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Pipelines et Autochtones: quand économie et environnement s'affrontent

Pipelines et Autochtones: quand économie et environnement s'affrontent
Radio-Canada

D'est en ouest, les Premières Nations ont en commun leur revendication d'être consultées sur les projets pétroliers susceptibles de traverser leur territoire et, surtout, d'être écoutées. Mais les pipelines ouvrent aussi une ligne de fracture entre ceux qui y voient un potentiel de croissance économique et ceux à qui ils inspirent plutôt des craintes environnementales.

Un texte de Sophie-Hélène Leboeuf

L'enjeu pétrolier fera l'objet d'une table ronde mercredi après-midi, au deuxième jour de l'Assemblée extraordinaire des Premières Nations, qui se déroule à Gatineau.

On y entendra notamment le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, l'un des quelque 90 signataires, des deux côtés de la frontière canado-américaine, du traité d'alliance contre les sables bitumineux de l'Alberta. Sa position contrastera avec celle de Jim Boucher, chef de Fort McKay, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Fort McMurray, au coeur des sables bitumineux canadiens. Sa communauté, dont l'économie est étroitement liée à l'industrie pétrolière, dit en tirer des revenus de 150 millions de dollars par année.

Leur discussion surviendra quelques jours après la décision du gouvernement fédéral de rejeter le controversé projet d'oléoduc Northern Gateway d'Enbridge, vers le nord de la Colombie-Britannique, mais aussi d’en autoriser deux autres: l’expansion de Trans Mountain de Kinder Morgan, plus au sud, et le prolongement de la canalisation 3 d'Enbridge, vers le Wisconsin.

Farouche opposant aux pipelines, le chef Serge Simon de Kanesatake ne baisse pas les bras. « Ce n'est pas la fin de la bataille. C'est juste le début d'une nouvelle bataille », a-t-il confié, après le discours prononcé par le premier ministre Justin Trudeau devant les communautés autochtones.

Ce dernier a d'ailleurs brièvement évoqué et reconnu la déception causée par l'aval donné au pipeline Trans Mountain.

«Je sais qu'il y a des personnes dans cette pièce qui sont en profond désaccord avec notre position d'aller de l'avant avec le pipeline de Kinder Morgan. [...] Le test pour notre relation n'est pas d'être toujours d'accord. C'est de voir si nous pouvons encore aller de l'avant, ensemble.» - Justin Trudeau

La réconciliation, dont le premier ministre fait une priorité de son gouvernement, ne signifie pas un accord sur tous les enjeux, a-t-il plaidé.

L'heure n'était d'ailleurs pas à la confrontation. « J'entends sa justification [au sujet de Trans Mountain], mais je ne peux pas être d'accord. Et j'espère que lui démontrera qu'il peut accepter mon opposition aussi », indique le chef Simon. D'ailleurs, il insiste : « Je ne veux pas m'attaquer au premier ministre ou à son cabinet. Il y a beaucoup de progrès qui ont été faits sur les questions autochtones. »

La veille, il avait pourtant signalé son intention de quitter la pièce lorsque M. Trudeau prendrait la parole. Pour protester contre les propos du ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, qui avait menacé de recourir à l'intervention des forces policières et militaires si des manifestants « choisissaient de ne pas être pacifiques ». Des propos qui ont touché une corde sensible, plus de 25 ans après la crise d'Oka. Mais le ministre Carr l'a personnellement appelé, peu avant le discours du premier ministre, pour s'excuser. « Comme deux gentlemen, on s'est parlé dans un esprit de paix et de respect mutuel », précise le chef Simon.

Une luttte à finir devant les tribunaux

Sa bataille, il entend la mener sur un autre terrain et contre d'autres adversaires. Et il demeure confiant de voir Kinder Morgan échouer à réaliser son projet. « Tout ce que Justin Trudeau a dit, c'est : "tiens, l'industrie [pétrolière], je te donne le mal de tête, arrange-toi!" Si nous, on se bat devant les tribunaux, qu'on gagne et que le pipeline s'écroule, le premier ministre va pouvoir dire : "moi, j'ai fait ma part, j'ai donné l'autorisation." »

«Lui a fait sa part comme premier ministre, il a donné son feu vert. Là, c'est à moi de faire ma part et de combattre l'industrie pétrolière.» - Serge Simon, chef de Kanesatake

C'est important, soutient-il, notamment pour contrer le réchauffement climatique, mais aussi la contamination par l'industrie pétrolière de l'eau des Premières Nations localisées dans le sud de la rivière Athabasca.

