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Les voies ensoleillées et les crises de croissance de Justin Trudeau, vues par ses amis

La première année de Trudeau au pouvoir a surpris même ses amis les plus proches
Sean Kilpatrick/CP

OTTAWA – «Je suis vraiment bon!» C’est ce que Justin Trudeau répond, le 7 juin, après avoir été questionné sur ses premiers mois à la tête du pays. Les médias étaient rassemblés pour la réception en plein air annuelle du 24 Sussex Dr., la résidence officielle du premier ministre canadien.

Justin Trudeau n’ajoute pratiquement rien. Il dit qu’il prend tranquillement ses aises et qu’il adore son boulot. Il aime poser des questions et il a maintenant la chance d’en poser plusieurs. Avant que les médias ne l’assaillissent, un proche l’accoste et il se fond dans la foule.

Le chef libéral est alors premier ministre depuis sept mois et trois jours. Sa cote de popularité atteint 68 %, selon un sondage mené auprès de 2 271 Canadiens par Forum, le jour même.

La controverse, le mois précédent, autour du «coudegate» – Justin Trudeau avait accidentellement heurté la députée néodémocrate Ruth Ellen Brosseau avec son coude après avoir bondi de son siège pour aller chercher le whip conservateur afin que les députés puissent procéder à un vote – n’avait pas jeté de l’ombre sur sa popularité. Forum suggérait que les libéraux obtiendraient 230 sièges – 46 de plus qu’aux élections du 19 octobre 2015 – si un scrutin était tenu à ce moment.

Aujourd’hui, un an après l’assermentation de Justin Trudeau comme 29e premier ministre du Canada, sa cote d’approbation est toujours bien au-dessus des 50 %, selon plusieurs sondages.

Pour souligner sa première année au pouvoir, Huffington Post Canada a parlé à plusieurs de ses amis, conseillers et collègues du cabinet et du caucus libéral, afin de voir comment ses proches perçoivent le premier ministre. Au Bureau du premier ministre, certains ont refusé de nous parler. Sophie Grégoire Trudeau et la mère de Justin Trudeau ont aussi décliné notre offre.

Le portrait qui émerge de nos rencontres est celui d’un homme confiant, curieux, décidé et plus tenace que jamais, mais qui devra apprendre à gérer un caucus ambitieux et répondre aux attentes des Canadiens.

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«Je ne suis pas surpris qu’il se plaise à ce poste», indique Terry DiMonte, un animateur radio de Montréal chez qui Justin Trudeau avait trouvé refuge après la mort de son père, Pierre Elliott Trudeau, en 2000. «J’ai toujours cru qu’il était un leader né. Il aime diriger l’orchestre.»

C’est quelque chose à laquelle Justin Trudeau réfléchissait depuis un long moment, ajoute M. DiMonte.

Comme plusieurs des camarades du premier ministre, Thomas Panos souligne que la dernière année a dépassé ses attentes. «Je ne croyais pas que mon ami pouvait faire aussi bien qu’il l’a fait dans les 12 derniers mois», affirme le Vancouverois. Je suis tellement fier de lui. J’en ai des frissons!»

Il y a trois ans, avant que Trudeau ne remporte la course à la chefferie du Parti libéral, M. Panos avait indiqué au Huffington Post qu’il n’était pas certain si son ami était prêt à diriger le pays.

«Je ne connais pas beaucoup d’hommes de 40 ans qui sont prêts à devenir premier ministre», avait-il dit à l’époque. Puis, les élections sont arrivées. Thomas Panos a vu Justin Trudeau s’améliorer au fur et à mesure que la campagne avançait. Il semblait plus confiant. Ses discours étaient plus solides. Il était meilleur dans les débats. «Ils n’ont pas volé la victoire, dit M. Panos. Ils se sont battus et l’ont emporté. Pour moi, c’est ce qui est le plus remarquable dans tout ça.»

«Il a toujours appris très rapidement», note Marc Miller, ami de Justin Trudeau depuis le début du secondaire et député de Ville-Marie–Le Sud-Ouest–Île-des-Sœurs, à Montréal. «Il peut tout assimiler rapidement et le recracher par la suite. C’est un talent que plusieurs envient.»

Entrevue avec Marc Miller (en anglais)

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Le gouvernement Trudeau a été critiqué – mais aussi applaudi – pour ses dépenses budgétaires qui créeront un déficit trois fois plus important que ce qui avait été annoncé en campagne électorale. Alors qu’ils ignorent quand ils pourront revenir à l’équilibre budgétaire, les libéraux ont aussi été critiqués pour avoir imposé une taxe sur le carbone afin de freiner les émissions de gaz à effet de serre et pour avoir approuvé le projet de pipeline Pacific NorthWest LNG dans l’ouest du pays.

