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Le Canada peut-il aider le Venezuela à sortir de la crise économique?

Le Canada peut-il aider le Venezuela à sortir de la crise?

OTTAWA – Tout comme les États-Unis, le Canada croit que les acteurs politiques au Venezuela doivent entamer un « dialogue constructif » afin de sortir le pays d’une crise économique marquée par la chute des prix du pétrole. Mais le dialogue tant souhaité n’arrivera pas de sitôt. Tour d’horizon d'une nation sur le bord de l’implosion.

Le système du taux de change, mis en place en 2003 par le gouvernement d'Hugo Chavez, a engendré une crise d’hyperinflation qui a gonflé le prix des produits de consommation de base. À cela s’ajoute une fuite de capitaux que les revenus pétroliers ne peuvent plus compenser, en raison des bas prix sur l’échelle mondiale.

Résultat : les prix au consommateur augmenteront de 700% au pays du chavisme cette année, selon le Fonds monétaire international. La nourriture, les médicaments et autres produits sanitaires se font rares. Les habitants sont parfois obligés de faire la queue à l’épicerie toute la journée pour finalement arriver devant des rangées vides.

Les rangées vides d'une épicerie à Caracas, au Venezuela, en mai 2016.

Même les hôpitaux doivent se débrouiller avec peu : il manque de lait pour les bébés, de couches pour les aînés et de produits d’hygiène de base, comme le shampoing ou le déodorant.

Une jeune étudiante en médecine a confié au Huffington Post Québec que la majorité de ses patients viennent à l’hôpital où elle travaille en raison du manque de nourriture.

Et avec tout le stress occasionné par le quotidien, elle doit traiter des personnes épileptiques ou qui souffrent d’hypertension avec peu ou pas de médicaments.

La jeune femme a toutefois refusé de divulguer son nom parce que, dit-elle, le gouvernement pourrait révoquer son passeport ou son travail.

Le gouvernement du Canada reconnaît que les graves pénuries de nourriture et de médicaments au Venezuela sont «inquiétantes», et demeure prêt à répondre à la crise si le gouvernement de Nicolas Maduro demande de l’assistance humanitaire internationale.

Or, le successeur de Hugo Chavez refuse de façon catégorique toute aide extérieure. Pour tenter de pallier la crise, Maduro a nommé un superministre, le général Vladimir Padrino Lopez, qui se chargerait de la Gran Misión Abastecimiento Soberano y Seguro (Grande mission d’approvisionnement souverain et sécure).

Le but? Faire accomplir le travail par l’armée, à l’interne, au lieu de s’en remettre à la communauté internationale. Mais cette militarisation de l’aide n’est pas sans risques, prévient Ricardo Peñafiel, chercheur au Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine (GRIPAL) et professeur à l’UQAM.

« Lorsqu’on devient la courroie de transmission et qu’on détermine qui va recevoir quoi, on obtient un pouvoir immense. Padrino est comme le chien de garde. Son travail sera de s’assurer qu’il n’y aura pas de corruption. Mais ce sera impossible. »

Pourquoi un référendum?

Devant la grogne populaire, l’opposition majoritaire du Venezuela a réussi à obtenir 1,8 million de signatures – bien plus que le minimum de 200 000 – en faveur d’un référendum pour révoquer le président Nicolas Maduro.

Mais le principal intéressé refuse de reconnaître la légitimité des signatures. En fait, il a tout avantage à gagner du temps, explique Ricardo Peñafiel.

Si la consultation populaire a lieu avant le 10 janvier 2017 – soit la mi-mandat du gouvernement socialiste – de nouvelles élections pourraient avoir lieu. Si elle se tient après cette date, le président Maduro sera tout simplement remplacé par son vice-président.

« Maduro ne veut que ça : qu’on lui dise qu’il faut dialoguer. Il prétend ne faire que ça. Il est pour le dialogue, mais il ne veut rien concéder », fait valoir l’expert sur la question.

Lors de son passage au sommet des Trois Amigos, à Ottawa, le président américain Barack Obama a appelé le gouvernement vénézuélien à respecter le processus démocratique en cours et à libérer les opposants du gouvernement – parmi lesquels se trouve le chef de l’opposition Leopoldo Lopez.

Lilian Tintori manifeste contre l'emprisonnement de son mari Leopoldo Lopez.

« Les prisonniers politiques doivent être libérés. Le processus démocratique doit être respecté. Y compris les efforts légitimes pour organiser un référendum de destitution qui respecte la loi vénézuélienne », avait-il dit lors d’une conférence de presse aux côtés du premier ministre Justin Trudeau et du président mexicain.

