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Une mère se bat pour donner le nom du père décédé à leur enfant (VIDÉO)

Le combat d'une mère pour donner le nom du père décédé à leur fille

Au Québec, un conjoint qui meurt avant la naissance de son enfant ne peut pas léguer son nom sans l'autorisation d'un tribunal.

Un texte de Pasquale Harrison-Julien

Lorsque David Sinclair est décédé subitement à 38 ans, sa conjointe, Isabelle Renaud, était enceinte de leur deuxième enfant. Jamais elle ne se serait doutée que le Code civil l'empêcherait de donner le nom Sinclair à son enfant, parce que le couple n'était pas marié; ni que le cas de son enfant se retrouverait dans les limbes de l'administration.

C'était un samedi matin, en octobre dernier. Au réveil, David Sinclair dit à Isabelle, sa conjointe de fait, qu'il éprouve des difficultés respiratoires. Rapidement, une ambulance arrive au domicile du couple et le trentenaire est transporté à l'hôpital. Isabelle reste pour attendre que ses beaux-parents viennent s'occuper de leur fils de deux ans, puis part le rejoindre.

« Une heure et demie en tout s'est écoulée et déjà il était mort », raconte la femme de 36 ans dans sa maison de Laval. Sans aucun signe avant-coureur, David est mort des suites d'une embolie pulmonaire. « Il est décédé comme ça, de façon cruelle et brutale » souffle-t-elle, le regard malgré tout pétillant.

Elle jette un regard sur son garçon qui joue seul, tout près d'elle. Et sur sa propre mère, venue donner un coup de main, qui berce doucement sa petite-fille de cinq mois.

Impossible de léguer le nom du père

Après une enquête rigoureuse, la Régie des rentes du Québec reconnaît à Isabelle le droit d'obtenir une rente de conjoint survivant. Son garçon et sa fille à naître auraient aussi droit à une rente à titre d'orphelin. Isabelle croyait alors avoir passé au travers du processus administratif le plus long et le plus pénible.

Elle accouche de sa fille en mars. C'est là que les problèmes commencent, après l'envoi de la déclaration de naissance.

« Dans la partie "autre parent", j'ai mis le nom de mon conjoint, David Sinclair. Et à l'endroit où normalement le père signe, j'ai inscrit "décédé". Et j'ai joint une copie de l'acte de naissance. »

La réponse de l'État civil sera brutale pour Isabelle. On lui refuse le droit de nommer sa fille Juliette Sinclair-Renaud. La lettre inclut l'article 114 du Code civil :

Ce qui veut dire qu'à la naissance, seul le parent peut reconnaître sa paternité ou sa maternité en signant la déclaration de naissance. Une exception existe pour les couples mariés où on peut présumer du lien filial. Mais comme David Sinclair n'est pas marié et n'est plus là : la présomption de paternité ne s'applique pas.

Jointe au téléphone, la mère de David, Janine Sinclair-Barthos, a la voix qui se brise à plusieurs reprises lorsqu'elle explique sa réaction lorsqu'elle a appris la nouvelle.

« C'était inconcevable pour nous qu'il y ait un certificat de naissance avec la mention de "père inconnu". Je comprends que le gouvernement ait besoin d'une preuve, mais ça aurait pu être un test d'ADN, et après, ça s'arrête-là. »

En attendant : la voie juridique

Le temps pressait pour la petite Juliette. Sa mère a embauché l'avocate Geneviève Trépanier, qui a accepté de l'aider, sans toujours compter ses heures de travail.

L'inscription à la garderie restait aussi impossible tant que le statut de l'enfant n'était pas réglé.

Suivant les conseils de son avocate, Isabelle a déboursé 671 $ pour que ses enfants et elle passent un test d'ADN établissant le lien de paternité de David.

En juillet, quatre mois après la naissance de Juliette, une magistrate de la Cour supérieure à Laval a reconnu l'urgence de la situation et a accepté d'entendre la cause. Quelques minutes ont suffi : Juliette pourra porter le nom Sinclair-Renaud, comme son frère aîné.

Malgré ce dénouement positif, Isabelle souhaite que la loi change au plus vite pour ceux qui n'auront pas la chance d'être aussi bien entourés.

« La Cour supérieure, ça implique des sous; c'est un processus assez onéreux. Est-ce qu'on ne pourrait pas simplement mettre en place par des mécanismes rigoureux comme une enquête ou un test de paternité? Si on évacue le tribunal, ce serait plus juste, plus humain et plus respectueux pour les familles en deuil. »

Toujours pas de réforme du droit de la famille

Revoir le concept de présomption de paternité était l'une des 82 recommandations faites par le comité d'experts chargé de revoir le droit de la famille, qui a remis son rapport il y a plus d'un an.

La question faisait consensus au sein du comité : appliquer des règles différentes à des couples mariés et non mariés ne tient plus la route aujourd'hui, alors que depuis quelques années, près de deux enfants sur trois naissent hors mariage.

Le comité était toutefois divisé sur les changements à apporter : la moitié des membres voulaient appliquer la présomption de paternité à tous les couples, l'autre moitié souhaiter plutôt l'abroger.

« Notre droit [familial] est devenu anachronique », martèle le professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université de Montréal Alain Roy, qui présidait le comité consultatif sur le droit de la famille.

« De plus en plus de jugements rendus par les tribunaux en témoignent. Il y a eu des jugements en matière de mères porteuses, en matière d'union de fait... Il y a la situation sur la présomption de paternité, où il y a manifestement un clivage, une inégalité. » Alain Roy ajoute qu'il y a urgence d'agir.

Au bureau de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, difficile de savoir où en est rendue la réflexion sur la réforme du droit de la famille, qui n'a pas subi de refonte depuis 1980. On nous répond qu'une annonce sera faite en temps et lieu, sans donner d'échéance.

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