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Charles Taylor fait volte-face sur l'interdiction du port de signes religieux

Charles Taylor fait volte-face sur l'interdiction du port de signes religieux

Le philosophe Charles Taylor ne croit plus que Québec doit légiférer pour interdire le port de signes religieux ostensibles aux employés de l'État qui exercent des fonctions coercitives, comme les juges, les procureurs de la Couronne, les policiers et les gardiens de prison, comme il le préconisait en 2008. « Les choses ont bien changé depuis, et ce n'est plus mon opinion », fait-il valoir.

C'est dans une lettre ouverte publiée mardi dans La Presse+ que l’ex-président de la commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles explique pourquoi il a changé d'idée sur cette recommandation, qui figurait dans son rapport final, intitulé Le temps de la conciliation.

«J'ai bien signé le rapport où cette recommandation paraît; mais neuf ans plus tard, je ne l'endosse plus. [...] C'est principalement l'évolution du contexte qui m'a fait changer d'idée.» - Charles Taylor

Dans son texte, intitulé cette fois Le temps de la réconciliation, M. Taylor plaide que le contexte sociopolitique a changé depuis l’attentat commis à la grande mosquée de Québec, qui a donné lieu à une « explosion de solidarité et de reconnaissance mutuelle entre les Québécois de toutes origines ».

« On commence à surmonter les divisions, à combler les fossés et à recoudre les déchirures de notre tissu social, des clivages ayant en outre été causés par les débats des dernières années », écrit-il, en montrant du doigt « l'effet secondaire de stigmatisation » qu'a eu le débat sur la charte des « valeurs québécoises » sur « certaines classes de citoyens ».

La proposition avancée par le Parti québécois, estime-t-il, a entraîné une « multiplication des accidents d’agression, surtout envers les musulmanes portant le voile – des agressions allant des paroles haineuses jusqu’aux voies de fait dans certains cas ».

« Ces gestes sont le fruit d’une minorité de citoyens qui nourrissaient déjà de l’hostilité envers les immigrants en général ou envers les musulmans », écrit M. Taylor, mais le débat entourant la charte a fait en sorte « d’atténuer ou d’éliminer leurs inhibitions, en plus d’épaissir les nuages de suspicions et de craintes qui entouraient les nouveaux arrivants dans une partie de l’opinion publique ».

«J’estime qu’on ne peut pas se payer le luxe de poser de nouveaux gestes qui renouvelleraient cet effet de stigmatisation, quelles que soient les bonnes intentions de certains de leurs défenseurs. Ne rouvrons pas les plaies à nouveau. Laissons toute la place au temps de la réconciliation.» - Charles Taylor

Charles Taylor dit comprendre « la tentation de trouver un "compromis" » qui anime les partis politiques à Québec, puisque cela pourrait amener une « réconciliation entre différentes tendances chez les Québécois, en particulier chez ceux dits "de souche" ». Il plaide cependant, à l'instar du sociologue Gérard Bouchard, qui coprésidait la commission sur les accommodements raisonnables, « que le "nous" québécois est désormais plus large. »

« Le temps où une partie de notre société, fût-elle majoritaire, pouvait agir sans égard pour les minorités marginalisées est passé », soutient-il. « Cette législation serait d’autant plus gratuite qu’elle serait très probablement invalidée par les cours, ne laissant derrière elle qu’amertume et divisions. »

M. Taylor précise qu’au moment d’écrire le rapport avec son collègue Gérard Bouchard, il n’a jamais cru que l’interdiction du port de signes religieux aux employés exerçant des fonctions « coercitives » était une « implication nécessaire de la laïcité ».

Il lui apparaissait plutôt que « dans l’atmosphère suivant le débat sur les accommodements raisonnables, ne pas imposer ces restrictions choquerait l’opinion publique au point de mettre en danger notre proposition d’une laïcité ouverte. »

Selon lui, le débat a cependant commencé à déraper lorsque l’idée d’appliquer l’interdiction du port de signes religieux aux employés exerçant « des fonctions de coercition qui régissent le domaine du crime et du châtiment, et qui décident de la condamnation et des peines » a été étendue à d’autres fonctions de l’État.

« Elle fut remplacée [dans le débat public] par un concept plus vague d’« autorité », un concept qui permettait une extension presque indéfinie, au point d’inclure les enseignants et les éducatrices en service de garde, que nous ne visions pas du tout », écrit-il.

Le débat sur la charte des « valeurs québécoises », qui proposait de « restreindre les droits de certaines classes de citoyens », a ensuite eu un « effet secondaire de stigmatisation ».

Avec cette sortie publique, Charles Taylor s’inscrit résolument en faux contre les propos de Gérard Bouchard. En entrevue à 24/60 la semaine dernière, le sociologue estimait plutôt qu’il était « urgent » que Philippe Couillard agisse de « manière énergique » dans ce dossier.

La veille, la Coalition avenir Québec avait proposé au premier ministre d’appuyer le projet de loi 62 sur la neutralité religieuse si le gouvernement y incluait les recommandations du rapport Bouchard-Taylor sur l’interdiction de signes religieux. Le Parti québécois préconise également cette approche.

M. Couillard avait cependant soutenu qu’il s’agissait d’un « enjeu inexistant », qui n'a rien à voir avec la tragédie survenue à la grande mosquée de Québec.

« Je l’avais dit il y a quelques années : à ce que je sache, il n’y en a pas de policiers qui portent des signes religieux chez nous au Québec. Il n’y en a toujours pas aujourd’hui. On est en train d’entreprendre un autre débat sur une situation qui est plus qu’hypothétique, qui est inexistante actuellement », a dit le premier ministre.

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