Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Émilie Bierre : les deux pieds sur terre (VIDÉO/PHOTOS)

Émilie Bierre : les deux pieds sur terre (VIDÉO/PHOTOS)

Le rendez-vous a été donné dans une succursale du café Juliette et Chocolat, sur le boulevard Saint-Laurent. En enlevant son manteau, Émilie Bierre balaie les lieux d’un regard émerveillé. La jeune comédienne n’était jusque-là encore jamais entrée dans un établissement de la populaire chaîne montréalaise de restaurants sucrés.

«Tu aimes le chocolat?», lui demande la journaliste pour briser la glace, anticipant d’avance la réponse.

«Qui n’aime pas ça?», lance la jeune fille du tac au tac, un sourire candide aux lèvres.

C’est donc en buvant à petites gorgées un onctueux chocolat chaud que la préadolescente de 11 ans (elle célèbre son anniversaire en mai) se livre à nous, sans timidité. À ses côtés, sa maman, Tatiana Renard, de son délicat accent français, répond elle aussi aux questions qui lui sont adressées, ou apporte des précisions aux propos de sa fille. La complicité entre elles crève les yeux.

La discussion est sympathique et chaleureuse. On fait la connaissance d’une gamine comme les autres… mais, paradoxalement, pas non plus tout à fait comme les autres. Et pas seulement parce qu’elle joue dans Les beaux malaises et dans Mémoires vives, et qu’elle côtoie des personnalités très célèbres comme Martin Matte, Julie LeBreton, Marie-Thérèse Fortin et Gilles Renaud.

Car, excepté sa passion pour les plateaux de tournage, Émilie Bierre mène une vie en tous points identique à celle des autres enfants de son âge. Elle fréquente l’école tous les jours. Se couche tous les soirs à 20h45 et éteint sa lampe à 21h, après avoir lu quelques pages d’un bouquin.

Elle se dispute parfois avec sa sœur, Juliette, 8 ans, qui a elle aussi joué un peu devant la caméra (notamment dans 30 vies), mais qui préfère nettement la gymnastique et l’équitation. «On a des petites chicanes de temps en temps, mais on s’entend bien. Je l’aime», déclare Émilie d’un air attendri. «Elles s’entendent bien… Comme des sœurs…», renchérit Tatiana en ricanant d’un air entendu.

Studieuse et organisée

En revanche, la fillette qui se tient devant nous dégage une maturité et une sérénité exceptionnelles, rares chez les petits, qu’on attribue généralement à ces tempéraments qu’on qualifie de «vieilles âmes». Ce je-ne-sais-quoi de spécial teinte toutes les confidences d’Émilie et de sa mère qui, pour ajouter à leur charme, incarnent la simplicité même et ne pourraient avoir les pieds ancrés plus solidement au sol.

Émilie Bière

Disciplinée comme pas une, Émilie s’applique à faire ses devoirs et à apprendre ses textes dès qu’elle les reçoit, pour éviter que les tâches ne s’accumulent. «Quand je ne suis pas organisée, je deviens tout de suite stressée, admet-elle. Je prépare mes choses, je sais quand je vais faire quoi. Et, si je n’ai pas le temps, je m’assure d’avoir un plan B. Je veux vraiment que tout entre dans mon horaire et que tout fonctionne, parce que c’est important pour moi.»

Elle arrive à concilier engagements professionnels, travaux scolaires et cours de danse (en jazz contemporain), mais c’est à regret qu’elle a dû abandonner ses cours de chant, l’an dernier, faute de temps. «Elle a beaucoup pleuré, mais les journées ont juste 24 heures et elle avait juste 10 ans», plaide sa mère, soucieuse de maintenir un équilibre dans la vie de sa fille.

L’automne prochain, elle entamera sa première secondaire dans un programme enrichi en anglais, elle qui s’initie à la langue de Shakespeare depuis trois ans au moyen de cours particuliers.

«Je n’ai jamais eu de problème à manquer l’école. Je n’ai pas de difficultés, alors ça va bien, je suis capable de me rattraper. Je vais dans les périodes de récupération ou je reste en classe pendant les récréations, ma prof est super correcte avec ça.»

«Parfois, il faut faire des concessions, mais c’est la même chose pour les enfants qui ont des compétitions sportives, des entraînements, et qui courent les arénas les fins de semaine», signale Tatiana Renard.

Les débuts d’une belle aventure

Émilie Bierre avait cinq ou six ans lorsqu’elle a décroché ses premiers rôles au cinéma, après avoir figuré dans deux publicités des Fromages d’ici. D’abord dans La voix de l’ombre, puis dans Catimini, de Nathalie Saint-Pierre, une œuvre poignante au propos dur.

Ce n’est d’ailleurs que récemment qu’Émilie a pu voir Catimini en entier, ses parents la jugeant jusqu’ici trop jeune pour être exposée à une thématique aussi délicate.

