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Atteint de synesthésie, ce peintre entend les couleurs

Atteint d'une maladie rare, ce peintre entend les couleurs
Jack Coulter

Jack Coulter peut voir les battements de son cœur. D’habitude, on les entend, on les sent. Lui aussi mais, dans son cas, ces pulsations produisent aussi des couleurs, semblables à cette lueur mauve qu’on aperçoit dans le noir avec une caméra infrarouge.

Jack Coulter est atteint de synesthésie, un phénomène neurologique rare dans lequel la stimulation d’un sens influe sur un autre: entendre un son et voir une couleur apparaître, par exemple. Jack rêve souvent, pendant les nuits d’orage, qu’il est enveloppé d’hologrammes cristallins de couleurs vives qui pulsent au rythme du plic-ploc de la pluie sur sa fenêtre. Dans son demi-sommeil, la force de l’illusion est proportionnelle à celle du bruit. Chacun vit l’expérience différemment: certains goûtent les couleurs, d’autres sentent la musique frôler leur corps. Chaque cas est unique.

Cet artiste qui vit en Irlande du Nord utilise bâtons, couteaux, fragments de verre et autres objets trouvés pour réaliser des tableaux en technicolor sur lesquels la peinture la plus bas de gamme adopte des formes rythmiques. Ses œuvres sont suivies par plus de 50 000 abonnés sur Instagram. Les gens se déchirent les lithographies en vente sur son site, tellement vite qu’il affirme s’être parfois retrouvé à court de papier.

Ses fans en ligne ne sont pour lui que des chiffres et quand il oublie souvent que derrière chacun se cache un être humain leurs messages personnalisés viennent le lui rappeler. Timide, il s’est rendu compte très tôt qu’il n’appréhendait pas le monde de la même façon que ses proches. "Je vivais dans mon propre univers", écrit-il au Huffington Post.

Aujourd’hui, il préfère éviter le téléphone. Nous l’avons donc interviewé par courriel et nous avons décelé dans ses réponses un mélange d’introspection et de credo confus. Car ce jeune homme de 21 ans aime s’épancher sur ses croyances par le biais de formulations excentriques. Du style: "Les notions préconçues asphyxient les reflets de l’expression pure." Découvrez cette interview ci-dessous, que nous avons raccourcie et éditée dans un souci de clarté.

Détail de “Iris.”

Avez-vous toujours aimé les arts plastiques?

Bien sûr. Ma mère me surnommait "le vétéran" parce que je n’avais que quelques jours quand j’ai visité ma première galerie.

Enfant, j’étais entouré par l’art. Ma tante Christine faisait des gravures abstraites. C’est elle qui m’a le plus influencé, bien davantage que n’importe quel artiste connu. Ma mère exposait ses œuvres dans toute la maison, et elles me fascinent toujours autant. Je me souviens clairement avoir vu l’une de ses expositions, petit, et "entendre" ses peintures. J’aimais lui montrer mes dernières productions, en rentrant de l’école. Elle a été mon mentor. J’ai eu la chance d’être très proche d’elle. Elle a toujours cru en moi, et elle était parfois la seule. Malheureusement, elle s’est suicidée la veille de mon entrée en école d’art.

J’ai l’impression d’avoir grandi dans un musée d’art moderne: ma mère et ma tante recouvraient tous les murs de tableaux. J’ai toujours su qu’il y aurait des œuvres autour de moi. J’ai l’art dans la peau depuis toujours. Je plains les enfants qui ont des parents fermés et étroits d’esprit.

Détail de “Dysthymia.”

Comment préparez-vous vos toiles?

Je ne les prépare jamais. C’est comme si je donnais naissance à une forme de vie encore inconnue, mais jamais par automatisme psychique "pur". Je veux que chaque abstraction perceptive génère un maximum de densité spirituelle. En échange, j’obtiens une symétrie psychologique qui libère mon esprit et mes gestes. Cette expérience spirituelle et esthétique authentifie la perception d’un principe immuable dans mon travail. J’évolue dans un royaume perpétuel où je peux réaliser tout mon potentiel et contribuer à une abondance de créations transcendantales. À un niveau existentiel, les sphères "élevées" de renouvellement négatif me débarrassent de tous les doutes que je peux avoir. Le contenu interne se manifeste rarement. Je ne peins que pour établir un parallèle avec mes émotions. C’est un comportement instinctif et spontané: le sens même de l’art n’existe que dans sa création.

Si je ne crée pas, je me sens vide. L’art est vital pour moi. Je ne crois ni en Dieu ni en d’autres concepts théologiques, mais mon amour de l’art frôle le religieux. Tout ça vient de ma peur de la mort. Mes perceptions visuelles me rappellent constamment que je suis bien vivant.

Détail de “Narcotic.”

Parmi toutes les réactions à vos œuvres, laquelle avez-vous préférée?

