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«Les Feluettes»: l'opéra homo et universel de Michel Marc Bouchard

«Les Feluettes»: opéra homo et universel
Ismaël Houdassine

Un amour tragique entre deux amants maudits où se conjugue meurtre et vengeance, l’histoire des Feluettes semble avoir été imaginée pour l’opéra. Presque trente ans après sa création théâtrale, une version lyrique de la célèbre pièce de Michel Marc Bouchard sera enfin présentée à Montréal samedi prochain en première mondiale. Entrevue.

Assis sur une banquette à la Place des arts, Michel Marc Bouchard en est quasiment certain: il n’existe pas d’opéra ouvertement gai. Le dramaturge a beau chercher, aucun titre ne lui vient à l’esprit, hormis une timide adaptation à Madrid de Brokeback Mountain en 2014.

«Les idylles homosexuelles ont parsemé les œuvres classiques à travers des amitiés viriles, mais jamais n’a-t-on raconté dans un grand opéra la passion ouverte entre deux jeunes hommes s’embrassant et faisant l’amour sur scène», affirme-t-il en entrevue.

Car même si l’acceptation de l’homosexualité et les droits de la communauté LGBT ont fait des pas de géant en Occident ces dernières années, il reste encore des murs à franchir. Jugé conservateur, le milieu de l’opéra fait donc preuve d’une incroyable ouverture, considère l’auteur de La divine illusion.

«Je pense qu’on touche au plafond de verre. C’est le signe d’une volonté de la part de l’Opéra de Montréal de briser les barrières. J’en suis très fier et j’ai hâte de voir les réactions. Je reste convaincu de l’universalité de la pièce. Homosexuels ou hétérosexuels, tout le monde peut s’y reconnaitre.»

Apprendre sur le tas

Michel Marc Bouchard a 24 ans lorsqu’il écrit sa pièce alors titrée Les Feluettes ou La répétition d’un drame romantique. Le succès est immédiat. Depuis sa création en 1987, l’œuvre a été jouée en plusieurs langues un peu partout à travers le monde sous diverses formes dont une version en comédie musicale, et elle a même été adaptée au cinéma en 1996 par le réalisateur John Greyson sous le titre Lilies.

«C’est justement en voyant le film dans les années 2000 que le compositeur australien Kevin March a eu l’idée d’en faire un opéra, raconte Bouchard. C’est comme cela que l’aventure a commencé. Il voulait en faire absolument un opéra. On s’est rencontré à Montréal. Il m’a parlé de son projet. Comme je ne le connaissais pas, je lui ai dit de faire des maquettes.»

Le projet musical avançait lentement mais sûrement jusqu'au jour où Michel Beaulac, le directeur artistique de l’Opéra de Montréal approche à son tour le dramaturge pour une adaptation de sa pièce de jeunesse.

«Moi qui ne pensais jamais que Les Feluettes finirait un jour en opéra, le hasard fait bien les choses, rétorque Bouchard. J’avais maintenant une institution lyrique et un compositeur. Je me suis occupé du livret et la mise en scène a été confiée à Serge Denoncourt qui connaît bien l’œuvre pour l’avoir déjà monté plusieurs fois.»

D’ailleurs, son rôle de librettiste, il le prend avec une certaine humilité. «En général, les gens ne se souviennent pas des noms des librettistes derrière les grands opéras. Qui a par exemple écrit les livrets de Don Giovani? Et puis, je mets au défi celui qui pourrait me raconter l’histoire de Turandot de Puccini. On peut comprendre les motivations ou les désirs, mais après?»

Un travail de réécriture

Wagner, Bizet ou Rossini, l’homme de 58 ans connaît dorénavant ses classiques. Dès la mise en branle du projet, l’auteur s’est familiarisé avec l’univers lyrique, ses codes et ses complexités. Il dit adorer la démesure de cet art et prépare en ce moment même l’adaptation d’une autre de ses pièces, La Reine garçon, prévue à l’Opéra de Toronto en 2020.

«À la base, c’était très organique. J’ai appris sur le tas. On m’a donné le temps nécessaire, car c’était la première fois que j’écrivais un livret. Au théâtre, c’est la parole qui est action, alors qu’à l’opéra c’est la musique. La parole est surtout là pour servir la musique.»

Autant de particularités qui ont forcé Bouchard à retourner dans sa pièce afin de lui apporter un nouveau souffle lyrique. «L’opéra offre la possibilité d’explorer les sentiments sous la forme des arias, ces grands airs qui n’étaient pas dans le vocabulaire du texte. Il a donc fallu les écrire. Mais je l’ai fait en respectant l’âge à l’époque où je l’ai imaginé, à 24 ans empli de romantisme et de candeur.»

Il n’oublie pas non plus que l’opéra se veut d’abord impérial et grandiloquent. «Tout a une signification, le rapport à l’espace, le rythme, l’orchestration, les personnages. L’opéra est rempli de pièges. Il est facile de sombrer dans le ridicule. J’ai fait des choix, parfois douloureux, mais nécessaire.»

Trois décennies après sa première présentation à l’intérieur de la petite salle Fred-Barry dans l’est de Montréal, Les Feluettes n’est pas datée, estime le dramaturge. «Est-ce que Samson et Dalida ou Carmen sont des œuvres obsolètes? Ma pièce raconte une passion interdite avec au final un pacte de suicide. C’est encore un choc. Je pense qu’une œuvre est toujours valable lorsqu’une question se pose à la fin.»

Les Feluettes de l'Opéra de Montréal à la salle Wilfrid-Pelletier, les 21, 24, 26 et 28 mai 2016.

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