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Une bien insignifiante «Galère sur scène»

Une bien insignifiante «Galère sur scène»
Martin Ouellet

60 000 billets vendus avant même la première représentation. Profitable, l’expérience d’amener La galère sur scène? Assurément. Mais un tel succès populaire garantit-il un spectacle drôle, pertinent, sensible et intelligent, comme l’était la série de Renée-Claude Brazeau à ses débuts, à Radio-Canada, en 2007?

Absolument pas. On s’excuse aux inconditionnelles (les femmes sont sûrement plus nombreuses que les hommes), mais la magie n’y est tout simplement plus.

On a pu en juger jeudi, alors qu’Anne Casabonne, Brigitte Lafleur, Geneviève Rochette et Marilyse Bourke (en remplacement d’Hélène Florent) foulaient les planches du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts pour la rentrée montréalaise de la pièce, qui sera présentée en tournée pendant encore au moins un an et demi.

Ça bourdonnait d’excitation dans la salle avant le lever du rideau. Aux yeux de plusieurs, La galère détient l’enviable titre de série-culte, et la déception a été vive lorsque l’aventure télévisuelle s’est terminée, à l’automne 2013. L’impatience de renouer avec ces personnages bien-aimés, ces femmes parfaitement imparfaites, mais ô combien attachantes, leur complicité, leurs excès, était palpable, et elle s’est élevée d’un cran lorsque, quelques minutes avant que ne s’ouvre la pièce, un quiz sur La galère s’est affiché à l’écran. Hyper sympathique, le jeu a branché tout le monde, les gens applaudissant avec ferveur lorsque la bonne réponse apparaissait à l’écran. Cet amusant ajout augurait bien.

On a toutefois senti l’enthousiasme se dégonfler comme ballon de baudruche au moment de quitter les sièges, les sourires sceptiques croisant les roulements de yeux. Une histoire mince comme un fil, des personnages grossièrement exagérés, des blagues qui ne volent pas très haut, bien peu de fous rires au parterre et beaucoup d’insignifiance : on n’a pas grand-chose à dire de négatif sur la mise en scène d’André Robitaille et le jeu des quatre actrices, mais tous n’ont pu faire mieux que le scénario quasi inexistant brodé par Renée-Claude Brazeau et les textes qu’elle leur a mis en bouche. Mais où est donc passée la plume inspirée qui avait fait naître ce collectif pourtant jadis représentatif de sa génération?

Vieux théâtre d’été

Oui, l’univers de La galère revêtait déjà un aspect proche du théâtre d’été dans sa première vie à l’écran, et on l’imaginait bien se transporter aisément sur scène. Il n’était pas farfelu d’imaginer notre quatuor terrible se démener dans un autre contexte ; à la limite, la tentative aurait pu être extrêmement payante, si elle avait été soignée.

À la télévision, les quatre filles étaient parfois une caricature, mais ce relief les rendait humaines et souvent hilarantes. À la fin des six saisons, ça s’essoufflait un peu, parfois même beaucoup, mais l’essence était là, on aimait nos anti-héroïnes et on était prêtes à leur en pardonner beaucoup. Toutefois, encore faut-il savoir s’arrêter lorsque nécessaire.

On sait qu’au théâtre, dans une comédie, ça joue parfois gros, les situations sont rarement subtiles. Mais trop, c’est comme pas assez. Oubliez les nuances qui faisaient de Mimi, Claude, Stéphanie et Isabelle des mamans réalistes et auxquelles on s’identifiait bien ; dans La galère sur scène, elles ne sont souvent que ridicules, même si ce n’est pas de la faute des comédiennes, qui donnent tout ce qu’elles ont.

On est ici dans du «vieux» théâtre d’été, plus burlesque que brillant, où on piétine allègrement et où on n’arrive même pas à éviter quelques blagues scatologiques. On n’est pas loin des portes qui claquent et du «Ciel, mon mari!», si vous voyez le genre.

Le récit commence à peu près là où l’émission se terminait : en dépression parce qu’insatisfaite de sa vie «parfaite» de conjointe de premier ministre, Stéphanie (Marilyse Bourke et Catherine Proulx-Lemay se relaient dans la peau du personnage, Hélène Florent ayant abandonné définitivement le projet, autre déception pour les adeptes de la première heure), n’est à peu près plus que l’ombre d’elle-même. Sa maladie d’Alzheimer toujours en évolution, Isabelle (Geneviève Rochette) note tout ce qui l’entoure et se sert parfois de son trouble pour manipuler ses copines, abusant de l’expression «Namaste» et transmettant les volontés de Madame Baer - la propriétaire de la maison où les quatre amies vivaient -, qui a semble-t-il pris possession de son corps. N’essayez pas de comprendre, on cherche encore.

Mimi est maladivement jalouse des possibles conquêtes de son François parti travailler à Londres, alors que, dans les faits, le principal intéressé ne demande qu’à s’investir davantage auprès d’elle. Et l’excentrique Claude (Anne Casabonne) rêve de gloire et de célébrité. «Si j’étais pas moi, j’me likerais sur Facebook, j’me cocherais sur Tinder…», lance-t-elle en début de parcours. C’est d’ailleurs encore une fois Claude qui hérite des répliques les plus assassines et percutantes, et qui déclenche le plus les rires, comme «dans le temps», mais passons sous silence son inutile «brassage» de jupe, qui revient à deux ou trois reprises et s’avère seulement puéril.

Surprises par un journaliste à l’affût d’un scoop qui les espionne, le groupe n’aura d’autre choix que de se réfugier au chalet pour tracer le portrait de sa maternité apparemment pas tellement heureuse et éviter de justesse un voyage à Walt Disney qui lui pèse sur le dos. Mimi, Isabelle, Claude et Stéphanie déblatèreront ainsi sur leur «triste» réalité pendant 90 minutes, sans émettre tellement de grandes vérités.

Enfants mal-aimés

Tout au long de la pièce, on ne verra que les quatre filles et le journaliste qui les espionne. Nos dames communiquent avec leurs hommes et leurs enfants devenus grands – ils font maintenant pousser du cannabis et se font tatouer – par téléphone et messages-textes. Leur ras-le-bol envers leur progéniture, si soulageant à l’époque, ressemble ici pratiquement à de la haine et n’a pas grand-chose de libérateur, ni de bien comique. On décèle bien quelques bonnes observations ça et là – sur les dessins d’enfants «pas beaux», les cérémonies de graduations à l’école primaire et les fées des dents «qui donnent des iPad» (toutes de Claude) – mais sinon, pas de grandes révélations sur l’exercice de la maternité dans cette Galère qui en devient exaspérante.

Tout ce va-et-vient se muera en finale excessivement tirée par les cheveux entraînée par une «révolte» malaisante de Stéphanie… et par une chorégraphie dansée. Encore une fois, pourquoi?

À la limite, ce délire féminin aurait pu se transposer en capsules web qui auraient été moins coûteuses à fignoler qu’une production théâtrale, et les fidèles de La galère auraient été tout aussi heureux(ses). Les plus optimistes verront dans cet épilogue une sorte de bilan de La galère et argumenteront que tout ce déploiement ressemble aux quatre filles qu’on a connues, que cette escalade se révèle logique, mais on n’y croit pas. On est juste profondément désolés de voir quatre personnes qu’on a tellement aimées pédaler dans le beurre avec autant de ferveur. On aurait préféré conserver nos premiers souvenirs de cette Galère qui nous était chère…

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