La SQ a aussi épié des reporters
Les registres téléphoniques de six journalistes, dont un du Journal, ont été fouillés pendant plusieurs mois
L’affaire des journalistes espionnés par des policiers ne cesse de prendre de l’ampleur. Après la police de Montréal, c’était au tour de la Sûreté du Québec d’avouer hier qu’elle a déjà scruté les communications de six reporters, dont celles de notre journaliste aux affaires criminelles, Éric Thibault.
Depuis lundi, les révélations se multiplient et on compte désormais au moins 10 journalistes québécois qui ont fait l’objet d’une forme de surveillance policière ces dernières années.
Le porte-parole de la SQ, le capitaine Guy Lapointe, a ainsi confirmé qu’une «enquête sur des allégations criminelles de divulgations illégales de contenus obtenus dans le cadre d’une écoute électronique» avait été amorcée à l’automne 2013 et qu’elle visait, entre autres, six journalistes.
Ceux-ci sont connus et respectés, tant par le public que le milieu de l’information. Outre Éric Thibault, du Journal de Montréal, Marie-Maude Denis, Isabelle Richer et Alain Gravel, tous trois de Radio-Canada, figurent parmi les reporters espionnés. Le chef de bureau de La Presse à Québec, Denis Lessard, et le chroniqueur judiciaire retraité André Cédilot complètent le tableau.
L’enquête qui a mené à l’espionnage de ces journalistes a été ordonnée à l’époque par l’ancien directeur général de la SQ, Mario Laprise, comme le révélait Le Journal en primeur hier après-midi.
Plusieurs mois
En vertu d’autorisations judiciaires émises par un juge, des enquêteurs des Affaires internes ont fouillé les registres téléphoniques des journalistes pendant plusieurs mois afin d’identifier d’où provenaient certaines informations publiées concernant l’ex-président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Michel Arsenault.
Peu avant, des reportages avaient dévoilé que M. Arsenault était l’objet d’une surveillance électronique par la SQ. On y apprenait que le patron de la centrale syndicale était sous écoute dans le cadre du projet Diligence — visant à contrer l’infiltration du crime organisé dans la construction — et qu’on l’avait du coup écarté d’un siège au sein du conseil de la Caisse de dépôt.
Mécontent que la chose soit révélée, l’ex-président de la FTQ avait écrit au ministre péquiste de la Sécurité publique de l’époque, Stéphane Bergeron, pour s’en plaindre.
Quelques heures plus tard, le directeur Laprise déclenchait l’investigation qui mènerait à la surveillance des six journalistes. Celle-ci n’a jamais abouti ni mené au dépôt d’accusations. L’affaire a été classée à l’été 2014.
Déjà à l’époque, nos sources révélaient que la décision d’enquêter ne faisait pas l’unanimité au sein de la SQ. D’ailleurs, les détails des opérations n’auraient été connus que de la garde rapprochée du directeur Laprise. Même le directeur des poursuites criminelles et pénales n’a pas été avisé ni consulté sur la marche à suivre.
M. Laprise, qui occupe maintenant le poste de vérificateur interne à Hydro-Québec, a refusé de commenter. «On va laisser aux gens le temps de faire leur travail», a-t-il glissé, en référence à l’enquête administrative qui a été annoncée hier, lorsque joint par Félix Séguin, de notre Bureau d’enquête.
Des mesures immédiates
« Je suis surpris et déçu, pour la simple raison que je n’ai écrit qu’une seule fois sur Michel Arsenault, en 2014. Comment un juge de la paix a donc pu autoriser un mandat de surveillance de mon cellulaire, si ce n’est que par association avec ma femme, Marie-Maude Denis, qui a fait plusieurs reportages à son sujet ? Est-ce que c’est suffisant comme motif raisonnable pour qu’un juge autorise un mandat ? Il est permis d’en douter.»
«Je ne suis pas surpris. J’ai passé 10 ans à faire de l’enquête journalistique. J’ai toujours tenu pour acquis qu’il était possible d’être écouté par la SQ ou par des gens qu’on n’aime pas beaucoup qui ont des moyens pour pouvoir nous surveiller.
« Je suis extrêmement ébranlée de savoir que ça se peut au Québec. J’ai toujours été super prudente, j’ai vraiment fait de mon mieux pour protéger mes sources confidentielles, mais je ne me bats pas à armes égales avec les pouvoirs de la police. »
«Je trouve cela scandaleux, je suis tombé de ma chaise. Je n’aurais jamais cru cela possible, et qu’ils seraient allés jusque-là.»
«Je commence à être de plus en plus parano. J’ai perdu toutes mes belles illusions et il n’y a plus rien qui m’étonnerait. Maintenant, je crains que les méthodes de Mario Laprise [l’ex-patron de la Surêté du Québec] et compagnie aient été encore plus intrusives et plus graves et que nous ayons fait l’objet d’écoutes électroniques illégales.»
– Isabelle Richer, journaliste à Radio-Canada
♦ Joint par Le Journal hier soir, l’ancien chroniqueur judiciaire de La Presse André Cédilot n’a pu commenter, disant ne pas encore avoir été avisé qu’il faisait partie des six journalistes visés par l’enquête de la SQ.