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Phénix: au moins 27 fonctionnaires fédéraux ont reçu plus de 50 000 $ par erreur

Ironie du sort, c’est à l’Agence du revenu du Canada que le plus grand nombre de sommes payées en trop ont été signalées.

Des milliers de fonctionnaires fédéraux doivent des sommes importantes au gouvernement fédéral à la suite d'erreurs majeures du système de paye automatisé Phénix. C'est ce que révèlent des documents internes obtenus par Radio-Canada, qui lèvent le voile sur l'ampleur des ratés du logiciel.

Une enquête de Catherine Lanthier et de Valérie Ouellet

Près de 600 directeurs, avocats-conseils, gestionnaires, chercheurs et ex-employés de divers ministères fédéraux ont eu droit à toute une surprise en consultant leurs talons de paye au cours des derniers mois. Ils ont chacun été payés plus de 20 000 $ en trop par le logiciel Phénix.

En tête du groupe : un ex-chercheur qui a reçu 662 777 $ par erreur.

Il est loin d’être le seul à avoir reçu des sommes imposantes en raison de failles majeures du système. Près d’une trentaine d’employés ont ainsi obtenu plus de 50 000 $ en trop chacun, dont une ex-conseillère principale qui a touché 155 167 $ et un avocat-conseil, 81 714 $.

Selon nos calculs, en décembre dernier, le gouvernement fédéral avait versé près de 70 millions de dollars par erreur à plus de 26 200 employés travaillant partout au pays et même à l’international.

Vers la fin de 2016, le fédéral est parvenu à établir des ententes de recouvrement pour récupérer seulement le tiers de ces sommes, soit environ 22,3 millions de dollars.

Deux syndicats représentant la majorité des fonctionnaires fédéraux estiment que le gouvernement risque de ne jamais revoir la couleur de cet argent.

« Phénix… il n’y a aucun moyen de l’arrêter. »

Alors que le gouvernement fédéral assure que les employés touchés verront bientôt « la lumière au bout du tunnel », les chiffres obtenus par Radio-Canada démontrent qu’au contraire, la situation s’aggrave.

Les sommes surpayées rapportées par des employés ou ex-employés ont gonflé de 8 millions de dollars en une seule semaine en décembre dernier, passant de 61 à 69 millions de dollars.

Dans les centres d’appels mis sur pied pour gérer la crise, la croissance du nombre de cas à problèmes est devenue ingérable, selon un employé.

Alex travaille dans l’un de ces centres d’appels avec lesquels le gouvernement fédéral a signé un contrat pour aider les fonctionnaires à rapporter les erreurs commises sur leur paye. (Nous lui accordons ce nom fictif, puisque dévoiler son identité lui coûterait son emploi.)

Au bout du fil, des mères de famille monoparentales en larmes, des pères qui ne sont pas payés pour le travail accompli… Tout cela, alors que des milliers d’autres employés continuent de recevoir des milliers de dollars en trop, par erreur.

«De nombreux employés ont été trop payés, des sommes substantielles, et on ne sait pas combien ils nous doivent. Le gouvernement ne sait pas combien et on ne sait pas comment en garder la trace.» - Alex (nom fictif), employé d’un centre d’appels du gouvernement

Selon ce téléphoniste, le problème est que le système de paye Phénix continue de commettre sans cesse des erreurs incompréhensibles. « Je pense que le problème avec Phénix, c’est Phénix. C’est tout le logiciel, tout l'algorithme », avance-t-il.

Comment avons-nous effectué nos calculs?

Radio-Canada a obtenu et analysé les documents liés à plus de 74 000 cas de surpaiement rapportés pendant le mois de décembre 2016, incluant le détail de chaque montant payé en trop, la date à laquelle il a été signalé ainsi que le code du ministère lié au dossier.

Pour masquer l’origine de ces documents et protéger nos sources, nous présentons nos résultats d’analyse en regroupant les cas par ministère et sommes totales.

Un an plus tard, des employés frustrés et mal renseignés

L’autre non-sens, explique Alex, est le manque de formation des téléphonistes. Il affirme avoir reçu une seule journée de formation avant de commencer à répondre aux appels.

« Le problème principal où je travaille, c’est qu’on renseigne mal les clients [...] Ils deviennent confus et ça génère d’autres appels », rapporte-t-il.