Ensuite sont venus Mémoires vives et Les beaux malaises, et un nouveau rôle dans Subito texto. Aujourd'hui, ses yeux bleus brillent lorsqu’on lui demande si elle espère pratiquer ce métier toute sa vie.

«Je suis tombée en amour avec ce milieu-là, s’enflamme-t-elle. Je ne me suis jamais ennuyée sur un plateau. Ce sont comme de nouvelles familles à chaque fois. J’ai toujours eu de belles expériences…»

Sur l’autoroute du show-business, maman Tatiana, elle, roule avec vigilance, les yeux bien ouverts, et n’hésiterait pas à enfoncer le pied sur le frein si le véhicule dérapait.

«Il y a deux conditions pour qu’elle puisse continuer, soutient Tatiana. L’école doit bien aller, et elle doit garder la tête froide. S’il y en a une des deux qui n’est pas respectée, on va avoir une sacrée discussion. Elle n’a pas le choix. Je ne veux pas d’une enfant prétentieuse. Je veux qu’elle soit gentille et simple.»

«Mais on n’a pas à lui rappeler, continue la maman. Ce sont des valeurs qu’on a depuis toujours. Récemment, on a eu une discussion sur les héros. J’ai expliqué à Émilie que, souvent, on idolâtre les gens parce qu’ils font de la télé, mais les vrais héros, ce sont ceux qui travaillent dans l’ombre, qui sauvent des vies dans les hôpitaux. Moi, le monde artistique ne m’impressionne pas gros. Ce n’est pas un domaine qui m’attirait, en partant. On est contents, on suit Émilie là-dedans, mais ça ne nous impressionne pas.»

En fait, Tatiana Renard avoue sans détour avoir reçu sans trop d’enthousiasme la proposition d’inscrire son aînée dans une agence de casting, il y a une huitaine d’années.

Au départ, Émilie rêvait de faire des photos de mode pour les vêtements des boutiques Souris Mini. «Je voulais avoir ma photo sur le derrière d’un autobus», se remémore en riant la principale intéressée. Aussi, quand elle regardait un film, elle ne pouvait s’empêcher de mimer les scènes qui défilaient devant elle. «Je capotais sur le film Le roi lion, et j’étais toujours debout, en train d’imiter les personnages.»

Son souhait de prendre la pose a été exaucé, et son minois s’est retrouvé sur la page frontispice d’une édition du magazine Enfants Québec. Impressionnée par l’attitude exemplaire de son jeune modèle de quatre ans, qui passait encore ses journées en CPE, l’équipe de la publication avait conseillé à Tatiana de diriger sa puce vers d’autres types de contrats et de lentilles.

«Je ne voulais rien savoir, échappe catégoriquement cette dernière. Ç’a pris au moins une année avant qu’Émilie entre dans une agence. Le but n’était pas forcément de faire de la télé. Et ça s’est fait au fur et à mesure. Son agent l’envoyait dans plusieurs auditions. C’est un peu le hasard de la vie qui l’a emmenée là, et elle a aimé et s’est épanouie là-dedans.»

Réaliste, Tatiana répète souvent à Émilie que, dans le domaine artistique, rien n’est garanti. Chez les Bierre, on profite du moment présent et on prend les événements comme ils se présentent.

«Je lui dis souvent qu’elle tourne avec des gens qui ont des super belles carrières, mais il y en a pour qui c’est plus dur, qui n’ont pas la même stabilité, souligne Tatiana. Même ce qu’Émilie vit, à son âge, ce n’est pas la réalité. Souvent, les gens nous disent qu’elle est bien partie, mais ça peut crasher. On ne sait jamais ce qui peut arriver.»

Un discours inspirant

En août dernier, Émilie Bierre était nommée «Fille la plus inspirante de l’univers» à KARV l’anti-gala. Les jeunes téléspectateurs de VRAK saluaient ainsi son implication en tant que porte-parole de la Fondation Jasmin-Roy, qui vient en aide aux victimes d’intimidation. Pour elle qui rêvait depuis de nombreuses années de simplement participer à ce rassemblement festif orchestré par VRAK, d’assister au spectacle sur place, et qui vivait frénétiquement son premier anti-gala à vie, c’était un double honneur.

Lorsque l’animatrice Vanessa Pilon, qui présentait les finalistes dans la catégorie où Émilie était nommée, aux côtés d’India Desjardins, de Bianca Gervais, de Mylène Paquette et de Sophie Nélisse, a annoncé qu’Émilie Bierre l’emportait, le petit bout de femme est monté sur scène avec aplomb… et a déclamé un discours digne des plus grands. Un discours qu’elle n’avait même pas écrit ou répété préalablement, et qui lui a valu une ovation debout sentie. Fait cocasse, figée par l’émotion, seule Tatiana Renard ne s’est pas levée pour acclamer sa progéniture!

Or, avant qu’Émilie ne quitte son siège, Tatiana a eu le temps de lui glisser une boulette de papier dans la main, comme elle lui aurait donné une balle anti-stress, pour lui rappeler que toute sa famille était derrière elle en cet instant important.

