour la dernière élection aussi.» - Diana Mutz

Mme Mutz estime donc que Donald Trump pourrait abandonner complètement sa promesse de fermer la frontière aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane et qu’il n’en souffrirait probablement pas dans les sondages.

Les conséquences des analyses à chaud

Même si les premières données d’enquête électorale contredisent certaines analyses faites dans les derniers mois, Mme Mutz ne blâme pas les experts et les chroniqueurs pour autant. Il y a une forte demande pour des analyses à chaud, dit-elle.

Sans être fausses, ces analyses prennent souvent en considération un seul facteur, tandis que les études scientifiques sur le sujet parviennent à faire des analyses à plusieurs variables.

Le hic, selon la chercheuse, c’est que les politiciens peuvent instrumentaliser les explications à chaud.

« Il y a un gros effort fait par les politiciens pour véhiculer ces explications parce qu’ils veulent un mandat pour faire certaines choses. Ils veulent pouvoir dire au Congrès : "Le peuple veut ça, alors vous feriez bien de ne pas m’en empêcher!" », illustre-t-elle.

La professeure Diana Mutz donnera sa conférence de 11 h 45 à 13 h le mardi 21 février au local 3470 du pavillon de Koninck, à l’Université Laval.

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