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Rio 2016: Les Olympiques ont toujours été un désastre pour les démunis, et Rio ne fait pas exception (PHOTOS/VIDÉO)

JO : Un désastre pour les démunis, et Rio ne fait pas exception (PHOTOS/VIDÉO)

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Rio de Janeiro – Il y a sept ans, Vila Autódromo n’était qu’une paisible bourgade de pêcheurs située en bordure du lagon de Jacarepaguá, à proximité du circuit automobile du même nom. Négligée par les autorités municipales, comme la plupart des centaines de favelas de la région métropolitaine, elle ne pouvait compter sur pratiquement aucun des services publics offerts aux quartiers riches situés sur l’autre rive. Mais elle abritait tout de même 600 familles en 2009, année où le Comité international olympique (CIO) a confié à Rio de Janeiro l’organisation des Jeux de 2016.

«C’était un véritable paradis», affirme Luiz Cláudio Silva, qui y a vécu plus de 20 ans. «Je croyais que j’allais y passer le reste de mes jours.»

Lorsque les Jeux olympiques prendront fin, seules 20 familles habiteront encore à Vila Autódromo, car le lotissement a été rasé en presque totalité pour donner accès au Parc Olympique qui se trouve à moins d’un kilomètre.

L’une des dernières maisons de Vila Autódromo, une favela située près du Parc Olympique de Rio, a été démolie le 2 août dernier. (Photo : Ricardo Moraes/Reuters).

Les médias brésiliens n’ont pas manqué de souligner la détresse de ces familles. Ils ont rappelé les promesses des politiciens à l’effet qu’elles devaient continuer à occuper les lieux. Ces promesses ont été brisées lorsque des évictions et des démolitions ont eu lieu au mois de mars.

En dépit de cette couverture médiatique, voici ce qui arrivera lorsque les Jeux de Rio prendront fin ce dimanche : les journalistes partiront et les médias internationaux oublieront les habitants de Vila Autódromo. Leur éviction ne sera plus qu’une note de bas de page. L’attention du monde entier se tournera vers la prochaine ville hôte et ses problèmes éventuels.

Pourtant, la destruction de Vila Autódromo n’a rien d’un incident isolé. Les six Jeux olympiques d’été tenus après ceux de Séoul auraient fait jusqu’à 2 millions de déplacés, selon une étude du Centre on Housing Rights and Evictions, une ONG basée en Suisse. Les Jeux de Beijing comptent pour la moitié de ce total, tandis que les Jeux de Rio auraient fait de 70 à 90 000 déplacés supplémentaires, selon des estimations effectuées par les organisations locales de défense des droits de la personne.

Ces chiffres ont beau être contestés par les gouvernements hôtes, il reste que l’éviction des démunis en milieu urbain est un trait caractéristique des Jeux olympiques modernes; une quasi-certitude plutôt qu’un accident de parcours.

Au cours des deux dernières décennies, les Jeux olympiques ont dépassé le cadre du simple événement sportif pour devenir un moteur de réaménagement urbain. Les villes hôtes ont consacré des centaines de millions de dollars – si ce n’est des milliards – à la construction d’infrastructures et de projets devant laisser un héritage durable et positif. À Rio comme ailleurs, les politiciens ont vanté les mérites de ces investissements en les présentant comme un gage de bien commun.

Mais il est évident que les plus grands bénéficiaires des Jeux olympiques sont les promoteurs responsables de ces projets, ainsi que les résidents les mieux nantis des villes hôtes. Les pauvres sont toujours perdants au bout du compte.

«Il ne s’agit pas d’un sous-produit des Jeux, mais bel et bien d’un produit des Jeux», affirme le géographe Christopher Gaffney, spécialiste en recherches urbaines à l’Université de Zurich, professeur invité au Brésil de 2009 à 2014 et grand critique des Jeux de Rio.

Les leçons d’Atlanta

Vingt ans plus tard, les dommages des Jeux Olympiques d’été sont encore visibles dans la dernière ville américaine à les avoir tenus, c’est-à-dire Atlanta.

