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Conduire sous l'influence du cannabis: qu'en dit la science?

Conduire sous l'influence du cannabis: qu'en dit la science?
Close up of hipster man smoking weed cigarette.
BraunS via Getty Images
Close up of hipster man smoking weed cigarette.

La légalisation du cannabis est imminente au Canada, mais les effets de cette drogue au volant ne sont pas toujours bien connus. À quel point le cannabis nuit-il aux facultés de conduite? Quelle devrait être la limite permise? Et surtout, comment débusquer les conducteurs intoxiqués?

Un texte de Bouchra Ouatik, de Découverte

Le cannabis est prisé pour son effet euphorisant et relaxant, mais la molécule responsable de ces sensations – le tétrahydrocannabinol ou THC – affaiblit aussi des facultés cognitives, soit la concentration, l’attention, la mémoire, la coordination et la perception du temps.

Ces facultés sont toutes essentielles à la conduite automobile. Plus la concentration de THC est élevée, plus ces effets seront importants.

Des recherches démontrent que la concentration de THC dans le cannabis a doublé depuis les 30 dernières années. La marijuana, soit les fleurs séchées de cannabis, contient aujourd’hui en moyenne 15 % de THC, tandis que le haschisch — soit la résine provenant des fleurs — en contient environ 30 %. Certains produits plus concentrés peuvent même contenir jusqu’à 90 % de THC.

Par contre, un autre cannabinoïde connu sous le nom de cannabidiol, ou CBD, a la propriété d’atténuer les effets du THC. En raison de ses propriétés anti-inflammatoires, il se retrouve en concentration élevée dans le cannabis médicinal. Mais comme il ne procure pas d’euphorie, on en trouve rarement dans le cannabis récréatif.

Une conduite au ralenti

Les Pays-Bas ont une longue expérience avec le cannabis au volant. La substance n’y est pas officiellement légale, par contre sa consommation est tolérée depuis plus de 40 ans.

À l’Université de Maastricht, le psychopharmacologue Johannes Ramaekers étudie la conduite avec les facultés affaiblies depuis plus de 30 ans.

Dans le cadre de ses recherches, les participants consomment du cannabis ou de l’alcool, ou les deux à la fois, avant d’effectuer un test de conduite sur une autoroute, dans des conditions réelles. Un instructeur de conduite, assis du côté passager, est prêt à freiner en cas d’urgence.

Tout au long du test, une caméra installée sur le toit enregistre la position de la voiture par rapport à la ligne blanche au centre de la route. « Cela nous permet de calculer la déviation de la voiture sur une période de temps donnée, explique Johannes Ramaekers. Ce mouvement est une bonne indication du niveau de contrôle que le conducteur a sur son véhicule pendant un long trajet. »

Les participants sont également soumis à des tests informatisés en laboratoire pour mesurer certaines facultés cognitives, comme leur attention, leur prise de décision et leur impulsivité.

Le constat de Johannes Ramaekers : l’effet du cannabis sur la conduite automobile est différent de l’effet de l’alcool. « Les deux substances nuisent à la performance au volant et aux facultés telles que l’attention, le contrôle moteur et la prise de décision. Mais l’alcool augmente aussi la prise de risque. Je crois que c’est pour cela que les gens prennent le volant même lorsqu’ils sont complètement ivres. Ils sont prêts à prendre ce risque. Ils perdent leurs inhibitions. »

Sous l’effet du cannabis, au contraire, les conducteurs sont conscients de leurs limites, ils conduisent plus lentement, et ils tentent d’être plus prudents. Mais cela ne les rend pas moins dangereux, insiste le psychopharmacologue.

«Un des plus grands mythes à ce sujet est que les conducteurs sous l’effet du cannabis ne sont pas dangereux sur la route, car ils savent que leurs facultés sont affaiblies et ils s’adaptent. C’est vrai qu’ils sont conscients de leur état et qu’ils essaient de compenser, mais ils échouent. Ils demeurent intoxiqués.» - Johannes Ramaekers, psychopharmacologue, Université de Maastricht

Les conducteurs qui ont consommé du cannabis réagissent plus lentement en cas d’imprévu et sont moins attentifs à leur environnement. Ils ont aussi plus de difficulté à rouler en ligne droite que les conducteurs qui ont consommé de l’alcool.

Les tests de salive à l’étude

Plusieurs pays européens, dont la Belgique, utilisent des tests de salive pour détecter la présence de THC chez les conducteurs. Le plus populaire d’entre eux est le DrugWipe, de la compagnie allemande Securetec. Il permet aux policiers de recueillir un échantillon de salive, au moyen d’une languette, et au bout de quelques minutes, une ligne rouge apparaît si le résultat est positif.

Le médecin Alain Verstraete, chercheur à l’Université de Gand en Belgique, a mené des études sur l’efficacité de ces instruments. « Le grand avantage de ce dispositif, c’est que la prise d’échantillons se fait très, très rapidement. Et c’est pour ça que la police aime bien utiliser ce dispositif », souligne-t-il.

