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Vers la fin des ordonnances manuscrites?

Vers la fin des ordonnances manuscrites?
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Depuis la semaine dernière, les médecins de l'État de New York ne peuvent plus prescrire de médicaments que par voie électronique, sauf exception. Chez nous, médecins et pharmaciens sont nombreux à réclamer le même virage, pour la sécurité des patients.

Un texte de Jean-François Bouthillette

La loi I-STOP est entrée en vigueur le jour des Pâques dans cet État américain. Elle oblige les médecins à transmettre désormais toutes leurs prescriptions directement au pharmacien, par voie électronique – sauf dans certaines situations exceptionnelles. Exit, donc, les bonnes vieilles ordonnances manuscrites sur papier.

Cette initiative vise d'abord à lutter contre l'acquisition frauduleuse d'opiacés, dont l'abus est devenu un fléau, à New York comme ailleurs en Amérique du Nord. L'État espère aussi limiter par là le nombre non négligeable d'erreurs dues à des prescriptions illisibles.

À en perdre son latin

Non, les pattes des mouches du médecin ne sont pas que du folklore. De notre côté de la frontière non plus, d'ailleurs. « C'est un vrai enjeu, les ordonnances difficiles à lire, confirme Pierre-Marc Gervais, pharmacien propriétaire à Montréal. Ce n'est pas rare, dans ma pratique », dit-il, en montrant des exemples d'ordonnances illisibles récentes, où la calligraphie négligée du prescripteur ne peut que laisser pantois. Les chiffres et les lettres de certaines pourraient être confondus avec d'autres, ou encore avec des hiéroglyphes.

C'est parfois une menace à la sécurité du patient, explique le pharmacien.

«Le risque, c'est un sous-dosage qui n'amène pas les résultats qu'on veut, ou un surdosage, avec des effets secondaires qui peuvent être importants.»

- Pierre-Marc Gervais, pharmacien

M. Gervais dit arriver souvent à déchiffrer le message en se fiant au contexte et à son expérience, ou en communiquant avec le médecin. Or, ce dernier n'est pas toujours accessible, parce qu'il passe d'un milieu à un autre, part en vacances, opère pendant de longues heures.

« Alors, on trouve un plan B, raconte-t-il. On vérifie avec un collège, ici en pharmacie, ou à l'aide des réseaux sociaux. »

Quelques pharmaciens, en effet, ont constitué un groupe privé, sur Facebook, qui n'est accessible qu'aux membres de l'Ordre des pharmaciens du Québec. D'une dizaine de membres, il y a deux ans, le groupe est rapidement passé à plus de 4000 membres – soit plus de la moitié des pharmaciens québécois!

Chaque jour, ce type d'appel à l'aide y circule, photos des prescriptions problématiques à l'appui, dont on a camouflé les informations sur les patients. Et les collègues commentent.

«On se montre les prescriptions et on demande aux confrères de confirmer ou d'infirmer notre intuition. Des fois, ça marche, des fois pas. Mais la plupart du temps, avec la force du nombre, on y arrive!»

- Pierre-Marc Gervais

Les opiacés, un fléau

Les détournements de prescriptions aussi sont un problème, au Canada. On estime que plus de 400 000 Canadiens vivent avec une dépendance aux opiacés. La plupart de ces personnes ne sont pas des héroïnomanes fréquentant les piqueries, comme on peut l'imaginer. Il s'agit plutôt, pour la plupart, de patients sans histoire, traités pour la douleur et restés accrochés, après un traitement, faute de vigilance ou d'un suivi adéquat.

Les opiacés comme la morphine, la codéine, l'hydromorphone, l'oxycodone et le fentanyl, des médicaments sur ordonnance, sont prisés sur le marché noir.

« On estime qu'environ 5 % du marché des opiacés sont des médicaments obtenus par des ordonnances falsifiées, raconte le pharmacien Pierre-Marc Gervais. Par exemple, si le médecin prescrit 10 comprimés, le patient peut ajouter un zéro, ou transformer le "1" en "5"... Des carnets de prescriptions sont volés dans les cliniques ou les hôpitaux, aussi. »

Les pharmaciens interceptent beaucoup de ces ordonnances falsifiées, mais ils ne peuvent pas tout voir, souligne M. Gervais. La prescription électronique, transmise directement au pharmacien par un système sécurisé, compliquerait la tâche aux faussaires, dit-il.

Médecins et pharmaciens impatients

Au Collège des médecins du Québec, on confirme que les erreurs dues aux ordonnances illisibles et les abus d'opiacés sont deux préoccupations importantes.

« Les prescriptions électroniques, ce serait souhaitable tout de suite, aujourd'hui! » affirme sans détour le Dr Charles Bernard, président du Collège, qui dit travailler « très fort » à l'instauration la plus rapide possible des prescriptions électroniques, mais aussi, plus largement, du dossier médical électronique.

Ces outils qui permettraient, dit-il, un plus grand contrôle et un meilleur suivi des prescriptions. « Malheureusement, ce n'est pas encore réalisable au Québec », déplore-t-il, rappelant que si plusieurs cliniques et l'ensemble des pharmacies ont déjà ces outils informatiques, l'implantation du Dossier santé Québec continue de piétiner dans les hôpitaux.

«On doit mettre en relation les établissements de santé, les cliniques et les pharmacies en communauté pour que tout ce monde-là se parle.»

- Le Dr Charles Bernard

Même son de cloche du côté de l'Ordre des pharmaciens du Québec. « Du côté des pharmacies, on est prêt », dit son président, Bertrand Bolduc. « Mais il faut être deux pour valser », ajoute-t-il, référant lui aussi à la lenteur de l'implantation des outils électroniques dans le réseau de la santé.

Un système sécurisé et des prescriptions électroniques seraient un grand pas dans la bonne direction pour la sécurité du patient, croit-il aussi. « On va le voir dans l'État de New York, où on va avoir des résultats assez rapidement ».

Pas suffisant pour la lutte à l'abus d'opiacés

Les ordonnances électroniques permettront sans doute de limiter la falsification de prescriptions, croit la Dre Marie-Ève Morin, qui reçoit de nombreux patients toxicomanes dans sa clinique de Montréal. Beaucoup sont dépendants aux opiacés.

« Si on arrêtait les falsifications de prescriptions, pensez-vous qu'il y aurait tout d'un coup moins d'opiomanes? lance-t-elle. Ça n'empêchera pas l'achat illégal d'opioïdes sur Internet, la diversion, le vol de médicaments. »

Ça ne compenserait pas non plus le manque de suivi des patients traités avec des opiacés, pour éviter qu'ils n'en deviennent dépendants, souligne-t-elle.

En Ontario, l'an passé, 1 élève du secondaire sur 10 disait avoir consommé des opiacés pour s'amuser, d'après le Sondage sur la consommation de drogues et la santé des élèves. « Dans 70 % des cas, ce n'est pas d'une ordonnance falsifiée que la drogue venait, dit la Dre Morin : c'était de la pharmacie familiale. »

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