À la bordure du centre-ville, un immeuble d’appartements vide se distingue par ses fenêtres blanches à carreaux et ses portes recouvertes de contreplaqué vert forêt. Le terrain qui l’entoure est parsemé de souches, d’arbustes mal entretenus et de poteaux de bois ayant jadis servi à soutenir des cordes à linge. Rien n’indique qu’il figure au Registre national des lieux historiques. Pourtant, 50 000 personnes se sont rassemblées non loin de là, par un matin frisquet de novembre 1935, afin d’assister au lancement du tout premier projet de logement social subventionné par des fonds fédéraux en présence du président Franklin Delano Roosevelt.

Cet édifice du Techwood Homes Historic District est tout ce qu’il reste d’un complexe d’habitation beaucoup plus vaste démoli en prévision des Jeux olympiques d’Atlanta. Photo : Travis Waldron/The Huffington Post.

Connu sous le nom de Techwood Homes Historic District, cet immeuble est le seul survivant d’un ensemble de 22 unités démoli par la ville d’Atlanta à l’approche des Jeux de 1996, au même titre que le complexe Clark Howell voisin.

Plusieurs autres complexes d’habitation d’Atlanta ont connu le même sort. Ce sont au total 6000 habitants qui ont dû être relogés avant l’événement, mais l'embourgeoisement (gentrification) rapide du quartier au cours des années suivantes en aurait déplacé jusqu’à 24 000 autres, si l’on en croit le rapport du Centre on Housing Rights and Evictions.

Même les organisateurs les plus optimistes doutaient qu’Atlanta parvienne à obtenir les Jeux olympiques. En toute logique, c’est Athènes qui aurait dû célébrer le centenaire des jeux modernes, puisqu’elle les a organisés pour la première fois en 1896. Or, le CIO a choisi Atlanta à la surprise générale en septembre 1990.

La ville s’est empressée de lancer les travaux. Le plan d’Atlanta comprenait la construction d’un immense parc à proximité du centre-ville et d’un village olympique devant être reconverti en résidences étudiantes près de l’université Georgia Tech. Les complexes Techwood et Clark Howell se seraient retrouvés dans une position stratégique entre le parc, l’université et le siège de Coca-Cola situé un peu plus à l’ouest. Mais la pauvreté et le taux de criminalité élevé du secteur, conjugués à la pression immobilière, ont fait en sorte que le redéveloppement s’impose de lui-même.

«Les Jeux olympiques ont servi de prétexte à leur destruction»

— Larry Keating, professeur au Georgia Institute of Technology

Des promoteurs avaient lorgné ces deux complexes immobiliers dans le passé, mais la difficulté de reloger ses habitants et le manque de volonté politique ont favorisé le statu quo. Toutefois, le désir de bien paraître devant des milliers d’athlètes, de touristes et de dignitaires étrangers a changé la donne lorsqu’Atlanta s’est vu accorder les Jeux.

«Les Jeux olympiques ont servi de prétexte à leur destruction», affirme Larry Keating, professeur en planification urbaine à l’université Georgia Tech et observateur attentif de l’impact démographique des Jeux de 1996. «Sans cet événement, ils n’auraient jamais réussi à organiser une campagne aussi efficace en faveur de leur démolition.»

Les résidents de Techwood et de Clark Howell ont fait preuve de scepticisme lorsque des fonctionnaires se sont présentés aux réunions des locataires pour y annoncer de «bonnes nouvelles» dans les mois suivants l’annonce du CIO. Après tout, la ville d’Atlanta les avait négligés durant de longues années.

Mais avec la venue annoncée du gratin sportif international, ces fonctionnaires semblaient vraiment intéressés à apporter des améliorations aux infrastructures existantes. Les résidents de Techwood et de Clark Howell ont donc travaillé de concert avec la ville et les promoteurs privés afin d’élaborer un plan pouvant satisfaire toutes les parties, y compris les autorités fédérales devant apporter le financement requis.

Le plan initial ne visait pas à démolir, mais bien à rénover les deux complexes. Des versions subséquentes ont par la suite suggéré de redévelopper le site en reconstruisant un certain nombre d’immeubles, tout en permettant à la plupart des résidents de rester sur place.

Ce processus de planification s’est malheureusement embourbé durant cinq ans, pour cause de changements à la tête de la ville et de la régie municipale du logement. Entretemps, une nouvelle loi fédérale a éliminé l’obligation qu’avaient les villes de remplacer les logements sociaux détruits par un nombre équivalent de logements neufs. Le plan final a donc recommandé la démolition presque totale des deux complexes.