Le Canada évalue présentement l’efficacité du DrugWipe, ainsi que d'un dispositif de la compagnie Alere, qui fonctionne selon un principe similaire.

Comment connaître le niveau d’intoxication?

Le niveau d’intoxication d’un conducteur dépend de la quantité de drogue ou d’alcool dans son cerveau.

Pour l’alcool, la détection est simple. « L’alcool est une molécule qui est soluble dans l’eau, explique le Dr Verstraete. Elle va se diffuser dans toute l’eau qu’il y a dans l’organisme, donc ce sera une distribution uniforme dans tout le corps. »

Pour cette raison, en mesurant la concentration d’alcool dans l’haleine à l’aide d’un éthylomètre, on peut en déduire la concentration d’alcool dans le sang, et par le fait même, dans le cerveau.

La détection de THC est beaucoup plus complexe que celle de l’alcool. Les tests de salive indiquent si la substance a été consommée dans les heures précédentes, mais ne permettent pas de connaître la concentration de THC dans le corps. Pour cette raison, les policiers doivent emmener les automobilistes suspects à l’hôpital pour subir des analyses sanguines.

Un autre obstacle se pose alors. Contrairement à l’alcool, le THC s’élimine rapidement du sang et s’accumule plutôt dans les zones du corps riches en graisses, comme le cerveau. « Les effets maximaux du cannabis, on les voit quand la concentration est déjà [en train de] baisser dans le sang », souligne le médecin.

«Quand on fait un contrôle au bord de la route, c’est important de ne pas perdre trop de temps entre le moment où il y a eu l’accident, ou le moment où l’on a arrêté le conducteur, et la prise de sang, parce que chaque heure, la concentration va diminuer de moitié.» - Dr Alain Verstraete, chercheur en toxicologie à l’Université de Gand

Ainsi, après quelques heures, le THC a presque entièrement disparu du sang, mais il est toujours présent dans le cerveau et le conducteur est toujours sous l’effet de la drogue.

Pour que les analyses sanguines soient fiables, les experts estiment qu’elles doivent être faites moins de deux heures après la consommation.

Fixer une limite

Certaines études indiquent qu’une concentration de 5 nanogrammes de THC par millilitre de sang (ng/ml) pose un risque d’accident comparable à une alcoolémie de 0,08 %.

Les premiers États américains à avoir légalisé le cannabis, soit le Colorado et l’État de Washington, ont d’ailleurs fixé leur limite légale de THC à 5 ng/ml. Le Nevada a cependant adopté une limite plus basse, soit 2 ng/ml.

« Même une toute petite quantité de cannabis peut déjà vous amener à cette limite-là, souligne le Dr Verstraete. Il y a par exemple une étude qui a montré que de tirer une fois sur un joint, ça donne une concentration maximale entre 7 et 18 nanogrammes par millilitre. »

D’autres États américains, comme l’Oregon et l’Alaska, ne fixent quant à eux aucune limite légale et évaluent plutôt l’intoxication à partir de signes physiques, comme le mouvement des yeux ou l’équilibre.

«Probablement qu’un joint ou même un demi-joint peut déjà doubler les risques d’accident, certainement chez une personne qui n’a pas l’habitude de fumer du cannabis.» - Dr Alain Verstraete, chercheur en toxicologie à l’Université de Gand

Lorsqu’un joint entier est consommé, il faut donc attendre plusieurs heures avant de prendre la route.

Si l’on inhale le cannabis, par exemple en le fumant, les effets se font sentir dès les premières minutes et ils s’estompent au bout de quatre heures. Mais si on l’ingère, par exemple sous forme de gâteaux, les effets prennent parfois une heure avant de se manifester et ils peuvent durer plus de huit heures.

Cependant, pour ceux qui consomment du cannabis de manière quotidienne, l’intoxication dure encore plus longtemps, car le THC s’accumule dans les graisses du corps et continue de se libérer durant les jours suivant la consommation. « Il y a certaines études qui montrent que des gens qui ont beaucoup consommé et qui arrêtent ont encore des effets après 28 jours », souligne le Dr Alain Verstraete.

«Si vous fumez quotidiennement, plusieurs fois par jour, vous êtes dans un état constant d’intoxication au cannabis.» - Johannes Ramaekers, psychopharmacologue, Université de Maastricht

Comme plusieurs experts, Johannes Ramaekers considère que ceux qui consomment du cannabis quotidiennement ne devraient jamais prendre le volant.

C’est d’ailleurs la décision qu’a prise le militant pour la légalisation du cannabis Derrick Bergman. « Personnellement, je n’ai pas de permis de conduire, je fais tout en transport en commun, à vélo, ou bien j’embarque avec d’autres personnes, confie-t-il. Si vous commencez à fumer, ne combinez pas ça à la conduite. Trouvez un autre moyen de transport. »

Le reportage de Bouchra Ouatik et de Chantal Théorêt sur le cannabis au volant sera diffusé dimanche à 18 h 30 à l'émission Découverte.

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