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Pourquoi Hillary Clinton est la mieux placée pour affronter Donald Trump

Pourquoi Hillary Clinton est la mieux placée pour affronter Donald Trump

Un groupe de chercheurs a publié à l’automne 1989 un article qui se penchait sur la manière dont les individus tordent la réalité qui les entoure, afin de la faire entrer dans leur vision du monde.

Cette enquête, intitulée "Prise de décision experte dans des situations évolutives", proposait à 11 groupes d’analystes des services de renseignements militaires un scénario réaliste sur un théâtre d’opérations, et leur demandait d’évaluer les pistes les plus probables d’attaque ennemie. Le même scénario était proposé à tous les groupes, mais avec de légères divergences afin d’aboutir à des réponses différentes. Chaque groupe disposait d’un certain temps pour étudier le cas et chacun produisit des réponses fermes.

C’est dans la suite de l’expérience que réside le fait remarquable. Les groupes reçurent une mise à jour des rapports de renseignement, et il leur fut demandé de revoir leurs conclusions à la lumière de ces nouveaux éléments. Certains de ces rapports faisaient état d’informations qui confirmaient les évaluations initiales. D’autres visaient expressément à inciter au scepticisme. La majorité d’entre eux étaient neutres. Cette étape fut réitérée à deux reprises.

Hillary Clinton n’est pas très appréciée. Mais elle est très connue. Et ça pourrait bien être plus important

Au final, le niveau de confiance des experts dans leurs conclusions aurait dû rester à peu près stable. Mais les chercheurs se rendirent compte que les différents groupes avaient sentis leur avis confortés par les informations additionnelles qu’ils avaient reçues. Une seule des 11 équipes avait modifié son évaluation initiale des attaques ennemies. Sept autres avaient montré avec le temps un renforcement de leur confiance dans leur estimation originelle.

Par ailleurs, les sujets avaient attribué, de manière notable, plus de poids aux informations qui venaient renforcer leurs décisions initiales. Et ce n’est pas tout : ils avaient dédaigné ou minimisé la portée des éléments qui venaient les contredire.

De tels biais de confirmation avaient déjà été observés par le passé. Mais dans ce cas-là, ce qui marqua les chercheurs était le fait qu’ils affectaient également des personnes formées à conserver une certaine ouverture d’esprit et un certain recul. "Les résultats de cette expérience appuient l’idée générale que des sujets entraînés, qui doivent prendre des décisions au sein d’un environnement évolutif et réaliste, développent des caractéristiques comportementales similaires à celles de novices travaillant sur des scénarios moins réalistes et relativement plus figés", affirme l’étude. "En particulier, la confiance placée dans une hypothèse initiale est en général élevée, quelle que soit cette hypothèse."

Les campagnes présidentielles ne sont pas au sens propre des théâtres d’opérations militaires. Et les électeurs ne sont pas des analystes militaires. Mais à l’approche du scrutin présidentiel américain de novembre 2016, les schémas comportementaux observés dans le cadre de cette étude joueront un rôle non négligeable dans le choix du prochain président.

Donald Trump, très probable candidat du parti républicain, a taillé en pièces un peloton de 17 concurrents lors des primaires, en les affublant de surnoms plus ravageurs les uns que les autres : Marco Rubio le Petit, Ted Cruz le Menteur, Jeb Bush à basse consommation. Son attention se tournant désormais vers le scrutin de novembre, certains démocrates, prodigieusement paniqués, craignent qu’il ne répète l’opération contre sa probable adversaire, Hillary Clinton. Donald Trump a déjà commencé à s’y essayer, en adjoignant l’adjectif "corrompue" ("crooked") au prénom de l’ex-première dame.

Mais les spécialistes de la scène politique américaine et les experts en stratégie de marque ne sont pas certains que ses tentatives rencontrent un grand succès. Et on en revient à la "Prise de décision experte dans des situations évolutives". Faisant justement référence à cette étude, Timothy Calkins, professeur clinicien de marketing à la Kellogg School of Management de la Northwestern University, souligne combien il est difficile de façonner les perceptions lorsque les gens ont déjà réfléchi aux choix qu’ils avaient à faire.

