Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Soupçons d'irrégularités au MTQ : le patron de l'UPAC comparaîtra à huis clos

La Commission de l'administration publique convoque le patron de l'UPAC

Le commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) comparaîtra d'ici quelques jours devant la Commission de l'administration publique (CAP) de l'Assemblée nationale pour présenter les documents colligés par l'ex-analyste du ministère des Transports Annie Trudel - et stockés sur une clé USB - qui mettent le gouvernement Couillard dans l'embarras. Il témoignera à huis clos, avec les documents en main.

Les membres de la CAP ont pris cette décision de façon unanime, a fait savoir en début d'après-midi sa présidente, la députée péquiste Carole Poirier.

Robert Lafrenière « va venir nous présenter le contenu de cette clé USB et les parlementaires [le] questionneront » sur son contenu, a-t-elle dit. Cette convocation est une « première étape », a ajouté Mme Poirier, et non « une fin en soi ».

Selon sa collègue Martine Ouellet, également membre de la CAP, cette décision est le fruit d'un « compromis » entre les partis.

Les parlementaires qui siègent à la Commission pourront ensuite décider au « cas par cas » d'en prendre connaissance par eux-mêmes. Cette décision nécessitera l'approbation d'une majorité de membres, a-t-elle précisé.

« C'est certain que nous aurions souhaité avoir l'ensemble des documents pour être capables de valider les deux séries de textes, mais ça n'a pas été possible d'avoir une majorité. Nous avons fait un amendement dans ce sens-là, mais cet amendement n'a pas été retenu », a-t-elle dit.

Feuille par feuille

Le député caquiste Éric Caire n'a laissé planer aucun doute sur le fait qu'il allait demander à consulter chacun des documents. Il soutient que les membres se sont entendus pour que M. Lafrenière vienne « présenter » les documents, plutôt que les « montrer ».

« Moi, je vais lui demander de les montrer tous, feuille par feuille, parce que c'est un droit parlementaire constitutionnel qui a été reconnu hier », a-t-il lancé, en référence à une décision rendue mardi par le vice-président de l'Assemblée nationale, François Ouimet.

M. Caire dit avoir la « présomption » que l'ex-sous-ministre des Transports Dominique Savoie « a menti » lors de son témoignage devant la CAP à la mi-mai, et que des documents pourraient le prouver. « Moi, je veux avoir les documents pour être capable de savoir si on nous a menti, et jusqu'à quel point », a-t-il laissé tomber.

À l'instar de Mme Ouellet, M. Caire veut avoir la possibilité de comparer « ce qu'il y a sur la clé USB et ce qui a été produit devant la CAP ».

« D'abord, il y a le témoignage de Dominique Savoie qui nous dit : "Sur la clé USB, il n'y a rien là." Je résume grossièrement, mais en gros, c'est ça. De l'autre bord, il y a le commissaire à l'UPAC qui dit : "Il n'y a rien là-dedans que vous pouvez transmettre à l'Assemblée nationale, nonobstant le droit constitutionnel, parce que tout est de nature criminelle" », a-t-il souligné.

« Il y a quelqu'un qui nous bourre quelque part, c'est sûr. Comment moi je peux le savoir si je ne vois pas les documents qu'il y a sur la clé? » a-t-il lancé.

La décision de la CAP a été annoncée au terme d'une réunion de ses membres tenue quelques heures à peine après que le premier ministre Philippe Couillard eut assuré qu'elle était libre d'interroger le patron de l'UPAC au sujet des informations récoltées par Annie Trudel concernant de possibles irrégularités à Transports Québec.

M. Couillard avait par ailleurs affirmé que son gouvernement ne possédait pas cette clé USB.

Une lettre qui met le feu aux poudres

Dans une lettre transmise mardi à Mme Poirier, Annie Trudel - une vérificatrice embauchée par l'ex-ministre des Transports Robert Poëti pour enquêter au MTQ, et qui a démissionné en avril - déplore que le ministère ait déposé devant la Commission un document intitulé « Suivi des propositions d'amélioration de la consultante - mai 2016 » plutôt que les documents originaux qu'elle a soumis.

« Je peux vous affirmer que [ce] tableau du suivi des recommandations [...] n'a jamais été porté à mon attention ni à celle de M. Poëti, et qu'il a été produit après notre départ du MTQ, indique-t-elle. Je peux aussi vous affirmer qu'une analyse sommaire me permet de soutenir que certaines assertions sont fausses dans ce suivi; donc, je ne m'explique pas que la CAP publie sans vérification des documents erronés. » Les vraies réponses, dit-elle, sont dans la clé USB qu'elle a remise avant sa démission.

Mme Trudel déplore en outre que la CAP ait approuvé la diffusion de ce document tout en se contentant de publier la lettre du commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, dans laquelle il soutient que la clé USB comprenant tous les renseignements colligés par Mme Trudel ne doit « ni être rendue publique ni être remise » aux parlementaires qui siègent à la Commission.

Les documents déposés devant la CAP la semaine dernière peuvent être consultés sur le site de l'Assemblée nationale. Celui qui est intitulé « Suivi des propositions d'amélioration de la consultante - mai 2016 » porte le numéro CAP-013.

Annie Trudel, une agente de renseignements autrefois à l'emploi de l'Unité permanente anticorruption (UPAC)

Lafrenière peut comparaître devant la CAP, dit Couillard

Talonné par le Parti québécois lors de la période des questions à l'Assemblée nationale, le premier ministre Philippe Couillard a soutenu que la CAP est « souveraine » et que son gouvernement « n'a aucune objection à ce que le directeur de l'UPAC soit entendu par la Commission ».

Selon lui, il est cependant impossible pour son gouvernement de présenter les documents originaux remis par Mme Trudel.