Dévoilé en mars 1995, ce plan prévoyait utiliser 40 millions de dollars de fonds fédéraux pour démolir 1100 logements et les remplacer par un nouvel ensemble de 900 appartements. De ce nombre, 360 devaient être réservés au logement social et environ 40 pour cent à la location au prix du marché. Les 180 unités restantes devaient offrir un loyer «abordable», c’est-à-dire subventionné par des crédits d’impôt fédéraux à l’intention des contribuables aux revenus faibles ou modérés. Ce plan a été approuvé en moins d’un mois par le Département du logement et du développement urbain des États-Unis (HUD).

Lorsque la démolition a débuté, les deux complexes étaient pratiquement inoccupés. Même s’ils étaient pleins à 90 pour cent en 1989, soit un an avant l’annonce du CIO, leur population a chuté durant les cinq années de négociations. Déjà sous la barre de 50 pour cent en avril 1993, leur taux d’occupation est tombé à 23 pour cent en octobre de la même année, selon une étude du professeur Harvey K. Newman effectuée en 2002. Bon nombre de résidents ont quitté leur logement de leur plein gré, convaincus qu’ils en seraient chassés un jour ou l’autre.

Encore aujourd’hui, les fonctionnaires d’Atlanta vous diront que cet exode était dû à l’initiative personnelle de gens voulant améliorer leur sort. Ils vous rappelleront que les résidents des deux complexes ont voté en faveur du plan préconisant leur démolition. Or, l’exode n’avait jamais été une caractéristique de ce quartier à la population stable. L’étude de Keating démontre qu’en 1990, le résident moyen de Techwood y habitait depuis près de huit ans, tandis que le tiers des familles y habitaient depuis plus de 11 ans.

Il est vrai que certains résidents sont partis de leur plein gré. Mais d’autres ont certainement été épuisés par le processus de planification et l’incertitude qui en découlait.

Selon Newman, la régie du logement a elle-même favorisé cet exode en modifiant ses règlements afin que des locataires puissent être expulsés à la suite d’infractions mineures. «Des fonctionnaires ont présenté les résultats des sondages de manière à laisser croire que la majorité des résidents de Techwood et de Clark Howell voulaient partir», ajoute Lawrence Vale, professeur au Massachusetts Institute of Technology. L’un de ces sondages, par exemple, a démontré que 51 pour cent des résidents s’attendaient à vivre ailleurs. Les fonctionnaires y ont vu la preuve que ceux-ci souhaitaient partir. En vérité, la plupart croyaient être contraints de partir un jour ou l’autre.

Selon Vale et Keating, cet exode n’a fait que précipiter le déclin du quartier. Le nombre de logements vides a fait bondir le taux de criminalité, ce qui a rendu politiquement acceptable le départ de ses derniers résidents.

À l’ouverture des Jeux olympiques, la démolition du quartier était terminée. Il ne restait qu’un immeuble portant à lui seul le nom de District historique Techwood Homes, sauvé de justesse par son inscription au Registre national des lieux historiques.

Le président Franklin D. Roosevelt a posé la première pierre du complexe d’habitation Techwood en 1935. Ouvert l’année suivante, il représentait le premier projet de logement social subventionné par le gouvernement fédéral. Photo : Bettmann/Getty Images.

Les immeubles qui ont remplacé Techwood portent maintenant le nom de Centennial Place Apartments. Leur apparence est plus agréable, et le rétablissement de la trame urbaine antérieure à la construction de Techwood a rendu le quartier plus sûr, plus attirant et plus facile à parcourir à pied.

À première vue, il semble que les autorités municipales ont relevé le défi de revitaliser le quartier et d’améliorer le sort de ses habitants.

Mais de quels habitants s’agit-il au juste?

Malgré les promesses en ce sens, peu de résidents d’origine sont revenus vivre dans leur quartier après les Jeux olympiques. Des 900 familles établies à Techwood et Clark Howell en 1990, seules 78 se sont fait attribuer un logement dans le nouveau développement.

Une étude du gouvernement fédéral tire des conclusions similaires. Au début des années 1990, le Congrès a lancé un nouveau programme intitulé HOPE VI visant à revitaliser le parc de logements sociaux à la grandeur du pays.