"Il est très difficile de repositionner une marque bien établie, et dans le cas qui nous intéresse nous sommes en présence de deux marques très bien établies", explique Timothy Calkins en évoquant le tandem de l’élection présidentielle à venir. "Le concept d’épuisement mental est très puissant. Lorsqu’on force les gens à reconsidérer quelque chose, ça devient difficile et éprouvant pour eux. Et la facilité consiste à ne rien reconsidérer du tout. Ça demande beaucoup d’énergie de remettre en cause et de modifier ses propres opinions."

"Lorsqu’on force les gens à reconsidérer quelque chose, ça devient difficile et éprouvant pour eux. Et la facilité consiste à ne rien reconsidérer du tout" - Timothy Calkins

En cette période cruciale pour le parti de l’âne, les primaires démocrates se résument à un affrontement sur le potentiel électoral. Le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders, à la traîne en termes de délégués élus, affirme que les délégués internes au parti, favorables à Hillary Clinton à l’heure actuelle, devraient plutôt voter pour lui parce que les sondages lui promettent de meilleurs scores qu’à sa concurrente lors de l’élection générale de novembre. Ce qui est vrai. Sur papier, Bernie Sanders fait mieux face à Donald Trump. Sa cote de popularité est bien supérieure à celle d’Hillary Clinton.

Cet atout est cependant quelque peu cosmétique. Alors qu’il reste à la traîne depuis le début des primaires, le visage de Sanders n’est pas aussi connu que celui de Clinton. Il n’a écopé que de minimes éclats des attaques qui ont marqué la campagne. Comme nous le rapportions à la mi-avril, sur les 383 millions de dollars dépensés en publicité télévisée pour la campagne en 2016, seuls 2 % ont été consacrés à des spots anti-Sanders, qui pour la plupart ne mentionnaient que brièvement son nom ou son image.

"Certains évoquent le fait que les sondages concernant l’élection de novembre sont meilleurs pour lui que pour Clinton, et c’est largement dû au fait qu’il n’a pas encore essuyé le feu des critiques", affirme Brendan Nyhan, professeur de sciences politiques au Dartmouth College et éditorialiste pour le New York Times. Hillary Clinton, à l’inverse, offre des perspectives plus sûres, même si son potentiel de hausse est limité. Si elle emportait la nomination démocrate, sa cote de popularité serait la plus faible jamais enregistrée par un candidat à la présidentielle… Donald Trump mis à part.

Mais sa présence sur le ticket offre aussi des avantages.

Lors de ses meetings, Hillary Clinton vend les batailles politiques qu’elle a traversées comme autant de preuves qu’elle pourra réussir là où Marco le Petit, Ted le Menteur et Jeb basse consommation ont échoué. Il en ressort l’impression qu’elle dispose de l’intelligence politique pour mener une course face à Trump. Mais elle souligne aussi par là qu’elle a la longévité qui permettra à sa candidature de ne pas être redéfinie par son adversaire. Comme les analystes militaires, les électeurs ont étudié son CV, et les nouvelles informations qu’ils recevront ne viendront que s’intégrer à leurs opinions déjà fixées.

"Les gens ont une incroyable propension à renforcer ce qu’ils croient" - Timothy Calkins.

Jugez plutôt : dans les sondages d’opinion, plus de 96 % des personnes interrogées sont capables d’attribuer une note à Hillary Clinton, qu’elle soit positive ou négative. Le pourcentage est identique pour Donald Trump. En comparaison, 86 % étaient capables d’en faire de même pour Mitt Romney à la fin des primaires républicaines en mai 2012. En juillet 2015 — soit la période où les primaires républicaines ont commencé — 67 % des gens pouvaient exprimer une opinion sur Ted Cruz et 64 % sur Marco Rubio.

