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Affaire Brock Turner: pourquoi certains athlètes d'université accusés d'agression sexuelle sont protégés

Affaire Brock Turner: pourquoi certains athlètes d'université accusés d'agression sexuelle sont protégés

INTERNATIONAL - Brock Turner avait tout pour réussir. Il commençait tout juste ses études au sein de la prestigieuse université de Stanford aux Etats-Unis et surtout, il était un espoir de médaille olympique en natation. Mais le futur qui lui était destiné n'aura pas lieu car entre temps, le jeune américain de 22 ans a été condamné en juin dernier à 6 mois de prison pour l'agression sexuelle d'une jeune femme inconsciente.

Surnommé "le violeur de Stanford" par les médias, Brock Turner est sorti de prison ce vendredi 2 septembre après seulement trois mois derrière les barreaux.

Cette remise en liberté prématurée relance un débat qui agite beaucoup les Etats-Unis: les athlètes stars des campus américains sont-ils privilégiés? Pourquoi est-il si difficile de reconnaître qu'ils peuvent aussi être des violeurs?

L'affaire Turner n'est pas un cas isolé

L'histoire de Brock Turner a fait couler beaucoup d'encre avant l'été, pour plusieurs raisons. La première étant qu'une longue et puissante lettre de la victime, lue pendant le procès, a fait le tour du monde. Dans celle-ci, elle s'adresse directement à son agresseur: avec précision et froideur, elle fait le récit de cette soirée qui a fait basculer sa vie. C'est ensuite une autre lettre, ahurissante, celle du père de Brock Turner cette fois, qui a fait parler d'elle. En décrivant à quel point la vie de son fils a été ruinée pour "vingt minutes d'action", il tombait exactement dans les arguments couramment employés pour minimiser les affaires d'agressions sexuelles - la culture du viol. Enfin, la peine prononcée pour Brock Turner, de six mois de prison, alors qu'il risquait quatorze années, a scandalisé les Etats-Unis.

Mais si l'affaire Turner a autant bouleversé le pays, c'est aussi parce que cette histoire a un air de déjà-vu. Aux Etats-Unis, une étudiante sur cinq a déjà été victime de viol. Et ces agressions sexuelles impliquent bien souvent des athlètes. Selon une étude relayée par le Guardian pendant l'affaire Turner, la moitié des athlètes universitaires reconnaissent avoir déjà forcé une partenaire à avoir une relation sexuelle, pour un tiers des non-sportifs.

Et ça ne s'arrête pas là, car ces athlètes seraient bien moins condamnés par la justice que les autres. Ce serait le cas de 38% d'entre eux, selon cette étude, contre près du double pour les autres. Sachant que même s'ils sont condamnés, ils peuvent s'en tirer avec de très courtes peines, comme Brock Turner.

La liste des athlètes des campus qui s'en sortent pourrait donc être très longue. Rappelons qu'en 2012, deux stars de l'équipe de football de Steubenville, dans l'Ohio, écopent de, respectivement, un et trois ans en prison pour mineurs, pour avoir violé à plusieurs reprise une mineure de 16 ans. Fin août, c'est un jeune lycéen David Becker, qui était accusé d'avoir agressé sexuellement deux de ses camarades. Le procureur avait requis deux ans de prison mais il n'a été condamné qu'à deux ans de probation et ne passera donc pas un seul jour derrière les barreaux.

Les athlètes rapportent beaucoup d'argent aux universités

Si les athlètes semblent à ce point privilégiés, ce serait en grande partie parce qu'ils sont la vitrine des universités américaines. Dans le pays, le sport est mis sur un piédestal. Il rapporte beaucoup d'argent et de notoriété aux facultés.

"Les universités américaines font du marketing avec les clubs sportifs", explique à 20 Minutes Jean-Eric Branaa, spécialiste des Etats-Unis, professeur à l'université Assas-Paris II. "Quand une équipe affiche de bons résultats, elle attire les sponsors et permet que l’on parle de l’université dans tout le pays. Les sportifs sont donc des porte-drapeaux de l’université qu’elle chouchoute, quitte à fermer les yeux sur leurs méfaits ou à en minorer les conséquences", ajoute-t-il.

Au moins 20 universités réalisent plus de 100 millions de dollars de bénéfices par an grâce au sport. Les revenus sont divers: contrats télévisuels, publicités, dons d'argent pouvant provenir de marques comme Nike ou de grands PDG.

En 2012 déjà, après l'affaire d'abus sexuels au sein de l'université de Pennsylvanie, on disait qu'il fallait remettre en cause cette culture de l'athlète roi. A cette époque, Jerry Sandusky, l’ancien assistant coach de l’équipe de football de l’université, était reconnu coupable de viol et attouchements sexuels sur mineurs. Joe Paterno, coach de l'équipe à l'époque, était au courant mais avait demandé à ses supérieurs de ne pas dénoncer Sandusky. L'université de Penn State a été condamnée à 60 millions de dollars, car elle aurait protégé la réputation de cette équipe qui lui rapportait tant de prestige. "Les sanctions de Penn State ont l’intention de punir et de remédier à la culture selon laquelle 'le sport est roi' qui a mené à de trop nombreux échecs", expliquait alors Mark Emmert, président du NCAA (association sportive américaine organisant les programmes sportifs des grandes écoles et universités).

Culte des sportifs

En outre, les athlètes universitaires sont quasiment des sujets de culte. "Si tu es le meilleur sur le terrain, tu ne peux pas faire de mal", résume une ancienne sportive sur le site Bustle. "Un samedi soir n'en était pas vraiment un sans un arrêt dans les appartements des joueurs de football américain (...) Ce type de mentalité renforce l'idée selon laquelle les athlètes dominent le capital social de l'école. Après tout, les athlètes sont ceux qui représentent l'institution, lui apportant de la fierté, des trophées et l'esprit de l'école (ainsi que des tonnes d'argent) sur le campus", détaille-t-elle.

"Oui, ils (les athlètes) méritent d'être encensés pour leurs exploits, mais marquer un but ou un point en basket ne fait pas de qui que ce soit un héros", lançait en 2015 Kareem Abdul-Jabbar, ancien champion de NBA, dans une tribune intitulée "Les universités doivent cesser de protéger les prédateurs sexuels", publiée sur le Time.

Après l'affaire Turner, un projet de loi a été déposé pour que les peines soient uniformisées et ainsi aient moins de chance d'être aménagées, même dans des cas de sportifs adulés.

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