Comme l’a écrit le vérificateur du HUD en 1998, HOPE VI devait apporter des améliorations aux conditions de vie des gens, en sus de la brique et du mortier : «Atlanta a accompli une revitalisation physique remarquable dans les secteurs de Techwood et de Clark Howell. Toutefois, les améliorations à la qualité de vie de ses anciens habitants sont beaucoup moins évidentes.»

En faisant une nouvelle inspection des sites d’Atlanta trois ans plus tard, le HUD a découvert que cette ville avait atteint de moins bons résultats que les autres villes ayant participé au même programme sans avoir organisé les Jeux olympiques. Soixante pour cent des nouvelles unités du Centennial Place n’étaient pas classées comme étant du logement social, ce qui équivaut à plus du double de la moyenne des autres sites examinés. Par ailleurs, 5 des 15 sites comparables sont parvenus à rapatrier plus de 50 pour cent de leurs résidents d’origine, tandis qu’Atlanta n’a réussi à rapatrier que 9 pour cent d’entre eux.

«Atlanta a accompli une revitalisation physique remarquable dans les secteurs de Techwood et de Clark Howell. Toutefois, les améliorations à la qualité de vie de ses anciens habitants sont beaucoup moins évidentes. »

– Rapport du vérificateur du Département du logement et du développement urbain des États-Unis.

Atlanta a promis d’offrir une aide aux résidents évincés, sous forme de places dans d’autres complexes d’habitation ou de coupons d’aide au paiement du loyer. Mais il y a lieu de douter de la fermeté de cet engagement. Parmi les résidents qui habitaient à Techwood et Clark Howell en 1990, «plus de la moitié ont déménagé ou ont été évincés sans bénéficier de quelque assistance que ce soit et sans qu’il ne soit possible de connaître leur nouvelle adresse», observe le professeur Newman.

Parmi les anciens résidents, il y en a tout de même qui apprécient les changements apportés à leur quartier. Andrell Crowder-Jordan, ex-présidente de l’association des locataires de Techwood avant 1996, s’est vu attribuer un appartement de quatre chambres à coucher et de deux salles de bain mieux adapté aux besoins de sa famille.

«Ce changement était pour le mieux. Plusieurs des résidents que je croise encore ont une qualité de vie bien meilleure qu’avant», affirme-t-elle.

Mais qu’en est-il des résidents qui n’ont reçu aucun logement ni coupon d’aide financière? Difficile à dire. «Cinq ans après les Jeux olympiques, il était déjà impossible de savoir où avaient abouti les résidents partis avant la démolition», observe Newman. Évidemment, il est encore plus difficile de retrouver ces gens vingt ans plus tard.

Au début de l’été, Anita Beaty a feuilleté les pages de son vieux carnet d’adresses à la recherche des anciens résidents de Techwood et de Clark Howell avec qui elle avait collaboré à titre de directrice du Groupe de travail pour les sans-abri de la région métropolitaine d’Atlanta. Tous les numéros qu’elle a composés étaient débranchés, et ses recherches subséquentes n’ont donné aucun résultat.

Des résidents de Vila Autódromo affrontent la police en 2015 lors de manifestations visant à empêcher la démolition de leurs logements. Photo : Sergio Moraes/Reuters.

«Toutes les ressources utilisées pour faire d’Atlanta un village Potemkine durant les Jeux auraient pu servir à améliorer le sort des personnes déplacées», déplore-t-elle. «La concentration de pauvreté à un même endroit apporte son lot de problèmes, mais pour y remédier, il ne suffit pas de tout raser et dire "Nous ne savons pas où ces gens ont abouti."»

Même les résidents ayant eu la chance de revenir dans leur quartier sentent que quelque chose leur manque. «L’état des bâtiments est meilleur aujourd’hui, mais l’ancien quartier avait une vie communautaire plus riche», affirmait Margie Smith dans le magazine Georgia Trend en 2006. «Tout le monde se connaissait. Tout le monde se parlait et prenait soin de son voisin. Si Mme Jones était malade au bout de la rue, quelqu’un allait s’en occuper. Mais après son déménagement à l’autre bout de la ville, nous avons perdu le contact. Un jour, nous avons appris qu’elle était morte.»

«Plusieurs d’entre nous ont disparu. Nous avons obtenu de bonnes choses, mais je sens que nous en avons perdu davantage.»

