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Tout ce que Jacques Corriveau n'aura pas dit aux jurés

Tout ce que Jacques Corriveau n'aura pas dit aux jurés

Des déclarations confuses, de l'amertume et beaucoup, beaucoup de blancs de mémoire. C'est ce qui ressort du témoignage sous serment de l'ex-organisateur libéral de 83 ans, qui a passé presqu'une journée complète à la barre des témoins pendant son procès. Mais les 12 jurés qui délibèrent sur son sort n'en ont aucune idée.

Un texte de Geneviève Garon

Celui qui est décrit comme l'un des acteurs principaux du scandale des commandites oublie tout. Que ce soit sa liste d'épicerie, l'année de la mort de son épouse ou encore le témoin entendu quelques jours plus tôt à son procès.

Il n'arrive pas, non plus, à se souvenir du troisième chef d'accusation qui pèse contre lui. Et la situation est loin de s'améliorer. C'est la triste réalité décrite par l'octogénaire... mais qui n'est pas corroborée par son évaluation psychiatrique.

«J'oublie facilement ce que je peux vivre, même une demi-heure après. [...] C'est ça qui est le drame de ma mémoire, maître.»

- Jacques Corriveau

Il tente d'éviter son procès

L'ancien organisateur libéral n'a pas témoigné dans le cadre de son procès. Les jurés ont pu l'observer à souhait tous les jours, mais ils n'ont jamais entendu sa version du scandale des commandites.

Pourtant, Jacques Corriveau s'est bel et bien présenté à la barre des témoins, mi-octobre. Mais les sièges des 12 jurés étaient vides ce jour-là. Jusqu'à la fin des délibérations, ils ne pourront jamais savoir que M. Corriveau a pris la parole. Ils ne pourront donc pas tenir compte de ce qui suit pour en arriver à un verdict.

L'accusé a témoigné, puisque la défense a présenté une requête en arrêt des procédures. Elle devait être débattue hors jury. Jacques Corriveau a été accusé en 2013 pour des événements qui se seraient produits entre 1997 et 2003.

L'avocat de l'accusé, Me Gérald Soulière, a entre autres plaidé que ces délais étaient beaucoup trop longs. M. Corriveau aurait développé un début d'alzheimer et de démence dans les dernières années. « Le passage du temps a diminué sa capacité de se défendre », selon son avocat.

Lors de son témoignage, Jacques Corriveau a tout fait pour convaincre le juge Jean-François Buffoni qu'il perd de plus en plus la carte. Voici ce qu'il a déclaré.

Cancers, quadruple pontage et genoux mécaniques

Jacques Corriveau prend dix médicaments par jour, dont plusieurs pour contrôler le stress. Sa description de ses cancers et de ses interventions chirurgicales est précise, mais il est incapable de les situer dans le temps.

Son épouse, qui avait la maladie d'Alzheimer, est décédée dans les dernières années, mais il ignore quand. Il a une nouvelle femme dans sa vie, Hélène Paul, qui l'accompagne à tous ses rendez-vous et l'aide à cuisiner : « Si je ne l'avais pas, je ne serais pas ici. Je serais sous terre. »

Il affirme perdre la mémoire graduellement depuis quelques années et soutient que son état s'est aggravé au cours des derniers mois. Une de ses avocates, Me Vanessa Dorval, témoigne du fait qu'il a pris un « coup de vieux » cet été. Il est confus, au point où ses avocats lui parlent peu de stratégie, puisqu'il ne comprend pas.

Un rapport psychiatrique normal

Par contre, le psychiatre qui a évalué Jacques Corriveau en janvier dernier dresse un portrait très différent de la situation.

Le docteur Jacques Bouchard a souligné que M. Corriveau « a une bonne mémoire des faits anciens et récents », même s'il lui arrive parfois de perdre le fil de ses propos. Il ne note pas de signe d'anxiété ou de dépression.

Un témoignage confus

En contre-interrogatoire, M. Corriveau commence par dire qu'il n'a aucun souvenir de ce dont il a discuté avec le psychiatre. Quelques instants plus tard, il affirme que « ses questions, pour moi, n'étaient pas de nature d'un psychiatre ».

Autre exemple, au début de sa déclaration, il affirme avoir déjà consulté un médecin pour des « problèmes cognitifs ». Une heure plus tard, en contre-interrogatoire, il s'étonne à deux reprises du mot « cognitif » et demande qu'on lui en explique la signification.

Jacques Corriveau fait souvent répéter les questions et change parfois de sujet abruptement.

Refusé à l'aide juridique

Le militant libéral manifeste beaucoup de frustration lorsqu'il aborde la perquisition menée dans sa luxueuse résidence de Saint-Bruno, en 2007.

«Je n'ai jamais compris l'attitude de la GRC à mon égard. J'ai été traité comme un criminel.»

- Jacques Corriveau

Ses biens, dont sa maison évaluée à plus d'un million de dollars, sont bloqués depuis 2013. Pour survivre, il affirme avoir dû vendre son piano, sa voiture Lexus et les bijoux de sa femme.

L'homme qui est accusé d'avoir touché 6,5 millions de dollars en pots-de-vin déplore avoir été refusé à l'aide juridique.

«C'est impensable. C'est facile d'accuser un homme comme ça. Parce qu'il appartient au Parti libéral du Canada, parce qu'il connaît Jean Chrétien. C'était un criminel et c'est tout.»

- Jacques Corriveau

Commission Gomery : la mémoire faisait déjà défaut

Ceux qui ont suivi la commission Gomery se souviendront que le passage de Jacques Corriveau en 2005 avait été marqué par plusieurs trous de mémoire.

En contre-interrogatoire, Me Claude Girard porte à son attention plusieurs extraits de son témoignage.

M. Corriveau ne s'en rappelle pas, mais assure que son état a empiré. Il répète souvent que le procureur ne semble pas le croire.

«Depuis ce temps-là, maître, j'ai changé complètement. Il y a une progression de tout ça.»

- Jacques Corriveau

Requête rejetée

Le juge Jean-François Buffoni a finalement rejeté la requête en arrêt des procédures. Après avoir fait valoir des points de droit, il se prononce sur l'état cognitif de l'accusé.

Selon lui, Jacques Corriveau a un « bagou qui ferait l'envie de bien des personnes plus jeunes ». Il conclut que s'il subit une détérioration cognitive, elle est mineure.

«Même si la mémoire n'est pas parfaite, ce n'est pas suffisant pour justifier un arrêt des procédures.»

- Le juge Jean-François Buffoni

Samedi : jour 3 des délibérations

Les 12 jurés ont passé une seconde nuit en isolement.

Ils doivent se prononcer à l'unanimité sur les trois chefs d'accusation qui pèsent contre Jacques Corriveau : trafic d'influence, production de faux documents et recyclage des produits de la criminalité.

Avant de les laisser délibérer, le juge leur a fait une mise en garde usuelle : le verdict ne doit pas être teinté par la sympathie qu'ils pourraient éprouver pour l'accusé.

En d'autres mots, dans cette affaire, cela signifie que les jurés ne doivent pas se laisser attendrir par le fait que leur verdict pourrait envoyer un homme de 83 ans derrière les barreaux.

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