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La Soirée des Jutra change de nom (VIDÉO)

La Soirée des Jutra change de nom (VIDÉO)

La Soirée des Jutra changera de nom, mais la 18e édition du gala qui célèbre le cinéma québécois aura lieu comme prévu, le 20 mars prochain.

Talonnés de toutes parts depuis le début de la semaine, les décideurs de Québec Cinéma, Patrick Roy et Ségolène Roederer, ont convoqué la presse mercredi, en début d’après-midi, pour annoncer qu’ils rebaptiseront l’événement, à la suite des révélations accablantes concernant Claude Jutra, qui défraient les manchettes depuis le week-end dernier. «Par respect pour les artistes et artisans qui vont célébrer le 20 mars prochain», a-t-on avancé.

«La situation est devenue intenable, surtout à un mois de l’événement», a avoué Ségolène Roederer.

La statuette remise aux gagnants sera également modifiée. Aucun nom n’a encore été arrêté pour les «nouveaux Jutra» mais, l’échéance d’ici le prochain gala étant très brève, on accolera à la distinction un titre temporaire avant de se pencher sur un nouveau nom permanent. Aucune modalité n’a encore été définie à ce sujet, mais on a promis, mercredi, que les changements seront effectifs très rapidement.

«L’important, c’est que ce prix soit la fierté que les gens du cinéma québécois. C’est très important pour nous de remettre le niveau de ce gala, pour l’honneur du cinéma québécois. Ce sera certainement présent dans le titre du prochain gala», a relevé Ségolène Roederer.

Les animateurs de la prochaine cérémonie récompensant notre septième art, Pénélope McQuade et Stéphane Bellavance, sont apparemment «soulagés» des derniers développements. La controverse sur Claude Jutra sera abordée sur scène le 20 mars prochain, a-t-on dit, mais on ignore encore de quelle façon.

«Je peux vous dire qu’ils travaillent très fort pour offrir une très, très belle soirée, un beau gala. Ils seront bel et bien là, ainsi que toute l’équipe de création, qui est très heureuse de célébrer cette belle année de cinéma», a assuré Ségolène Roederer.

Une «sage décision», dit la ministre

La ministre de la Culture, Hélène David est apparue satisfaite du changement de nom pour cette soirée qui célèbre le meilleur du cinéma d’ici. «C’est une sage décision qui va dans le sens de ce que j’ai dit ce matin», a affirmé la ministre. Quelques heures plus tôt, elle avait demandé à Québec Cinéma de retirer le nom de Claude Jutra de la cérémonie.

La ministre David a aussi demandé à la Commission de toponymie du Québec de lui fournir une liste des lieux associés au célèbre cinéaste afin que les municipalités puissent décider si elles souhaitent les rebaptiser.

Si des lieux administrés par le gouvernement portent le nom du cinéaste, ils pourraient aussi changer de nom. «On va essayer d’être un petit peu cohérent avec nous-mêmes : si je trouve que ce sont de sages décisions, on prendra de sages décisions», a-t-elle lancé.

Ensuite, aux Québécois de choisir s’ils souhaitent fréquenter l’œuvre du cinéaste. «Les gens feront ce qu’ils voudront du côté artistique, et ça, je ne m’en mêlerai certainement pas de l’appréciation du créateur», a dit la ministre.

Pas question non plus de mettre l’œuvre de Jutra à l’index, que ce soit dans les écoles québécoises ou dans les lieux de diffusion liés à l’État. «Je ne parlerai pas de censure, parce que je pense que c’est à ça que vous référez», a affirmé Hélène David.

Le comité de sages reste

Après une réunion d’urgence, lundi, Québec Cinéma avait choisi de jouer de prudence en annonçant la formation d’un comité de sages, qui devait être chargé de suivre l’évolution du dossier et d’émettre les recommandations nécessaires quant à l’avenir des Jutra, dans la foulée des affirmations incendiaires du biographe Yves Lever dans la biographie de Claude Jutra, parue en magasin mardi, où l’auteur fait état des relations intimes du créateur de Mon oncle Antoine et Kamouraska avec de jeunes garçons.

La juge retraitée Suzanne Coupal avait notamment accepté de présider le comité. Or, la sortie d’une présumée victime de Claude Jutra, qui aurait subi des attouchements sexuels de la part du défunt cinéaste dès l’âge de six ans, dans un article de La Presse+ signé Hugo Pilon-Larose, mercredi matin, a accéléré les choses et a servi «d’élément déclencheur», a admis Patrick Roy.