J’ai reçu un message déchirant d’une jeune fille qui s’apprêtait à mettre fin à ses jours. Quand elle a vu mes travaux, elle a changé d’avis. Je ne peux pas contrôler la façon dont les gens percevront mes réalisations. Je n’oublierai jamais ce moment. Maintenant, elle a toute la vie devant elle, et c’est une de mes peintures qui a conditionné son existence tout entière.

Il y a peu, on m’a envoyé un courriel bouleversant qui m’a aussi beaucoup inspiré. En voyant ma toile Cancer, une jeune fille m’a contacté pour me parler de sa mère qui souffre d’un cancer des ovaires de stade 4 et qui est née sous le signe du Cancer. Cette peinture, sa mère l’avait achetée pour Noël, et elle trône désormais dans sa chambre. Ce message était vraiment très beau, j’ai été profondément touché. Sa mère a vraiment l’air admirable. La jeune fille m’a remercié, alors que c’était à moi de lui dire merci.

Quelle est votre activité ordinaire favorite?

La lecture. On trouve souvent, à tort, que c’est une activité banale, alors que la littérature a quelque chose de magique. En lisant le même passage, chacun visualisera quelque chose de différent.

J’aime fréquenter les friperies. Tomber sur un objet qui fait vraiment sens pour soi est un sentiment extraordinaire. Ma mère et ma tante m’emmenaient dans ce genre de magasins quand j’étais petit. Elles étaient en avance sur leur temps, parce que ça n’était pas encore devenu cool. Je m’intéresse aussi beaucoup à la mode: quand je ne peins pas, je fabrique des pièces en tissu. J’adore les grands couturiers, comme Emilio Pucci ou Alexander McQueen.

Détail de “Cancer.”

Aujourd’hui, on trouve des cahiers de coloriage pour adultes dans toutes les librairies. Des études suggèrent que ça permet de se relaxer et d’être moins angoissé. Ça vous arrive d’en faire?

J’ai horreur du cliché de l’artiste qui a dû abandonner sa passion parce qu’il ne pouvait pas en vivre et prendre un emploi qu’il déteste. Quand on veut vraiment faire quelque chose, on le fait. C’est absurde de mettre ses échecs sur le dos d’une situation donnée. Frida Kahlo a eu un grave accident quand elle avait 18 ans et elle n’a jamais pu avoir d’enfants. Elle a subi trois fausses-couches et passé plusieurs mois complètement immobilisée. Elle souffrait le martyre, et pourtant, elle utilisait le peu d’énergie qui lui restait pour peindre des toiles, et même son plâtre. Ça, c’est de la passion.

Moi, je fais des coloriages sur tout et n’importe quoi. J’ai beaucoup de journaux de coloriage. Souvent, j’utilise des pétales de rose ou du jus de fruits, quand je n’ai plus de peinture. La plus belle lumière est toujours naturelle.

Pensez-vous que la synesthésie vous a rendu plus créatif?

Dans une certaine mesure, oui, ça m’inspire. Mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres, et elle ne stimule que certaines parties de mon art. Depuis tout petit, je travaille dans mon garage pour perfectionner ma technique personnelle. Parfois, j’aimerais que tout le monde puisse voir la vie à travers mes yeux, toute l’indescriptible richesse colorée du quotidien. Chaque instant est baigné de nuances tétrachromatiques.

Depuis toujours, mon imagination fait de moi quelqu’un d’étrange. Une fois, j’ai cru que j’étais Dieu et que tout ce qui m’entourait n’était que le produit de mon cerveau. J’étais vraiment un enfant bizarre!

Avez-vous déjà rencontré d’autres synesthésiques?

Non, pas dans la vraie vie. Mais beaucoup de ceux qui me contactent sur internet en sont atteints. La synesthésie est quelque chose de très complexe. Chaque cas est particulier. L’expliquer par écrit est très difficile, même si c’est un peu plus facile pour les artistes qui passent par une forme de communication visuelle.

Quels conseils donneriez-vous aux gens qui voudraient s’ouvrir à leurs sens?

Le summum, c’est quand l’art est l’expression la plus pure de soi. La seule façon d’y arriver, c’est de se mettre dans des situations très stimulantes. Nous sommes tous semblables à des photos non encore développées: c’est en restant dans le noir que nous nous révélons. Et ce n’est que lorsque l’image apparaît dans son ensemble que tout devient clair.

La beauté n’est visible qu’avec du recul. Et je conclurai avec mon poème préféré de Langston Hughes.

Voici un chant pour l’enfant prodige.

Chantez-le doucement, car c’est un chant sauvage.

Chantez-le doucement comme jamais aucun chant.

De peur qu’il ne s’échappe.

Personne n’aime les enfants prodiges.

Pourriez-vous aimer un aigle,

Apprivoisé ou sauvage?

Pourriez-vous aimer un aigle,

Sauvage ou apprivoisé?

Pourriez-vous aimer un monstre

Au nom effrayant?

Personne n’aime les enfants prodiges.

Tuez-le, et laissez son âme s’envoler.

Peintures corporelles

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit de l’anglais par Maëlle Gouret pour Fast for Word.

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