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Faire des millions grâce aux penny stocks: gare aux loups de Montréal

Faire des millions grâce aux penny stocks: gare aux loups de Montréal
Radio-Canada

L'idée de s'enrichir avec l'achat et la vente d'actions sur Internet peut être séduisante. Certains Québécois ont réussi grâce au marché des penny stocks, ces actions à faibles valeurs. Un milieu où rôdent des loups de la finance... et un proche de la mafia, a découvert Enquête et The Fifth Estate.

Un texte de Gaétan Pouliot et Catherine Varga

Couverte de poussière, la voiture de Dan Ryan n’a pas bougé du garage de sa maison depuis juin 2010. C’est à ce moment que l’Autorité des marchés financiers (AMF) a obtenu le gel de ses avoirs et de ses comptes bancaires où se trouvaient 3 millions de dollars.

Sa femme Carol McKeown et lui, deux Montréalais, sont poursuivis par l’AMF pour avoir manipulé le marché des petites actions. Ils avouent avoir fait des millions, mais affirment avoir brassé des affaires selon les règles.

Contrairement aux bourses traditionnelles comme celles de Toronto ou de New York, le marché des penny stocks est hautement spéculatif. Ses activités se déroulent hors bourse et n’exigent pas de rapports financiers ni de prospectus. Les investisseurs s’y aventurent à leurs risques et périls.

Le fait d’être moins encadré par les autorités rend ce marché plus propice aux stratagèmes frauduleux.

Un des dangers est d’être victime de manipulateurs qui vont vendre des actions pour leurs propres profits.

« L’idée, c’est de faire croire que le titre vaut plus que ce qu’il vaut réellement. On crée une fausse demande avec un groupe d’individus. On va beaucoup en acheter, ce qui va faire monter la cote », explique Messaoud Abda, expert en conformité financière.

Avant que les investisseurs ne s’en rendent compte, ceux qui font monter artificiellement la valeur de l’action vendront leurs parts et toucheront le gros lot.

Le film américain Le loup de Wall Street mettant en vedette Leonardo Di Caprio a porté au grand écran cette combine, où des promoteurs véreux amassent des millions en convainquant des investisseurs d’acheter des actions à la valeur gonflée.

Basée sur une histoire vraie, cette manigance n’existe pas seulement à Wall Street.

Les loups

Les problèmes pour Dan Ryan et Carol McKeown commencent à la suite de la création de XplosiveStocks.com, un site de promotion dédié au marché des petites actions, lancé avec un jeune employé nommé Eric Van Nguyen.

La grande récession de 2008 créera un contexte favorable pour leur entreprise. « Quand la bourse plantait, notre site montait. On a dit : "Wow, ça marche bien" », se rappelle Dan Ryan.

«Les offres étaient très grosses tout à coup, comme par magie.» – Dan Ryan

Ils font des millions de dollars. Si bien que leur jeune employé, qui avait eu l’idée de créer XplosiveStocks.com, décide de faire bande à part et de quitter l’entreprise… avec les accès du site Internet.

Le couple poursuit alors en justice Eric Van Nguyen. Ils changeront d’idée après la visite d’un homme proche de la mafia.

L’ami de Vito Rizzuto

Celui qui vient les voir est Tony Papa, un propriétaire de salons de coiffure qui a déjà possédé une entreprise de recouvrement.

Mais l’homme d’affaires est surtout connu pour ses liens avec des membres influents de la mafia.

Dans une rare entrevue qu’il nous a accordée, M. Papa avoue qu’il était un ami du défunt parrain de la mafia montréalaise Vito Rizzuto et de Moreno Gallo, un mafioso montréalais abattu au Mexique en 2013.

Il nie toutefois avoir fait des affaires avec eux ou être lié à la mafia italienne de Montréal.

« Quand je parlais avec Vito [Rizzuto], ce n’est pas parce qu’il était le chef de la mafia. Pour moi, c’est Vito, mon ami. Même chose avec Moreno [Gallo] [...] On était des amis. Mais ça finit là », nous a-t-il dit.

«Je ne suis pas associé avec la mafia. Vito était un très cher ami à moi.» – Tony Papa

Dan Ryan dit que Tony Papa lui a demandé d’abandonner sa poursuite contre Eric Van Nguyen, sans quoi il finira « dans le fond d’un coffre de voiture ». L’homme d’affaires voulait devenir partenaire avec son ancien employé, soutient M. Ryan, ajoutant qu’il est venu le menacer à deux reprises.

Tony Papa rejette du revers de la main ces allégations. Il affirme n’avoir jamais menacé personne et plus particulièrement Carol McKeown et Dan Ryan. Ce dernier est un alcoolique qui souffre de paranoïa et a tout inventé, dit-il. Ce que nie M. Ryan.

Quoi qu’il en soit, Dan et Carol abandonneront leur poursuite.

Tony Papa avoue avoir lancé une entreprise avec le jeune Eric Van Nguyen. Mais après deux jours, il change d’idée. « On a fermé la porte. On n’a jamais fait affaire. On n’a même pas fait un deal ensemble », dit-il, affirmant ne pas avoir voulu manipuler des actions à faibles valeurs.

Si l’ami de Vito Rizzuto n’est pas poursuivi par l’AMF dans cette affaire, il a toutefois eu des démêlés avec l’Agence du revenu du Canada (ARC). C’est un vieux routier des penny stocks.

De 2002 à 2007, ce marché aurait été sa principale activité, indique l’ARC dans une poursuite judiciaire.

Des poursuites

Après avoir mis une croix sur l’aventure XplosiveStocks, Dan et Carol lancent un nouveau site pour promouvoir des penny stocks.

Le succès de leur nouvelle plateforme dépasse leurs attentes. Ils feront des millions de dollars, une fois de plus.

Un matin de juin 2010, en voulant régler l’addition au restaurant, ils s’aperçoivent toutefois que leur carte de guichet ne fonctionne plus. L’AMF et les autorités américaines qui enquêtaient sur leurs activités avaient fait bloquer leurs fonds.

Puisque l’affaire est devant les tribunaux, l’Autorité des marchés financiers n’a pas voulu émettre de commentaires.

De son côté, Eric Van Nguyen ne ralentit pas ses activités sur le web. Les sites promotionnels de penny stocks qu’il gère se multiplient. Il s'associe à John Babikian, un autre jeune loup qui opère dans le même domaine.

Ce dernier collectionnait les voitures de luxe et possédait des maisons à Los Angeles et aux Bahamas. Il s’était acheté une luxueuse résidence à Laval et planifiait construire sur le terrain une maison de 900 mètres carrés à l’image de celle de Tony Stark dans le film Iron Man.

Les excès de John Babikian lui ont valu l’attention du fisc. En 2012, Revenu Québec lui réclame 6 millions de dollars. Ensuite, c’est l’Agence du revenu du Canada qui voudra récupérer 15 millions de dollars.

John Babikian n’a pas eu à faire face à la justice canadienne, puisqu’il vit maintenant à Monaco.

En 2014, l’organisme fédéral américain de réglementation des marchés financiers, la SEC, a déposé des accusations contre un autre groupe de promoteurs boursiers pour une fraude totalisant plus de 200 millions de dollars. Parmi eux : John Babikian et Eric Van Nguyen.

Ce dernier serait toujours au Canada, mais nos tentatives pour le joindre sont restées vaines.

De leur côté, Dan et Carol sont en attente de leur procès, qui aura lieu en février 2018.

Avec la collaboration d’Isabelle Richer

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