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«L'Autre Reflet» de Patrick Senécal: écrire, mais à quel prix? (ENTREVUE)

«L'Autre Reflet» de Patrick Senécal: écrire, mais à quel prix?
Karine Davidson-Tremblay

Sur le boulevard Saint-Laurent, plusieurs dizaines de personnes forment une file s'appropriant jusqu'au prochain coin de rue. À l'intérieur du restaurant où aura lieu le lancement et la séance de dédicace, Patrick Senécal se questionne, de son côté, sur le sens de la célébrité puis sur son intégrité artistique qu'il espère aussi pure qu'il le prétend. Flatté d'être l'objet de tant d'admiration et d'affection, il se fait pourtant un devoir de ne rien prendre pour acquis. Sa célébrité, son succès, tout comme la fidélité de ses nombreux lecteurs ne lui ont pas monté à la tête. Ils se sont arrêtés au coeur de l'auteur dont le tout dernier roman, L'Autre Reflet, porte logiquement sur l'acte d'écrire et la célébrité.

L'enfilade d'admirateurs qui n'en finit plus de prendre de l'ampleur à l'extérieur pousse Patrick Senécal à se poser la question: «Qu'attendent-ils de ce dernier roman?» Car, ce n'est pas parce qu'il écrit depuis plus de 20 ans et qu'il a énormément de succès depuis une douzaine d'années que l'écrivain ne se pose plus de questions existentielles liées à l'écriture, la célébrité et la réception de ses nouvelles œuvres par ses fidèles lecteurs.

«Après Hell.com, je me suis dit volontairement que je voulais montrer - à moi-même et aux autres - que j'étais capable d'écrire autre chose, explique-t-il. J'avais besoin de m'éloigner de cela, de ce côté trash qui semblait me coller à la peau. Je sais que certains lecteurs ont été un peu déçus de mon dernier roman (Faims) qui était moins fou et noir que d'habitude. Il y en a qui attendent que j'écrive un autre Hell.com, mais j'avais besoin de faire autre chose, d'aller ailleurs.»

L'Autre Reflet est un vrai thriller, en ce sens qu'il y a un suspense et qu'on veut savoir ce qui va arriver. C'est un roman dans la lignée du Passager ou Les Sept Jours du Talion. C'est peut-être plus old school comme type de thriller. C'est un roman beaucoup plus rythmé que Faims, qui était plus lent, plus dans l'horreur du quotidien. L'Autre Reflet, c'est un beau tour de montagnes russes dans lequel, malgré moi, je me suis rendu compte qu'on retrouvait une réflexion sur le monde de la littérature.»

L'Autre Reflet est l'histoire d'un futur écrivain enseignant de français dans une prison pour femmes qui souhaite écrire un roman. «Il écrit très bien, mais les scènes d'horreur, de meurtres, les scènes noires, il est incapable de les incarner, ni de les rendre crédibles. Une de ses étudiantes, qui est emprisonnée pour meurtre, écrit une nouvelle et, même si elle écrit tout croche, sa scène de meurtre est absolument incroyable. Donc, il décide de se servir de la nouvelle de son étudiante sans lui dire, ce qui n'est peut-être pas la meilleure idée au monde...»

Le fait que Michaël, le personnage principal, ait tant de mal à écrire ses scènes noires n'est certes pas étranger aux peurs enfouies de l'écrivain apprécié, justement, pour son côté sombre.

«La pire chose qui pourrait arriver, lorsque je présente une scène de violence au lecteur, ce n'est pas qu'elle dégoûte ou qu'elle fasse rire, mais qu'elle lasse, qu'elle laisse indifférent. Pour moi, ce serait la pire des choses, car cela indiquerait que je serais complètement passé à côté de mon but.»

Ces suites de moments violents et très noirs sont pour lui les passages les plus faciles à écrire. «Ce sont les scènes les plus amusantes à écrire, car il y a de l'adrénaline, de l'action et parce que je me trouve dans un état unique. Ce ne sont pas des scènes difficiles à écrire pour moi. Alors, justement, le piège vient de cette facilité qui pourrait me garder dans ma zone de confort. Le danger est toujours d'en mettre trop et de gâcher la scène. Je dois la rendre efficace au maximum, non seulement dans son aspect violent, mais aussi dans son aspect psychologique. Cela m'intéresse autant, sinon plus, que la violence graphique. Je me demande toujours si mon lecteur va comprendre exactement ce qui se passe dans la tête du personnage qui est en train de poser ce geste-là.»

Vivre avec et non pour le succès

Cette reconnaissance que le personnage principal de L'Autre Reflet expérimentera (à l'extrême, peut-on se permettre d'imaginer) représente, pour l'auteur, «une espèce d'interrogation sur ce qu'est le succès; ce qu'on en fait et comment on le gère.»

