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Les fraudeurs du sociofinancement, en toute impunité sur le web

Un fraudeur s'est fait passer pour une artiste québécoise émergente et a récolté des milliers de dollars sur le web.
Radio-Canada

Un fraudeur s'est fait passer pour une artiste québécoise émergente et a récolté des milliers de dollars sur le web. Le site français KissKissBankBank, qui hébergeait la fausse campagne de financement, se décharge de toute responsabilité.

Un texte de François Sanche, de La facture

À l’été 2016, l’auteure-compositrice-interprète Lisa-Marie Jolin décide de s’inscrire au Festival international de la chanson de Granby. Elle tape son propre nom sur Google, pour voir. Elle a toute une surprise. Sur le site de KissKissBankBank, un site de sociofinancement français, elle découvre une campagne en son nom, sollicitant les donateurs.

« J’ai trouvé une photo de moi disant : “Aidez-moi à financer mon premier album”. Mais moi, je n’avais jamais demandé d’aide pour financer mon premier album », raconte l’artiste.

Au moment où elle fait la découverte, la campagne de financement est déjà terminée. Et elle a atteint son objectif : 7000 $ ont été récoltés.

« Quelqu’un a vraiment réussi à ramasser 7000 $ dans un pays étranger, alors que moi, dans ma propre province, je n’arrive même pas à ramasser plus de 3500 $ », s’étonne Lisa-Marie Jolin, qui a déjà eu recours au sociofinancement. « Ça accroche le cœur. »

L’auteure est doublement frustrée. Non seulement elle n’a pas touché un sou de la cagnotte, mais elle craint maintenant que des donateurs lui demandent des comptes.

Lisa-Marie Jolin Photo: Radio-Canada

«Il y avait beaucoup de choses inventées. Il y avait aussi beaucoup de vrai. Mais là-dedans, ils avaient tricoté une histoire selon laquelle j’allais enregistrer dans un studio en France… qui n’existe pas.» - Lisa-Marie Jolin

Les noms des musiciens étaient aussi fictifs. Curieusement, personne ne lui a écrit à ce sujet, note-t-elle, intriguée. Lisa-Marie Jolin a alerté le site français, qui a retiré les informations qui restaient de la campagne frauduleuse.

Joint à Paris, KissKissBankBank affirme tout mettre en œuvre pour vérifier l’identité des « porteurs de projets », ceux qui lancent une campagne pour financer leur cause. « On analyse le projet sur fond, sur la viabilité. Et après on analyse [...] la fiabilité des documents », explique le responsable de la sécurité, Samuel Sanchez.

Le site exerce un double contrôle, humain et informatique, à l’aide d’algorithmes qui débusquent les cas de fraude en identifiant certains comportements propres aux fraudeurs. Mais ce n’est pas infaillible.

«On a été bernés complètement malgré nos contrôles.» - Samuel Sanchez

Ce n’est pas la première fois que KissKissBankBank est déjoué par des fraudeurs, mais Samuel Sanchez affirme que les cas de fraudes sont rares, sans vouloir préciser davantage.

Les artistes sont les plus nombreux au Canada à faire appel à la générosité du public, dont les contributions, modestes ou généreuses, financent de nombreux projets de disque, théâtre ou film.

Fraude ou pas, le site empoche à chaque fois

Lorsque Lisa-Marie Jolin a fait sa découverte, les fonds avaient été transférés aux fraudeurs depuis belle lurette. La campagne ayant été menée à terme, KissKissBankBank a perçu un pourcentage sur les contributions.

Cette situation choque Adrienne Gonzales, une Américaine qui a fondé le site GoFraudMe, dont le nom est un rappel moqueur de GoFundMe, un des plus gros sites de sociofinancement au monde.

«Ces sites sont en conflit d’intérêts. Ils font de l’argent sur chaque don, que la campagne soit véridique ou non.» - Adrienne Gonzales

Elle dénonce les nombreuses campagnes portant sur les faux cancers et les funérailles bidon. Adrienne Gonzales veut que GoFundMe en fasse plus pour protéger les donateurs. Mais le porte-parole de GoFundMe, Bobby Whithorn, nous a répondu par courriel que les fraudes représentent moins de 0,01 % des projets. Sur près de deux millions de campagnes par année, cela représente tout de même près de 20 000 fraudes.

Quelle responsabilité?

Les entreprises de sociofinancement se présentent comme une plateforme intermédiaire entre un porteur de projet et un donateur, qui n’a pas d’autre responsabilité que de faire les vérifications d’usage et retirer la campagne en cas de signalement.

« Cela pose problème », selon le professeur Sylvain Lefèvre, de l’UQAM. Les campagnes appelant à la générosité ont lieu dans une zone grise réglementaire, selon lui.

«Le problème c’est la responsabilité de ces plateformes de financement.» - Sylvain Lefèvre

« Ces plateformes disent : “Non, il y a des relations qui se nouent, il y a des mini-contrats entre deux personnes qui ne se connaissaient pas. Nous on n’est pas impliqués là-dedans, on favorise la mise en contact, c’est tout. Ça aujourd’hui, ça pose de plus en plus de problèmes”, explique le professeur Lefèvre.

Malgré cet incident, Lisa-Marie Jolin estime qu’elle s’en est bien tirée. Son image n’en a pas trop souffert; le capital de sympathie n’a pas été trop entamé non plus.

Elle croit toujours à la nécessité du sociofinancement pour les artistes indépendants.

«Pour nous, c’est super important que les gens continuent de faire confiance à ça.» - Lise-Marie Jolin

Lisa-Marie lancera sa « vraie » campagne de financement pour la production d’un deuxième album vers la fin de 2017.

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