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Un deuxième roman et une première pièce d'Ionesco pour Sylvie Drapeau (ENTREVUE)

Sylvie Drapeau: deuxième roman et première pièce d'Ionesco
Courtoisie

Sylvie Drapeau a fait tanguer les cœurs des lecteurs avec Le Fleuve, un premier roman explorant le drame d’une famille de la Côte-Nord après la noyade d’un petit garçon. Dix-huit mois plus tard, elle retrouve sa narratrice désormais âgée de 20 ans, alors qu’elle tente de forger sa personnalité et de faire la paix avec la place de sa mère dans sa vie. Une histoire où chaque phrase est finement choisie. Chaque idée enveloppée d’émotions palpables.

Soit l’opposé de l’univers d’Ionesco, le maître des détours de paroles, dans lequel l’actrice plongera pour la première fois sur la scène du Rideau Vert au cours des prochaines semaines.

«La Cantatrice chauve» et «La Leçon» en répétition

En librairies le 15 février, Le Ciel (Leméac) est le deuxième volet d’une quadrilogie que l’auteure a imaginée, alors qu’elle croyait publier une seule et longue histoire autour du même personnage. «En écrivant les racines du projet, j’ai réalisé que c’était trop ambitieux. J’ai choisi de publier quatre chapitres de vie, tous orientés autour d’une mort.»

Dans le premier, la narratrice de cinq ans s’adresse à son frère noyé. À travers les pages du deuxième, jeune adulte, elle «discute» avec sa mère qui vient de mourir. Et dans les deux derniers tomes, toujours plus âgée, elle s’adressera à d’autres morts.

Un projet qui oblige Sylvie Drapeau à transformer le langage et l’état d’esprit de son personnage principal à chaque époque. «Elle a la même soif de lumière et de beauté que dans le premier, mais on entend une nouvelle voix dans Le Ciel. Je l’ai voulue révoltée et mal dans sa peau de jeune femme, au début du roman.»

Aux balbutiements de la vingtaine, la demoiselle ressent le besoin de s’affranchir, de quitter la Côte-Nord et sa famille. Plus elle se découvre et s’analyse, plus elle se compare à sa mère, qu’elle décrit comme une princesse triste.

«Elle a l’impression que c’est par là qu’elle va se trouver. Elle en veut beaucoup à sa mère au départ. Elle aurait voulu son aide pour savoir qui elle est. Mais elles parlaient peu de ces choses-là. Quand sa mère meurt, elle est prise au dépourvu. Elle réalise qu’elle n’a pas posé certaines questions sur la vie ni affirmé certaines choses. Sa mort l’a forcée à grandir plus vite.»

Peu à peu, la colère des débuts se transforme en tendresse, alors que la jeune fille prend conscience de qui était sa mère et de ce qu’elle a fait pour élever sa marmaille.

«Quand elle revient à la maison durant les vacances du cégep, elle découvre une mère belle et dévouée. Elle comprend aussi que la perte de son petit frère a créé un trou dans la famille qui ne sera jamais complètement comblé, comme une blessure originelle qui suinte au moindre événement. Mais le temps et la distance lui font réaliser à quel point elle aimait cette femme et comment celle-ci l’a aimé comme elle le pouvait.»

À l’image du premier roman, le passage de la Grande Faucheuse aura un effet d’électrochoc sur la narratrice. « C’est comme si elle disait à son frère et à sa mère que leur mort la réveille ou la révèle à elle-même… »

La Cantatrice chauve

À Paris, le Théâtre de la Huchette fêtera le 16 février prochain le soixantième anniversaire des représentations entre ses murs des pièces La Cantatrice chauve et La Leçon. Une tradition qui permet au petit théâtre du 5e arrondissement de détenir le record du monde des deux pièces les plus jouées, avec 18 500 représentations.

Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, le Théâtre du Rideau Vert offrira lui aussi le programme double, dans une mise en scène de Normand Chouinard. Sa fille Rosine Chouinard-Chauveau jouera la jeune élève de La Leçon aux côtés d’un professeur inquiétant interprété par Rémi Girard, qui jouera également dans La Cantatrice chauve. Il aura alors comme partenaires de scène Dorothée Berryman, Carl Béchard, Luc Bourgeois, ainsi que Sylvie Drapeau, qui joue pour la première fois de sa carrière une œuvre d’Ionesco.

«Quelle matière étrange! affirme-t-elle. C’est difficile de mettre des mots sur le travail qu’on fait. Il y a un tel inconfort face au langage. On tient des propos qui semblent sans queue ni tête et qui poussent les personnages vers l’angoisse. J’aimerais ça être une mouche pour voir comment les spectateurs vont en parler après la pièce.»

Les amateurs de théâtre auront accès à l’univers très british de Monsieur et Madame Smith qui réalisent, non sans incrédulité, que leurs invités ne se reconnaissent plus, alors qu’ils sont mariés depuis des années!

«On suppose qu’ils font ça pour renouveler leur couple. Cette idée vient d’une expérience vécue par Ionesco : après qu’il ait perdu sa femme dans le métro, il l’aurait retrouvée en l’abordant comme une inconnue, et il a poussé cette idée.»

Tout au long de la soirée, les deux couples rivalisent d’anecdotes follement absurdes, jusqu’à ce que le capitaine des pompiers débarque en cherchant des feux à éteindre.

«La panique est assurément la couleur du spectacle! Pour l’instant, en répétitions sans public, c’est très spécial. On a le sentiment de jouer dans le beurre. C’est très incongru. Mais la présence du public va nous aider à comprendre les résonnances du texte.»

Heureusement, le metteur en scène a fourni à ses comédiens quantité de notes pour comprendre l’univers d’Ionesco. Citant en entrevue des paroles du dramaturge, qui avance que la vérité vivante est incommunicable par les mots, que ceux-ci ne servent qu’à nommer l’admis et le connu, et que si on parle tellement du langage, c’est parce qu’on est obsédé par ce qui nous manque, l’actrice a été marquée par certaines pensées.

«Ionesco disait que le verbe est devenu du verbiage, que le mot ne montre plus, il bavarde. Le mot est fuite. Le mot empêche le silence de parler. J’aime beaucoup cette idée. Elle illustre bien la pièce.»

La Cantatrice chauve, suivie de La Leçon, sera présentée au Rideau Vert du 31 janvier au 4 mars 2017. Cliquez ici pour plus de détails.

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