«Tous les écrivains veulent être lus, mais la question est: qu’est-on prêt à faire pour être lu? C'est une réflexion que je n'ai pas encore à avoir, car, je suis chanceux, ce que j'écris - et que j'aime écrire – fonctionne», explique celui qui se dit flatté, mais aussi légèrement agacé lorsqu'on le décrit comme le «maître de l'horreur.» «Je préférerais, si on tient à me donner un titre, «l'un des romanciers importants du roman noir», ce qui englobe plus d'affaires.»

«Je n'arrête pas de dire que je suis un écrivain pur, que le succès ne va pas influencer ce que je fais, ajoute-t-il. Jusqu'à maintenant, c'est vrai. Même lorsque je fais quelque chose d'un peu plus différent comme Malphas ou Contre Dieu, ça fonctionne pour moi. Alors, c'est facile d'être pur et de dire que je fais ce que je veux quand tout ce que je fais marche bien. Par contre, le jour où je vais écrire un roman qui ne fonctionnera pas, vais-je avoir le même discours, vais-je être aussi pur ou vais-je plutôt me dire: Tiens, et si j'écrivais la suite tant attendue d'Aliss?… J'espère que je vais rester pur. Et c'est un peu cela qui arrive à mon personnage qui au départ veut être un écrivain pur, mais qui va se rendre compte que le succès est quelque chose qui peut, malgré toi, venir te mêler dans tes valeurs.»

Patrick Senécal se méfie de la célébrité, de cette soif d'être connu à tout prix. «Je sais que je suis une personne connue, mais il n'est pas question que je joue avec ça. Quand je ne suis pas en train d'écrire, que je vis ma vie de tous les jours, je ne veux pas prendre pour acquis qu'on va me reconnaître. La célébrité, ça ne veut pas dire grand-chose au fond. Le fait d'être connu ne te donne aucune qualité. Je ne suis pas plus intéressant parce que je suis connu.»

Faire «comme si»

En vieillissant, Patrick Senécal affirme avoir besoin d'écrire sur des choses plus personnelles, comme il l'a fait dans Faims en abordant les questionnements intérieurs d'un homme au seuil de la cinquantaine. «Le roman qu'on écrit est toujours le miroir de notre vie au moment où on l'écrit, même si parfois, c'est très métaphorique.»

Son but ultime lorsqu'il s'installe pour écrire? Être au service de l'histoire qu'il raconte et tenter, toutes les fois, de faire comme si ce roman était son premier.

«Il faut essayer, quand tu écris un roman, de le faire chaque fois comme si c'était la première fois. C'est impossible dans l'absolu, mais il faut essayer. Je ne sais pas si j'y arrive, mais j'essaie très fort de faire «comme si». Il faut aussi écrire pour ceux qui ne nous ont jamais lu, qui n'attendent rien de précis de toi. La seule chose que je veux donner à mon lectorat, c'est le meilleur roman possible.»

Pour le moment, le souhait le plus cher de Patrick Senécal reste celui de toujours parvenir à vivre de sa plume. «Évidemment, j'espère garder ce lectorat toute ma vie. On s'habitue à l'amour des gens, on aime sentir qu'on est apprécié. Mais je ne suis pas naïf, je sais que tout cela est fragile et qu'il y a quelqu'un qui va prendre ma place un jour. J'espère que je vais toujours être capable de me renouveler. Et si un jour je vois que je n'arrive plus à le faire, je vais aller ailleurs, je vais faire complètement autre chose. Peut-être un roman du quotidien, tiens!»

L'Autre Reflet de Patrick Senécal se retrouvera en librairie dès le 3 novembre. Pour plus d'informations, c'est ici.

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Cinq Kopecks de Sarah Stricker aux éditions Piranha"Ce livre nous emmène dans la vie de la narratrice. Il parle de la seule faille. Enfant parfaite, élevée par un père tyrannique qui voulait qu'elle soit un géni en tout. Elle se promet une vie professionnelle assez grandiose puis épouse un homme qu'elle n'aime pas trop et tout à coup tombe amoureuse. Et toute la distance qu'elle avait auparavant s'écroule. L'amour s'incarne dans la personne d'un voisin. Il la chamboule. C'est un livre à la fois grave et très drôle. Les personnes sont danss l'exagération. La mère par exemple fait penser à Juliette Binoche dans le film Ma Loute. Le ton grave et humoristique m'a fait aimer ce livre mais aussi la peinture social du Berlin est après la chute du mur. Un roman assez complet et une chronique sociale de cette époque. Très beau style, assez chirurgical et avec un humour souvent grinçant."
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