Renee Glover, directrice de la régie du logement d’Atlanta de 1994 à 2013, défend son bilan et affirme que les familles de Techwood et de Clark Howell vivent beaucoup mieux qu’avant : «Parmi les résidents encore présents en 1994, tous ceux qui satisfaisaient à nos critères ont reçu de l’assistance.»

Le plan de revitalisation de Techwood, précise-t-elle, comprenait la construction d’une nouvelle école de quartier et des programmes d’aide aux résidents. Une étude réalisée par le professeur Thomas D. Boston à l’université Georgia Tech lui donne raison puisque les écoliers obtiennent de meilleurs résultats dans la nouvelle école que dans la précédente.

Selon Glover, les critiques portant sur la manière dont Atlanta a géré ce dossier ont été formulées avec un retard évident : «Personne ne se préoccupait de ces complexes d’habitation misérables, de leur taux de criminalité effarant, de l’échec scolaire des jeunes et de la dislocation des familles», ajoute-t-elle. «Mais les critiques ont fusé de toutes parts dès que nous avons tenté de trouver des solutions.»

«Où étaient ces critiques lorsque des familles éclataient l’une après l’autre? Il fallait bien commencer quelque part.»

Un scénario similaire dans l’est de Londres

Les grands projets de réaménagement urbain préolympique promettent de reconstruire les zones ciblées de manière à améliorer la qualité de vie de leurs habitants. Mais cette promesse est rarement tenue. Les quartiers tombant sous le pic des démolisseurs sont presque toujours peuplés de ménages à faible revenu, tandis que les nouveaux quartiers qui les remplacent contiennent peu de logements sociaux et sont destinés aux ménages les mieux nantis.

De 1990 à 2000, le revenu médian des ménages du secteur Techwood a augmenté de 174 pour cent, soit 10 fois plus que dans l’ensemble de la ville. En 2004, soit huit ans après les Jeux olympiques, les loyers non subventionnés de Centennial Place ont dépassé de 42 à 72 pour cent leur niveau initial, selon la taille du logement. Par conséquent, même les appartements aux loyers dits «abordables» sont devenus hors de portée des résidents qui habitaient à Techwood avant les Jeux olympiques.

« Que signifie abordable? », s’exclame Deirdre Oakley, professeure de l’Université d'État de Géorgie ayant observé attentivement ce phénomène migratoire. «Il est évident que les loyers actuels ne sont pas adaptés aux revenus des résidents d’origine.»

Un scénario similaire s’est produit à Londres, ville hôte des Jeux olympiques d’été de 2012. La municipalité avait l’intention de laisser un grand nombre de logements neufs en héritage.

La plupart des installations sportives ont été construites sur les friches industrielles de Stratford et de Newham. Ces deux quartiers de l’est de la ville souffraient d’un manque aigu de logements, ce qui n’a pas empêché la municipalité de démolir le complexe d’habitation Clays Lane de Stratford, au grand dam de ses 400 habitants. Les organisateurs ont promis de consacrer la moitié des unités nouvellement construites au logement abordable (tel que défini par la loi britannique, c’est-à-dire par rapport aux loyers moyens du même secteur).

«Il n’y a pas eu de débat ni de référendum. Ils ont juste foncé dans le tas.»

– Julian Cheyne, résident évincé de son logement à l’approche des Jeux olympiques de Londres.

Or, comme il fallait s’y attendre, les prix de l’immobilier ont monté en flèche depuis 2012. Par rapport à 2005, année où la candidature de Londres a été confirmée, les prix en vigueur à Stratford ont grimpé de 71 pour cent. Par conséquent les logements subventionnés sont devenus hors de portée des ménages à qui ils étaient destinés.

Selon Penny Bernstock, professeure à l’université de Londres-Est, il faut désormais gagner l’équivalent de 95 000 dollars par année pour être éligible à l’un des logements abordables du Parc Olympique : «Voilà qui n’est pas très abordable pour les personnes nécessiteuses.»

Les responsables londoniens ont renié leurs promesses dès la fin des Jeux de 2012. La part de nouveaux logements dits «abordables» est ainsi passée de 50 à 41 pour cent. La London Legacy Development Corporation affirme maintenant qu’un maximum de 31 pour cent des nouveaux logements seront à loyer modique.