Le premier ministre a choqué plusieurs groupes autochtones en appuyant ce projet de pipeline et en renversant sa décision d’adopter mot pour mot la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il a aussi récemment indiqué qu’il n’allait pas réformer le mode de scrutin canadien en vue des élections de 2019, contrairement à ce qu’il avait affirmé en campagne.

Mais Justin Trudeau a aussi honoré plusieurs promesses.

Il a, comme prévu, approuvé l’accueil de 25 000 réfugiés syriens, accordé des baisses d’impôt à la classe moyenne, haussé le taux d’imposition des plus riches, accordé des subventions plus généreuses aux parents, négocié l’expansion du Régime de pensions du Canada, ramené le formulaire long du recensement, formé un cabinet paritaire, redonné la parole aux scientifiques du gouvernement, formé un conseil jeunesse, lancé une enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, établi un comité sur la réforme électorale, annoncé la réouverture du poste de garde côtière de Kitsilano et établi de nouveaux processus pour les nominations au Sénat et à la Cour suprême.

Son gouvernement a aussi voté un projet de loi controversé sur l’aide à mourir, a placé en danger les soldats canadiens devant aider la coalition visant à défaire le groupe État islamique et a indiqué vouloir envoyer les troupes canadiennes dans des missions de paix à risque de l’ONU.

Justin Trudeau n’a pas peur de prendre des décisions difficiles, même si cela implique qu’il se mette à dos certaines personnes, indiquent ses amis et collègues.

«Je crois que les gens le voient davantage aujourd’hui. Nous le savions, mais c’était plus difficile à voir alors que nous n’étions qu’une poignée dans l’opposition, souligne Kate Purchase, directrice des communications de Justin Trudeau et membre du personnel libéral depuis trois ans.

L’une des décisions les plus difficiles que le premier ministre et son cabinet ont dû prendre concerne l’aide à mourir, indique Mme Purchase. Le gouvernement libéral était pressé de permettre à des personnes faisant face à une mort imminente de recourir à une aide à mourir. Mais les libéraux ont choisi une voie plus restrictive qui, selon plusieurs spécialistes et députés, ne rencontrait pas les standards de la Cour suprême.

«Pour plusieurs, c’est une affaire tellement personnelle. C’est un dossier compliqué. Écrire les lois et prendre des décisions dans ce dossier n’a pas été facile pour personne, surtout pour le premier ministre» poursuit Kate Purchase. Justin Trudeau souhaitait prendre une décision qui tenait compte de plusieurs opinions exprimées, selon la directrice des communications.

Bien que Mme Purchase souligne l’envie du premier ministre de «faire consensus», elle avoue que l’homme est aussi prêt à poser des «gestes audacieux», comme l’idée d’imposer une taxe sur le carbone.

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Terry DiMonte se souvient d’avoir remis en question, lors d’une discussion survenue il y a 10 ans, la pertinence d’une taxe du carbone. Il croit fermement que lorsque le premier ministre prend une décision, c’est qu’il croit bien faire.

Cette semaine, le gouvernement a misé sur des années, voire des décennies, de déficits afin d’investir massivement dans les infrastructures, dans le but d’attirer des investissements étrangers et de stimuler l’économie.

Les conservateurs ont critiqué le plan, arguant que le déficit de 30 milliards du gouvernement Trudeau n’avait toujours pas ajouté un seul emploi à temps plein au pays ou même stimulé l’économie, et que les travailleurs, les familles et les employeurs seraient forcés de payer la note pour les générations à venir.

Le premier ministre «prend des risques» et est quelqu’un «qui n’a pas peur», indique Marc Miller. «Je crois que pour occuper ce poste, il ne faut pas trop s’en faire avec ce que les autres disent, lance-t-il. Plusieurs d’entre nous avons peur d’être jugés. Depuis que je le connais que les gens le jugent…»

«Lorsque nous étions plus jeunes, il voulait toujours être le chef», souligne Mathieu Walker, un ami proche de l’école secondaire et aujourd’hui cardiologue, à Montréal.

«Parfois, nous le laissions faire. Pas toujours. Mais il finissait souvent par dicter ce que nous allions faire ce soir-là ou nous dire dans quel club nous allions sortir, explique M. Walker. Il a toujours été comme ça. Il sait exactement ce qu’il veut.»

Mathieu Walker se souvient de ce que Justin Trudeau lui avait dit, pendant la campagne, juste après que les libéraux eurent affirmé qu’ils prévoyaient des déficits : «Je vais être le prochain premier ministre.»

«Je croyais qu’il était fou! poursuit le cardiologue. Il était troisième dans les intentions de vote. Et il avouait que son parti créerait des déficits? Ce n’est pas quelque chose dont on se vante habituellement. Mais il savait ce qu’il faisait.»

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La première année de Justin Trudeau au pouvoir a été encore plus heureuse que bien des gens de son entourage auraient pu l’imaginer.