De plus, les électeurs sont aussi susceptibles d’avoir une opinion tranchée sur Hillary Clinton au début de la campagne pour l’élection présidentielle qu’ils étaient susceptibles d’exprimer un avis, quel qu’il soit, sur Ted Cruz ou Marco Rubio au début des primaires républicaines. Dans les sondages récents, plus de 60 % des personnes interrogées émettent sur Hillary Clinton un avis situé à un extrême ou l’autre : soit "très favorable" soit "très défavorable".

Depuis juin dernier, ses scores ont varié relativement peu, si on prend en considération toute la campagne électorale et les attaques négatives. Son taux moyen d’impopularité est passé d’un peu moins à un peu plus de 50 %, mais cette évolution est sans probablement due à la dissipation de la sympathie que lui avait procuré son poste de secrétaire d’Etat. Sa cote de popularité a chuté, mais elle devrait remonter si les démocrates mécontents (les soutiens de Bernie Sanders) rentrent à la maison.

Les chiffres sont assez statiques également pour ce qui concerne Donald Trump. Même s’il est la personnalité politique la plus clivante du pays sur l’année écoulée, son taux d’impopularité demeure légèrement supérieur à 60 % (soit le même niveau qu’en juin 2015). Sa cote de popularité a en revanche changé, partant d’environ 25 % pour atteindre les 35 %, vraisemblablement en lien avec le fait que les électeurs des primaires républicaines ont appris à le voir en homme politique.

"Regardez Trump", dit Brendan Nyhan. "Avec tout ce qui a été dit sur lui, ses opinions négatives… elles ont a peine bougé. Pendant tout ce temps. Avec tout ce qui a été dit de lui. Ça reste incroyablement stable."

Sur une année sans Trump, on pourrait avancer qu’Hillary Clinton serait un pari risqué pour les démocrates — le biais de confirmation des électeurs jouerait contre elle, si elle se retrouvait face à un républicain plus populaire. Mais la cote de popularité d’un candidat n’est qu’un des facteurs qui influencent les élections. Et souvent, on donne à cette mesure du taux de popularité une importance exagérée. Brendan Nyhan s’est déjà largement exprimé à ce sujet.

Même s’il peut paraître évident que les gens votent pour le candidat qu’ils aiment le plus, cette perception inverse en fait souvent le sens de causalité. Dans le feu d’une campagne, nous avons finalement tendance à trouver des raisons de soutenir les candidats du parti auquel nous sommes affiliés, ou qui semblent avoir un bon bilan (face à d’autres candidats qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques).

C’est certain, il existe des exceptions à cette règle selon laquelle c’est le parti, et non la personnalité, qui a le plus d’influence sur les résultats de l’élection. Donald Trump pourrait très bien être une de ces exceptions. La puissance démesurée de sa personnalité a éclipsé presque toutes les composantes traditionnelles des primaires républicaines, et les six prochains mois seront un test pour savoir si l’affiliation partisane reste la plus forte.

Mais globalement, alors que se rapproche l’élection présidentielle proprement dite, les spécialistes de la politique américaine s’accordent pour estimer que la course qui commence sera plus équilibrée que ne l’envisagent les commentaires actuels. Les électeurs républicains s’échaufferont autour de leur candidat nommé. Les soutiens de Bernie Sanders, assiégés, finiront par rejoindre Hillary Clinton. Une campagne négative et brutale fera rage, mais les biais de confirmation auront encore une fois le dessus.

"Les sondages d’opinion tendent à converger", note Brendan Nyhan. "Lorsqu’Al Gore s’est présenté, les démocrates n’étaient pas enthousiastes à l’égard de sa candidature, mais ils se sont pour la plupart rallié à lui dans le calme. John McCain avait une cote de popularité incroyable. Mais pour emporter la nomination, il s’est transformé en républicain classique, et il a fini par se comporter en républicain traditionnel à l’approche de l’élection. Les qualités personnelles tendent donc à être exagérées, par rapport à d’autres facteurs structurels."

Cet article, initialement publié sur le Huffington Post Etats-Unis, a été traduit de l’anglais par Mathieu Bouquet.

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