«La gentrification de l’est de Londres aurait eu lieu de toute façon», affirme Julian Cheyne, un résident évincé de son logement de Clays Lane. «Mais sans les Jeux olympiques, il y aurait eu moins de pression et le processus aurait été plus réfléchi. Les résidents des environs en auraient tiré de plus amples bénéfices. Nous aurions eu un débat plus démocratique et utile. Malheureusement, il n’y a pas eu de débat ni de référendum. Ils ont juste foncé dans le tas.»

Un avertissement lancé aux prochaines villes hôtes

Dans un billet de blogue publié récemment dans le Huffington Post, le maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes, affirme avec enthousiasme que sa ville «s’affaire à revitaliser des quartiers négligés et entreprend des projets structurants qui figurent parmi les plus ambitieux de tous les villages olympiques».

Il reste que les résidents de Vila Autódromo et d’autres quartiers similaires ont abandonné depuis longtemps tout espoir de voir les autorités respecter leurs promesses préolympiques.

Durant sa campagne électorale de 2012, Paes a élaboré un ambitieux programme de revitalisation des favelas de Rio, qui abritent 1,4 million de personnes. Baptisé Morar Carioca, ce plan comprenait la fourniture d’électricité, la collecte des déchets, le traitement des eaux usées et la fourniture d’autres services publics essentiels. Mais il ne faisait pas partie de l’héritage olympique officiel et a été abandonné dès la réélection du politicien.

«Ne laissez pas ces événements détruire autant de vies.».

– Luiz Cláudio Silva, exproprié des Jeux Olympique de Rio.

Plus récemment, la ville de Rio a annoncé que son Village Olympique deviendrait un ensemble immobilier de prestige, avec des unités se détaillant jusqu’à 925 000 dollars. Rien n’indique que les 24 000 unités à loyer modique promises au moment de déposer sa candidature seront bel et bien construites.

Entretemps, les déplacés de Vila Autódromo font état de leur insatisfaction. En entrevue au Huffington Post Brésil, ceux-ci ont dressé une liste des problèmes survenus dans leurs nouveaux logements : «Nous avons été relogés dans un appartement pitoyable aux murs défoncés et à l’égout défectueux. J’ai porté plainte, mais rien n’a bougé », affirme Iran Souza. «La plupart des familles n’aiment pas vivre ici.»

Relogé dans un nouvel immeuble après la démolition de Vila Autódromo, Iran Souza se dit insatisfait. «La plupart des familles n’aiment pas vivre ici.» Photo : Edgar Maciel/HuffPost Brazil.

Par conséquent, les Jeux de Rio risquent de se terminer comme tous les autres, c’est-à-dire sur un fond de gravats, de promesses brisées et d’avertissements lancés en dernier recours aux citoyens des prochaines villes hôtes.

«Je conseille à ces villes de réévaluer leur candidature. Ne laissez pas ces événements détruire autant de vies», affirme Luiz Cláudio Silva, un résident de Vila Autódromo évincé de sa maison au mois de mars.

Il est sans doute trop tard pour sauver ce qu’il reste de Techwood ou de Vila Autódromo, mais le message de ses anciens habitants commence à être entendu ailleurs.

La candidature de Boston pour les Jeux de 2024 a été déposée auprès du Comité olympique des États-Unis en janvier 2015. Or, des groupes d’opposition ont exprimé leur désaccord de manière si efficace que le Comité a rejeté la candidature de Boston dès le mois de juillet de la même année.

Pour mieux transmettre leur message, les militants se sont concentrés sur le coût astronomique des Jeux olympiques et le fait que les contribuables finissent toujours par éponger la note. Ils ont également mis la population en garde contre les projets de réaménagement mal conçus ayant pour effet de déplacer la population.

«Les gens se sont réveillés et ont réalisé que l’enjeu ne se limite pas à organiser un événement sportif de trois semaines», affirme Chris Dempsey, cofondateur du groupe d’opposition No Boston Olympics. «Si vous faites du développement en lien avec les Jeux olympiques, vous allez inévitablement déplacer des personnes démunies. On dirait que c’est une partie intégrante de l’événement de nos jours.»

Travis Waldron a préparé ce reportage à Rio de Janeiro, Londres et Atlanta. Edgar Maciel a travaillé à Rio de Janeiro.

Voir aussi:

Rio 2016: les médailles canadiennes

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