«Comment je perçois cette première année? C’était super!» a indiqué, jeudi, un Justin Trudeau moqueur, avant même que les journalistes ne lui posent la question.

«J’ai fait beaucoup pour la classe moyenne et ceux qui travaillent fort. Tenir cette promesse était très important pour moi», a dit le premier ministre, avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles.

Obtenir l’accord des provinces sur le Régime des pensions du Canada, annoncer l’arrivée d’une taxe sur le carbone – promise en campagne électorale – et changer la façon dont le premier ministre interagit avec le public sont à la tête de la liste des bons coups de Justin Trudeau, selon son entourage.

Les moins bons coups incluent le départ du cabinet et du caucus de Hunter Tootoo. Perçu comme une étoile montante du parti, M. Tootoo s’est retiré de ses fonctions avant d’être admis dans un centre pour alcoolodépendance. Nous avons su plus tard que Justin Trudeau lui avait demandé de quitter après avoir appris que Hunter Tootoo avait eu des inconduites sexuelles avec une femme de son personnel. Le ministre voyait aussi la mère de celle-ci.

Selon Kate Purchase, un des moments difficiles a été la décapitation de John Ridsdel et Robert Hall, deux Canadiens tenus captifs par l’organisation extrémiste Abou Sayyaf, aux Philippines.

«C’est la chose la plus difficile que j’ai vécue dans ma carrière», souligne-t-elle.

Bien que Justin Trudeau ait affirmé publiquement que le Canada n’allait pas négocier de rançon avec des terroristes, Mme Purchase indique que le gouvernement a exploré plusieurs avenues afin de libérer les deux hommes. «Nous savons quelles sont les conséquences et tout le monde travaille très fort pour ne pas en arriver là. Mais malheureusement, ça ne fonctionne pas toujours.»

Alors que les libéraux ont commencé leur deuxième année au pouvoir, Kate Purchase souligne qu’ils devront redoubler d’effort pour assurer un lien fort avec les Canadiens, afin que ceux-ci aient l’impression de faire partie du changement proposé par le gouvernement.

«Il faudra s’assurer d’être toujours là pour parler aux Canadiens. Il faut toujours rester connectés et, surtout, ne pas s’isoler à Ottawa et perdre le fil sur ce que vit le pays», explique la directrice des communications.

Elle rit quand on lui demande sur quoi son patron devrait travailler. «Il doit continuer à se lancer des défis et s’intéresser aux Canadiens. C’est facile, lorsqu’on est premier ministre, de s’isoler», croit-elle. Nous avons senti que ce n’est pas vraiment ce qu’elle voulait dire, mais son travail est de véhiculer le message du gouvernement…

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Récemment, les libéraux ont été dans l’embarras, à cause d’histoires d’activités de financement privées auxquelles aurait participé au moins une personne ayant des liens avec le gouvernement. Les questions autour du déficit ont creusé un énorme fossé entre libéraux et conservateurs. Et l’idée de faire intervenir le secteur privé dans le plan pour les infrastructures pourrait donner des munitions à un NPD affaibli.

Le gouvernement essuie aussi les critiques de plusieurs groupes – dont les jeunes, les Autochtones et les fonctionnaires – qui dénoncent la violation de plusieurs promesses électorales.

Thomas Panos croit que plusieurs dossiers, comme l’approbation probable du pipeline Kinder Morgan, apporteront leurs lots de défis lors de la deuxième année du gouvernement Trudeau.

«Les libéraux vont prendre plusieurs décisions qui rendront bien plus difficiles les prochaines élections, prédit-il. Il faut s’attendre à voir tomber la bonne volonté de plusieurs s’ils veulent diriger le pays de la façon dont on doit diriger un pays aujourd’hui. J’espère que les Canadiens vont comprendre qu’ils le font pour les bonnes raisons.»

Marc Miller, qui est aussi président du caucus québécois formé de 40 députés, dit qu’il a vu les talents de gestion de son ami s’améliorer dans la dernière année. Il croit que le premier ministre apprend à prendre du recul.

«En cette deuxième année, nous devons livrer la marchandise, souligne-t-il. Le premier ministre a maintenant une équipe d’étoiles à ses côtés et il doit en tenir compte.»

Marc Miller affirme que Justin Trudeau est monté au front pour assurer la victoire de son équipe lors des élections et qu’il adopte désormais une stratégie d’observation. Le premier ministre s’ouvre davantage aux différents points de vue de son caucus et laisse la place à ses ministres, qui sont aussi imputables de leurs erreurs.

Il y a un an, Justin Trudeau essayait de répondre à toutes les questions et tentait de résoudre tous les problèmes, aux dires de Marc Miller. Aujourd’hui, il prend du recul, il consulte son équipe et délègue davantage.

Ce texte initialement publié sur Huffington Post Canada a été traduit et édité de l’anglais.

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