« On leur dit qu’ils vont recevoir leur paye dans quatre semaines, puis on leur dit six semaines, et ensuite on leur dit que c’est indéterminé », ajoute Alex.

Selon lui, ses collègues ont dû recevoir du soutien psychologique et certains ont démissionné, excédés par la tension quotidienne.

Autant l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) estiment que cette situation est inacceptable.

«Lorsque, moi, j’entends que des gens ont été embauchés, on leur donne une journée de formation et on s’attend à que ces gens-là deviennent des sauveurs et soient capables de rétablir la problématique, écoutez, c’est invraisemblable. Il y a un grand grand manque de sérieux.» - Magali Picard, vice-présidente exécutive régionale, Québec, AFPC

Des millions de dollars envolés?

Malgré ses efforts, le fédéral n’arrivera probablement jamais à récupérer la totalité des millions versés par erreur, estiment l’AFPC et l’IPFPC.

« Ils ne pourront pas récupérer l’ensemble. Les employés bougent. Il y en a qui vont peut-être quitter le pays pour en profiter », croit le vice-président de l’IPFPC, Stéphane Aubry.

Depuis l’implantation de Phénix, en février 2016, le gouvernement croule sous les demandes et n’arrive pas à respecter ses propres normes de service.

Pour cette raison, « il est possible que certains trop-payés ne soient pas encore au dossier de l’employé », indique le porte-parole du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement, Pierre-Alain Bujold.

Le gouvernement encourage donc tous ses employés et ex-employés trop payés à communiquer avec ses centres d’appels, afin que ces dossiers soient traités en priorité.

Autre défi de taille : selon nos documents, au moins 18 millions de dollars - soit plus du quart des sommes payées en trop - ont été versés sans raison à des employés considérés comme « inactifs », c’est-à-dire des personnes ayant terminé leur contrat, pris leur retraite, démissionné ou pris un congé sans solde.

Certains d’entre eux ne travaillent plus pour le fédéral depuis des années et sont donc difficiles à retrouver.

Stéphane Aubry trouve « aberrant » que le gouvernement soit incapable de savoir où se trouvent ces individus trop payés et qu’il faille plutôt se fier à la « bonne volonté des fonctionnaires ».

Nos documents indiquent qu’en décembre dernier, 91 % des cas d’employés considérés « inactifs » ne s’étaient pas conclu par une entente de recouvrement avec le gouvernement.

Selon la représentante du Québec pour l’AFPC, Magali Picard, le gouvernement « a perdu le contrôle » et ne « semble même pas être au courant de ces cas problématiques, tellement dépassé par les événements ».

Le nombre le plus élevé d’erreurs… à l’Agence du revenu

Ironie du sort, c’est à l’Agence du revenu du Canada que le plus grand nombre de sommes payées en trop ont été signalées : plus de 7900 paiements injustifiés totalisant 2,6 millions de dollars.

C’est toutefois loin d’être le ministère où les employés ont reçu le plus de versements injustifiés en raison du programme Phénix.

Selon nos calculs, c’est à la Défense nationale où les paiements les plus exorbitants ont été notés depuis près d’un an. Le gouvernement doit encore y récupérer une grande partie des 6,6 millions de dollars versés par erreur.

Nos documents révèlent aussi que de nombreux ministères et agences gouvernementales qui offrent des services essentiels aux Canadiens comptent parmi les plus touchés par les ratés du système, incluant Santé Canada, Service Correctionnel Canada ainsi qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

Nos documents démontrent aussi que des fonctionnaires partout au pays sont touchés par la crise. Dans les villes d’Edmonton, de Toronto, de Montréal et de Vancouver, par exemple, des centaines de fonctionnaires fédéraux ont été surpayés d’environ 2000 $ chacun.

Même une quarantaine d’employés qui représentent le Canada aux États-Unis et à l’international ont signalé avoir reçu des paiements contenant plusieurs zéros de trop.

Sans surprise, c’est dans la région d’Ottawa-Gatineau que les employés surpayés sont les plus présents. Selon nos calculs, près d’un cas rapporté sur cinq touche ainsi un employé ou un ex-employé dont la dernière adresse est située dans la région de la capitale nationale.

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