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Un restaurant de Toronto ouvre sa cuisine aux réfugiées syriennes

Un restaurant de Toronto ouvre sa cuisine aux réfugiées syriennes

Il est tentant de jeter un coup d’œil à la cuisine débordante d’activité du restaurant The Depanneur lorsque sa porte est ouverte et laisse s’échapper une odeur d’oignons et de poulet dans la moiteur de l’après-midi.

Une douzaine de femmes – certaines portant le hijab, d’autres vêtues à l’occidentale – s’affairent à préparer un repas de trois services. Il ne s’agit pas d’employées du restaurant, mais bien de réfugiées syriennes qui ont fait leur arrivée au Canada il y a seulement trois mois.

À mille lieues de leur pays déchiré par la guerre civile, le simple fait de cuisiner redonne un sentiment d’appartenance à ces femmes déplacées, en plus de leur procurer une expérience d’entrepreneuriat inattendue.

« J’adore les odeurs de cuisson », s’exclame Majda Mafalani. « Je suis heureuse de me remettre à cuisiner. Je me sens renaître. »

Le projet connu sous le nom de Newcomer Kitchen (La Cuisine des nouvelles arrivantes) a débuté de manière informelle au mois de mars, lorsque le propriétaire du restaurant a appris que les réfugiés hébergés temporairement dans les hôtels de Toronto n’avaient accès à aucun équipement leur permettant de nourrir leur famille.

« J’étais habitué à l’idée de mettre ma cuisine à la disposition d’autrui. Alors pourquoi ne pas inviter ces gens à utiliser la cuisine de mon établissement quand nous n’en avons pas besoin? », affirme Len Senater.

Avec l’aide de bénévoles passionnées, quelques Syriennes se sont donc rassemblées autour d’un grand comptoir en acier inoxydable quelques semaines plus tard.

« Nous leur avons dit : on va cuisiner aujourd’hui », se remémore Cara Benjamin-Pace. « Elles ont regardé dans toutes les directions sans dire un mot. Puis tout à coup, elles se sont mises à travailler frénétiquement en bavardant. En moins d’une heure et demie, elles ont préparé une quantité incroyable de plats, puis nous nous sommes assises et avons fait plus ample connaissance. »

L’expérience a été répétée à tous les jeudis. Au début, les réfugiées ne préparaient que la quantité de nourriture nécessaire pour nourrir leurs proches restés à l’hôtel.

« L’une des femmes a prononcé un mot en arabe », ajoute Benjamin-Price. « Ce mot signifiait "bénir la nourriture". C’était sa manière de dire que notre petit rassemblement allait devenir grand et donner de bons résultats. C’est à ce moment que nous avons compris qu’un projet plus important venait de naître. »

Le déménagement de ces femmes et leur famille dans des logements permanents n’a pas mis un terme à leur volonté de cuisiner ensemble. Leur rassemblement informel est même en voie de devenir une véritable entreprise.

Salade de boulghour et de pois chiches cuits dans un riche bouillon de poulet, avec garniture de radis frais, de concombre et de navet mariné.

Chaque semaine, elles préparent 48 repas de trois services, mis en vente sur le site web du restaurant au coût de 20 dollars. La plupart du temps, ces repas sont tous vendus avant même qu’ils ne soient disponibles en début de soirée.

Après quelques mois d’activité, Newcomer Kitchen génère assez de revenus pour défrayer le coût des aliments et des outils et pour verser un salaire d’environ 15 dollars de l’heure à chacune des cuisinières.

La demande est de plus en plus forte, puisque celles-ci ont dû préparer les 1200 repas servis au festival Luminato. Elles ont aussi été chargées de préparer le dîner d’iftar VIP de la Fête du Canada, tenu en présence du maire de Toronto John Tory, sur invitation de la directrice média Kirstine Stewart et de son mari Zaib Shaikh.

Le maire de Toronto John Tory, en compagnie de cuisinières et de bénévoles du projet Newcomer Kitchen.

Or, l’expérience n’est pas toujours facile. « Elle est même beaucoup plus difficile que nous ne l’imaginions », précise Senater.

Il est vrai que la présence de bénévoles du Centre communautaire arabe de Toronto est encore requise pour assurer la coordination, la traduction, la garde des enfants et le transport des cuisinières dispersées aux quatre coins de la vaste région de Toronto.

Roula Ali Ajib est l’une de ces personnes clés. Cette Canadienne d’origine syrienne, qui a quitté son pays natal il y a vingt ans, fournissait au départ des services d’interprète. Elle aide maintenant les réfugiées, originaires de régions différentes, à élaborer leurs menus hebdomadaires. Son travail est entièrement bénévole.

L’équipe de Newcomer Kitchen est déterminée à transformer le projet en organisme à but non lucratif capable de voler de ses propres ailes. Elle a même lancé une campagne de sociofinancement afin d’amasser 25 000 dollars en capital de départ. Pas un sou ne sera versé au restaurant The Depanneur. Une partie de la somme recueillie servira toutefois à payer les bénévoles et à élaborer un guide « qui incitera les restaurants à mettre leurs ressources à la disposition de nouveaux arrivants au potentiel culinaire remarquable ».

La bénévole Roula Ali Ajib, à gauche, est une personne essentielle au développement du projet.

À cette fin, nous avons justement observé Rahaf Alakabni remuer la semoule destinée à la préparation d’un dessert nommé halawet el jeben, en expliquant la recette au vidéaste lui tendant un micro.

« La nourriture est l’une des principales manières d’enseigner l’histoire, la culture et les valeurs traditionnelles », explique-t-elle. « Dans notre pays, chaque ville a ses propres recettes, et il est très agréable de connaître les recettes des autres. C’est pourquoi nous tenons à partager nos expériences. »

Alakabni est l’une des plus jeunes membres de Newcomer Kitchen. Sa maîtrise de l’anglais et la formation de travailleur social de son mari ont été très utiles à la communauté de réfugiés logés dans le même hôtel. Elle souligne que la cuisine permet de renforcer les liens qui ont été créés, même après que chaque famille se soit installée dans son propre logement : « Newcomer Kitchen est un endroit où les femmes peuvent avoir du plaisir et rencontrer des gens qui les aideront à se trouver un nouvel emploi. »

Et Senater de conclure avec sa propre anecdote : « Il y a quelques semaines, une femme a montré comment préparer une recette traditionnelle régionale héritée de sa grand-mère. Une autre femme, qui n’avait jamais entendu parler de cette recette, m’a dit que le projet lui faisait connaître des aspects insoupçonnés de sa propre culture syrienne. Je lui ai répondu qu’en accueillant le groupe, j’en apprenais moi-même beaucoup sur le fait d’être canadien. »

Ce texte initialement publié sur le Huffington Post Canada a été traduit de l’anglais.

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