«On ne l'a pas, la clé USB; c'est l'UPAC qui l'a. La Commission de l'administration publique a tout le loisir d'entendre le commissaire Lafrenière à ce sujet-là. Et M. Lafrenière pourra expliquer à huis clos pourquoi certains éléments peuvent ou ne peuvent pas être divulgués à la Commission.»

- Le premier ministre Philippe Couillard

Il a ensuite lu un extrait de la lettre de M. Lafrenière dans lequel ce dernier affirme qu'il « doit refuser de donner communication des renseignements contenus dans un document qu'il détient dans une fonction de prévention, de détection, de répression du crime ou des infractions aux lois lorsque cette divulgation serait susceptible d'entraver une enquête ».

« S'il y a des choses irrégulières qui ont été faites, on va les sanctionner, s'il y a des problèmes à corriger, on va les corriger sans aucun compromis, a ajouté le premier ministre. Cependant, on va le faire dans les principes de justice naturelle et en connaissant les faits avant de juger trop rapidement. »

Des allégations « très fortes », convient Daoust

Le ministre des Transports, Jacques Daoust, a abondé dans le même sens, non sans avoir convenu que la lettre de Mme Trudel contenait des allégations « très fortes ».

« La lettre de Mme Trudel, effectivement, comporte des mots qui sont très durs, a dit le ministre. On parle de documents fabriqués, d'affirmations fausses, de documents erronés, on dit aussi qu'il est fort probable qu'il y ait davantage d'irrégularités. Ce sont des accusations qui sont graves et qui doivent être vérifiées. »

M. Daoust assure qu'il a d'ores et déjà communiqué avec son nouveau sous-ministre pour lui demander « ce qu'il en était de ce document et de le vérifier ». Dans les circonstances, il ne portera aucune accusation avant d'avoir obtenu la réponse à ces questions.

«Ce n'est pas parce qu'une personne a écrit une lettre sur des impressions, dans laquelle elle porte des accusations qui sont fortes, que nécessairement tout ce qui est contenu dans la lettre est valide. On va commencer par enquêter, on va faire le travail correctement, et quand on aura terminé ce travail, on sera en mesure de porter des jugements. Pas avant.»

- Le ministre Jacques Daoust

« C'est clair qu'il y a des problèmes quelque part. Il faut que la lumière se fasse », avait précédemment déclaré le député libéral Pierre Reid. « Si [les documents ne sont pas exacts], c'est clair qu'on ne sera pas contents, a convenu M. Reid. Mais quand il y a des accusations, on ne saute pas tout de suite aux conclusions. On n'est pas dans le Far West, quand même! »

L'opposition exige de la transparence

Avant la période de questions, le chef intérimaire du Parti québécois, Sylvain Gaudreault, et son homologue de la Coalition avenir Québec ont tous deux déploré que Philippe Couillard se soit opposé à ce que la CAP ait accès aux informations contenues dans la clé USB d'Annie Trudel, alors que François Ouimet a conclu que l'accès des parlementaires ne pouvait être limité dans ce cas-ci.

Extrait du jugement de la décision de M. Ouimet

« Il est clair que la Commission a toujours la capacité d'exiger la production d'un document lorsqu'elle ne peut compter sur la collaboration de l'entité qui en est la détentrice. La Commission doit alors adopter une motion qui prendra la forme d'un ordre de production de document. [...] Je précise également que, si l'entité en cause a des réserves relativement à la nature des informations qu'on lui demande de transmettre, il ne lui revient pas de décider unilatéralement de ne pas les transmettre [...]

« Dans le cas présent, je comprends que l'UPAC a soulevé des préoccupations quant à l'importance de certaines informations. Je rappelle toutefois qu'il revient aux seuls députés de déterminer ce dont ils ont besoin pour exercer leur fonction de contrôleur de l'action du gouvernement. [...] Il leur appartient également de juger de la nécessité de mettre en place des mesures afin de protéger certaines des informations qui pourraient se retrouver dans les documents demandés. »

Si ce que Mme Trudel dit est vrai, « ça veut dire que les parlementaires ont été induits en erreur, et ça, c'est inacceptable », a commenté le chef péquiste intérimaire Sylvain Gaudreault. « On a besoin d'avoir l'information - la bonne et juste information - et quand il y a des documents qui sont déposés à l'Assemblée nationale, on tient pour acquis que ces documents sont vrais », a-t-il ajouté.

« Ça vient renforcer la nécessité de trouver une voie de passage pour que les documents sur la fameuse clé USB soient déposés devant les parlementaires membres de la Commission de l'administration publique », a plaidé M. Gaudreault.

«Je ne comprends pas - ou je peux m'imaginer toutes sortes de choses - le refus obstiné du premier ministre d'accepter le dépôt de documents et de trouver un terrain d'entente tout en respectant le droit des parlementaires de savoir et la nécessité d'une enquête policière, qui doit avoir quand même une protection de la preuve.»

- Sylvain Gaudreault, chef intérimaire du PQ

Le chef de la CAQ, François Legault, abonde dans le même sens. « Qu'Annie Trudel vienne nous dire que ses documents ont été modifiés, c'est très inquiétant. Et M. Couillard nous doit des explications. Ce n'est pas normal qu'un document, à la suite d'une enquête, ait été modifié par, probablement, le gouvernement. »

« François Ouimet a pris une décision qui allait dans le sens du gros bon sens, qui est contraire à celle de Philippe Couillard, a ajouté le chef de la CAQ. Moi, je voudrais qu'une fois pour toutes Philippe Couillard fasse preuve de transparence et permette que tous les documents qui ont été déposés par Annie Trudel soient remis aux parlementaires et qu'on nous explique pourquoi il y a eu des modifications au document de Mme Trudel. »

VOIR AUSSI:

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.