Cette déclaration a fait bondir le ministère des Affaires étrangères du Venezuela, qui a critiqué « l’obsession interventionniste » des États-Unis et qui l’a accusé de vouloir « éduquer » le Venezuela sur « des éléments essentiels de sa vie institutionnelle ».

« C'est contradictoire et illogique d'appeler le gouvernement vénézuélien à ne pas respecter l'État de droit, avec comme seul but de satisfaire les intérêts anti-démocratiques de l'opposition vénézuélienne », a renchéri le ministère des Affaires étrangères du Venezuela.

Mais le Canada prône la même position que son voisin du sud. Dans une déclaration au HuffPost, Affaires mondiales Canada a reconnu que « les pénuries graves de nourriture et de médicaments au Venezuela sont inquiétantes » et a dit surveiller de près l’impact humanitaire de la situation sur ses habitants.

« Nous continuons à exhorter tous les partis politiques au Venezuela à se réunir dans un esprit de compromis pour régler leurs différends à l’aide de moyens constitutionnels et légaux reconnus— notamment en ce qui a trait au processus du plébiscite de révocation », a expliqué François Lasalle, porte-parole du ministère.

Plus tôt ce mois-ci, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion rappelait que le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire avait déterminé que la détention du chef de l’opposition était arbitraire et avait réclamé sa libération « immédiate ».

« La mesure la plus concrète que le président Nicolás Maduro peut prendre pour démontrer son attachement au dialogue consiste à libérer ses opposants politiques, non seulement Leopoldo López mais aussi Antonio Ledezma [maire de Caracas] et Daniel Ceballos [maire de San Cristobal], parmi d’autres », a exprimé Dion.

Une communauté internationale en attente

Les acteurs de la région s’entendent pour dire que le gouvernement du Venezuela doit poursuivre les discussions avec l’opposition et que le processus de référendum doit être entamé, tel que demandé. Mais c’est un dialogue de sourds qui a lieu à l’heure actuelle entre le parti au pouvoir et l’opposition, estime l’expert Ricardo Peñafiel.

Le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OÉA), Luis Almagro, a posé un geste sans précédent lorsqu’il a invoqué la Charte démocratique pour intervenir de façon diplomatique au Venezuela.

Dans un rapport de 132 pages, présenté en session extraordinaire, Almagro recommandait aux pays membres de l’OÉA d’appuyer l’envoi d’une aide humanitaire et la tenue d’un référendum, en plus de la libération des prisonniers politiques. Les propositions ont été acceptées par la majorité des États membres, malgré la colère de la ministre des Affaires étrangères vénézuélienne.

« Il n’y a jamais eu de secrétaire général de l’OÉA qui avait assumé un rôle aussi politique, explique Ricardo Peñafiel. D’habitude, le secrétaire général doit essayer de ménager la chèvre et le chou et ne devrait pas entrer en confrontation avec un gouvernement élu. Et ça, c’est tout à fait nouveau, mais c’est aussi normal. »

Avec des dénonciations dans les médias et les enflures verbales qui s’en suivent, le secrétaire général de l’OÉA s’assure que le cas du Venezuela ne sombre pas dans l’oubli, ajoute le professeur en science politique à l’UQAM.

À son avis, le Canada « ne peut pas faire grand-chose » pour aider la population du Venezuela pour le moment, et ce, même si la crise humanitaire est évidente.

Plus de 100 000 Vénézuéliens ont traversé la frontière colombienne pour faire leurs achats.

« Je pense qu’ils vont s’abstenir de dire ou de faire quoi que ce soit parce qu’il serait assez malvenu de faire une déclaration forte en faveur de l’application de la Charte [démocratique de l’OÉA] parce qu’elle a peu de fondements légaux. Le Canada a tout intérêt, tant qu’il n’a pas à se prononcer, à ne pas se prononcer », admet Ricardo Peñafiel.

La Colombie a ouvert sa frontière avec le Venezuela, à la fin de la semaine dernière, afin de permettre à aux citoyens de s’approvisionner. Plus de 100 000 personnes ont fait le trajet pour acheter des produits de base.

Mais la joie a été de courte durée, puisque la Colombie n’a pas l’intention d’ouvrir des frontières temporaires à nouveau avant d’en arriver à un accord définitif avec le Venezuela. Le président Maduro ne compte que sur la militarisation de l’économie, pour l’instant, afin de sortir son pays de la crise économique.

Avec l’Agence France-Presse.

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