« Une femme de cette région-là m'a expliqué quel choix elle avait : laisser son enfant avoir faim ou lui faire manger du poisson qui risquait de le rendre malade. Elle avait les larmes aux yeux, alors cette image-là me reste en tête. En bout de ligne, c'est les Premières Nations qui vont payer pour les profits de l'industrie », avance-t-il.

L'argument économique

Un point de vue que ne partage pas Harley Chingee, ancien chef de la bande McLeod Lake, en Colombie-Britannique.

Son père, explique-t-il, a travaillé une dizaine d'années dans l'industrie pétrolière et a pu nourrir sa famille grâce à elle. « Je ne dirais pas que je suis à 100 % pour les pipelines, mais s'ils sont faits d'une façon durable et sécuritaire, je n'ai pas de problème avec [leur] construction, que ce soit en Colombie-Britannique ou ailleurs. »

« Je pense que Kinder Morgan va faire une bonne job », avance-t-il. Leur pipeline est dans la terre depuis 60 ans et je ne me souviens pas d'un bris ou d'une fuite. » Le nouvel oléoduc, précise-t-il, ne traversera pas son territoire, qui se trouve toutefois à proximité d'un pipeline de la pétrolière Spectra Energy. Celui-ci, à sa connaissance, n'a fait l'objet d'aucun incident.

Il s'explique mal l'opposition de certains aux projets pétroliers. « Dans plusieurs cas, estime-t-il, les Premières Nations pratiquent la stratégie du bord de l'abîme », qui vise à pousser son adversaire — dans ce cas-ci les pétrolières avec lesquelles elles négocient — dans ses derniers retranchements, dans le but d'en tirer le plus de bénéfices. « Si elles n'obtiennent pas plus d'argent, elles quittent la table », croit-il.

D'autres fois, ajoute-t-il, « les gens deviennent émotifs dans ce débat. »

«Comment pouvez-vous être contre quelque chose qui procure du travail et améliore les conditions économiques des gens?» - Harley Chingee, ancien chef de la bande McLeod Lake

Il dit cependant comprendre les préoccupations environnementales de certaines Premières Nations, par exemple devant la possibilité d'un bris qui surviendrait près d'une rivière.

« Mais certains s'y opposent juste pour s'y opposer. Ils ne diront jamais oui à rien. Comme certains à Montréal, qui se révoltent contre Énergie Est, même si c'est industrialisé et qu'il n'y a pas d'animaux en ville, ironise-t-il. Le fleuve Saint-Laurent est pollué. »

Le droit de décider

Lorsqu'il était chef de la bande Tk’emlups, en Colombie-Britannique, Shane Gottfriedson, a soutenu le projet d'expansion de Kinder Morgan. Depuis, la bande a conclu une entente de 3 millions de dollars, selon plusieurs médias.

Aujourd'hui, le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations pour la Colombie-Britannique, met de l'avant l'autonomie des communautés. « Il y a évidemment de la controverse autour des pipelines, reconnaît-il. Qu’on soit pour ou contre les pipelines, aujourd'hui, nous avons le choix de dire oui ou de dire non. [Il faut] essayer de trouver l’équilibre et s’assurer que l’intérêt des Premières nations soit entendu. »

Ce qui compte, ce n’est pas si j'appuie les pipelines. Ce qui compte, c’est le consentement et le processus de décision des communautés et ce qu’elles veulent. Elles ont un choix maintenant.

Shane Gottfriedson, chef régional de l'Assemblée des Premières Nations pour la Colombie-Britannique

« Je pense que la consultation doit être approfondie davantage. Ça ne peut pas se limiter à des ententes de bénéfices mutuels, ça doit être plus important que ça », affirme-t-il, invoquant de nouvelles relations fiscales et un plus grand rôle décisionnel.

« L'Office national de l'énergie ne fonctionne pas pour nos peuples, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale ne fonctionne pas », soutient le chef Gottfriedson. Il doit y avoir un processus différent en ce qui concerne la façon dont les décisions sont prises. Les traités et les droits inhérents des Autochtones doivent être à l’avant-plan pour tous les projets », conclut-il.

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