Le (petit, a-t-on précisé) comité de sages est toujours en train de se former, continuera d’officier, et accompagnera Québec Cinéma «dans les futures décisions et futurs événements qui pourront se passer éventuellement», a indiqué Ségolène Roederer.

«Je pense encore que c’était la bonne décision d’être conseillés sur cette question, a noté Patrick Roy. Mais c’est évident que ce matin, la lecture de l’article du quotidien La Presse+, du témoignage d’une victime présumée, nous a amenés à prendre une décision plus rapidement. J’ai été (…) profondément bouleversé en lisant le témoignage de cette présumée victime. Je trouve important aujourd’hui de souligner le courage dont a fait preuve cette personne en acceptant de partager ce témoignage. C’est ce qui nous a poussés à prendre la décision de changer le nom du gala.»

Très tôt ce matin, Patrick Roy et Ségolène Roederer ont multiplié les appels téléphoniques pour éviter que le tollé ne s’embrase davantage. Les membres du comité exécutif de Québec Cinéma, dont Marcel Jean, Maurice Prud’Homme et Serge Paquette, se sont tous rapidement entendus sur le fait qu’une orientation devait être adoptée rapidement. La décision a été communiquée à la ministre de la Culture, Hélène David, dès que celle-ci a contacté Patrick Roy pour signifier sa volonté de voir le Gala des Jutra changer de nom ; ce n’est pas sur l’ordre d’Hélène David que Québec Cinéma a décidé de bouger, mercredi, a tenu à répéter Patrick Roy en cours de conférence de presse.

Dominique Chaloult, directrice générale de la télévision de Radio-Canada, diffuseur officiel du Gala des Jutra depuis 2003 (TVA l’a relayé de 1999 à 2002) a aussi été avisée et a endossé le choix de Québec Cinéma, lequel a donc été entériné à l’unanimité.

«On parle d’une victime présumée, mais dès le départ, on avait dit qu’on ne voulait pas faire d’enquête ou de procès sur cette question, a spécifié Patrick Roy. D’une façon très personnelle, je dirais que je n’ai pas le goût de questionner sur la véracité de ce témoignage-là, qui me semble tout à fait crédible et qui m’a profondément ébranlé. Plusieurs éléments dans le texte, sur la personne qui a appuyé la démarche de la victime présumée, m’ont bouleversé et nous ont amenés à avoir cette discussion et à prendre cette décision.»

«Nous sommes solides, même si nous sommes, comme tout le monde, infiniment tristes, depuis quelques jours, a ajouté Ségolène Roederer. La mission de Québec Cinéma est de faire la promotion du cinéma québécois et de ses artisans. C’est la fierté de notre cinéma. Et c’est important de se tenir ensemble dans ces moments difficiles, autant dans notre milieu qu’en tant que citoyens.»

L’œuvre et l’homme

Pour les gagnants des précédentes moutures des Jutra qui renieraient désormais leurs prix suite à la mise en lumière publique de la « part d’ombre» de Claude Jutra, on n’a pour l’instant déterminé aucune compensation.

«Pour ce qui est du passé, c’est un peu tôt pour y répondre», a signalé Patrick Roy.

Auprès de ceux qui se désolent que le Québec tout entier s’empresse présentement d’effacer toute trace de Claude Jutra – les rues et parcs qui portaient jusque-là son nom seront renommés, une salle de la Cinémathèque québécoise aussi – les dirigeants de Québec Cinéma soutiennent à nouveau que leur position était extrêmement délicate.

«Dissocier l’œuvre de l’homme, c’est ce qu’on a toujours fait, pour le bien de l’art, ce sont effectivement deux choses différentes, mais concernant la remise d’un trophée, Québec Cinéma était au cœur de quelque chose d’extrêmement complexe», a expliqué Ségolène Roederer.

Le Gala des Jutra célébrait cette année ses 18 ans d’existence, mais Québec Cinéma en est l’organisateur depuis cinq ans. L'organisme est aussi à la tête des Rendez-vous du cinéma québécois, dont la 34e édition s'amorcera demain, jeudi le 18 février.

Le gala sera retransmis à Radio-Canada le 20 mars prochain.

Avec les informations de Patrick Bellerose

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