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Avons-nous une vie sexuelle plus libre que celle de nos mères?

Avons-nous une vie sexuelle plus libre que celle de nos mères?
Happy family dining at a garden party
Hinterhaus Productions via Getty Images
Happy family dining at a garden party

"Bien sûr que nous sommes plus libres! Nous avons grandi avec la pilule, le droit à l’avortement, il y a la libération sexuelle." À la question "Sommes-nous plus libres que nos mères?", les réponses positives fusent, comme d’évidence. Comparées aux baby-boomeuses nées après la Seconde Guerre mondiale, celles qui ont été mises au monde entre 1970 et 1985 feraient enfin fi des carcans sociaux, religieux…

"Quand ma mère était adolescente et qu’un garçon s’avançait vers son groupe de collégiennes, une bonne sœur leur disait: 'Baissez les yeux, c’est le péché qui passe!', explique Caroline, 43 ans. Moi, au même âge, je sortais avec des garçons et ma mère me laissait faire ce que je voulais! Pour Marie, 38 ans, sa génération s’est surtout émancipée des hommes: "Ma mère a quitté son père pour le mien, le seul homme qu’elle ait jamais connu au sens biblique. Elle est restée avec lui parce que c’était comme ça, elle n’a jamais interrogé le modèle social qu’on lui imposait, pour finir par vivre un divorce assez amer. Moi, je ne m’impose pas de rester avec un homme si je suis malheureuse avec lui. Il me semble que notre champ des possibles est beaucoup plus vaste."

Et que dire de nos droits? Laurent Toulemon, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), s’amuse à rappeler comme on revient de loin: "Lors du débat sur la pilule, en 1967, les députés craignaient qu’avec la maîtrise de leur corps les femmes n’obéissent plus à leur mari! Et ils avaient raison. Le débat a été très dur, mais ce fut une véritable prise de pouvoir pour les femmes. Elles ont ensuite obtenu le congé maternité, la garantie de retrouver leur emploi après la naissance d’un enfant, l’égalité salariale en droit. Autre changement capital: aujourd’hui, les violences envers les femmes ne sont pas tolérées par la société. Un policier ne renverrait plus en rigolant une femme battue chez elle." Notre corps nous appartient.

Mais qu’en est-il de notre tête? Celles-là même qui se réjouissent d’être nées après 1970 avouent tout de même ressentir une pointe d’amertume en se comparant à leurs aînées. "Je sais que je suis plus libre, reconnaît Caroline, mais curieusement, je me sens moins libre. Je suis moins insouciante. J’ai l’impression de m’investir beaucoup plus dans mon travail, dans l’éducation de mes enfants. Ma mère, elle, ne savait même pas faire cuire un œuf!"

Pour la sociologue Eva Illouz, auteure de Pourquoi l’amour fait mal et Hard Romance, “Cinquante nuances de Grey” et nous, nous sommes hélas un peu naïves. Car il y a les droits et il y a la liberté, la vraie. "Notre liberté est problématique, explique-t-elle, parce qu’elle n’est pas accompagnée d’égalité réelle. Et la liberté sans égalité, c’est très dangereux, car cela justifie le pouvoir de ceux qui l’ont déjà. On nous dit: “Vous êtes libres, de quoi vous plaignez-vous?” Mais en bonne lectrice de Michel Foucault, je dirais que la liberté moderne n’est pas une libération. C’est un réarrangement subtil entre la liberté et la contrainte. Et nous sommes peut-être plus contraintes aujourd’hui."

Vis-à-vis de nos enfants, d’abord: "Dans un contexte économique très difficile, les femmes doivent les préparer dès leur plus jeune âge à une concurrence mondiale, constate la sociologue. Alors que leurs mères n’avaient qu’à s’assurer qu’ils aient le patrimoine social et culturel de leur classe qui garantissait leur avenir". Et vis à-vis de leur travail: "Contrairement au modèle scandinave où les femmes ont développé le travail partiel, explique Laurent Toulemon, on a estimé en France qu’un homme et une femme devaient travailler autant. À égalité pure. Alors qu’à la maison les hommes n’en font pas plus que leurs pères. Ils s’occupent parfois des enfants, mais jamais du ménage. Résultat, dès la mise en couple et surtout l’arrivée d’un enfant, les femmes ont d’énormes responsabilités. D’autant qu’aujourd’hui aucun foyer ne peut vivre sans un double salaire".

Et la précarité économique touche toujours plus les femmes. Or comment se sentir libre si on n’a pas l’espoir d’un lendemain heureux, le pouvoir de rêver, de penser l’avenir? "Et que dire des contraintes sociales? s’exclame Marie-Josèphe Bonnet, spécialiste de l’histoire des femmes, pionnière du MLF. Comparée à notre génération, la vôtre est d’un conformisme abyssal! Le mariage homosexuel est symptomatique. Nous, la normalité nous oppressait. Moi, je m’étais promis de ne pas me marier et de mener la vie que je voulais. Ce choix serait très difficile aujourd’hui!"

La liberté sexuelle serait-elle la seule avancée que nous aient léguée nos parents? "Le drame, reprend Eva Illouz, c’est que la libération sexuelle a été kidnappée par la société de consommation. Notre liberté est devenue liberté sexuelle. Notre pouvoir est devenu celui de jouir. Toute une économie de marché repose sur la sexualisation à outrance des femmes: la mode, les cosmétiques, le cinéma, la publicité, les lieux où se rencontrer… C’est gigantesque! Et ce marché nous contraint à nous penser en permanence comme objets de désir." Pire que le corset ou la crinoline: le devoir d’être mince, jeune, éternel objet de désir.

"Le MLF, continue Eva Illouz, a essayé de libérer la femme des canons vestimentaires, de la notion même de féminité. La culture de la consommation a effacé cela. Échapper à cette contrainte de l’injonction d’être désirable est extrêmement difficile. Nous sommes entièrement absorbées par cette tâche d’avoir un beau corps." Et d’être des machines de sexe! Les Tinder, Happn et autres applis de rencontres enjoignent à enchaîner les conquêtes. "Le modèle de la libération sexuelle féminine s’est calqué sur la sexualité masculine, reprend la sociologue. Or il est possible que cela ne nous convienne pas, que cela ne nous épanouisse pas."

En nombre de partenaires sexuels, la différence entre hommes et femmes serait en effet en train de s’estomper. "Dans les années 70, explique Vianney Costemalle, de l’Insee, la transition vers l’âge adulte était encore radicale: on passait d’un coup de son père à son mari. Un mari qui pouvait vous échoir suite à une grossesse précoce plutôt qu’à un choix amoureux. Maintenant, les femmes font de longues études, travaillent et ont donc envie d’avoir leur premier enfant plus tard; elles mènent des vies de célibataires, avec tout ce que cela implique. Elles ont plus de partenaires qu’avant, presque autant que les hommes." Et enchaînent les nuits plus ou moins torrides, sans se demander si c’est ce qu’elles veulent vraiment, si c’est une joie réelle ou une obligation sociale. Pour être une femme de son temps. "J’avoue, confie Virginie, 41 ans, qu’à mon dernier rendez-vous Tinder j’ai failli coucher avec un homme qui ne me plaisait pas vraiment, parce qu’il m’avait invitée à dîner. Je me suis sentie presque impolie de rentrer chez moi toute seule ! C’est fou!" Le monde à l’envers?

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