«Je savais ce que je voulais dire si je recevais le prix, mon idée était faite, mais quand je suis montée sur scène, c’est sorti comme c’est sorti, relate Émilie. Je ne voulais pas trop me faire de plan. C’était très important pour moi, et ç’a super bien été. J’ai dit beaucoup plus que ce que j’aurais cru dire… (rires)»

«Je ne m’y attendais pas!, ajoute la sage artiste. À mes yeux, ce n’était pas un prix pour moi, mais pour tous ceux qui se font intimider. Pour la Fondation Jasmin-Roy, pour tous ceux qui vivent des moments durs.»

Les affres de l’intimidation

Lorsqu’elle parle de la Fondation Jasmin-Roy, Émilie Bierre y met toute la conviction que ses 11 ans lui permettent. Elle prend son rôle d’ambassadrice extrêmement à cœur. Car, pour l’avoir vécu, elle sait comment se sentent ceux et celles qui se font intimider.

Dès que son visage est devenu un peu connu, Émilie a subi des représailles de la part de ses pairs : on fouillait dans son pupitre à l’école, on lui lançait des paroles blessantes, on l’humiliait, on la bousculait, on la taxait, on se rassemblait pour se moquer d’elle, on la harcelait par messages textes (sur son iPod). Certains sont même allés jusqu’à la frapper.

«C’était de la pure jalousie», se désole Émilie.

Les premiers gestes d’intimidation ont été posés sournoisement. Puis se sont intensifiés et ont explosé, en cascade. À la maison, les parents d’Émilie ont remarqué que leur enfant d’ordinaire si lumineuse devenait agressive, que ses notes chutaient, qu’elle se levait, le matin, avec la nausée. Émilie passait des soirées entières à pleurer.

«Un jour, je me suis assise sur son lit en lui disant : «Là, tu me dis ce qui ne marche pas», raconte Tatiana. Émilie m’a montré les textos qu’elle avait reçus. J’ai compris que ça se passait à l’école. J’ai voulu en parler, mais Émilie ne voulait pas. C’est le pattern des victimes d’intimidation…»

«Tu as l’impression que, si tu en parles à un adulte, ça va se rendre jusqu’aux personnes qui t’intimident et que ça va devenir un cercle vicieux, note Émilie. Mais il faut vraiment le dire. Et s’il y a des répercussions, dénoncer vite aussi.»

Constatant que le problème que sa fille vivait demeurerait entier, ne trouvant pas d’autre solution, Tatiana Renard a pris la décision de changer Émilie d’école, à une semaine de la rentrée scolaire 2014, non sans appréhensions. L’inscription a été officialisée deux jours avant que les classes n’ouvrent officiellement.

«J’avais le motton, se souvient Tatiana. Je ne savais pas si on avait fait la bonne chose, en la changeant d’école.»

«Quand je suis arrivée à ma nouvelle école, j’avais peur de la façon dont les autres allaient me percevoir, détaille Émilie. J’avais peur qu’ils soient comme les autres avant. Est-ce qu’ils allaient m’accepter? Allaient-ils se ruer sur moi? Ç’a l’air dur, mais je voulais vraiment passer incognito, aller à ma nouvelle école, me faire ma gang d’amis et avoir de bonnes notes. Que les gens me posent des questions sur les Beaux malaises, c’est normal. Ma prof de cinquième année était superbe, et je me suis fait de nouveaux amis.

Maintenant, je suis en sixième année, et ça va encore bien. C’était la bonne décision, de changer d’école, de repartir à zéro.»

La petite Juliette, elle, fréquente toujours l’ancienne école de sa grande sœur et y est très heureuse. Aujourd’hui, Émilie ne garde pas rancune et est seulement contente d’être sortie de ce passage difficile. Elle insiste sur l’importance de la dénonciation et, si elle le pouvait, hurlerait à pleins poumons que «chaque problème a sa solution, et que le suicide n’est pas une solution». Elle a elle-même voulu entrer en contact avec Jasmin Roy pour lui prêter main-forte dans sa croisade contre la violence.

«Je voulais dire aux gens que ça peut arriver à n’importe qui. N’importe qui peut vivre ça. Et on n’est pas seuls. Moi, je me sentais seule quand je l’ai vécu, mais on n’est pas seuls.»

«Émilie aime aider les autres. Presque trop», sourit sa maman.

Seul aspect délicat de la notoriété que les proches d’Émilie s’affairent à gérer prudemment : les réseaux sociaux. «Ça, c’est la patate chaude», reconnaît Tatiana. Celle-ci a pris l’initiative de créer une page professionnelle à Émilie après qu’un faux compte Facebook au nom de la petite soit apparu sur la toile, venu d’on ne sait où. Une personne se faisait passer pour Émilie et écrivait des messages en son nom. Depuis, Tatiana a décrété un haro sur les messages privés, et modère et surveille les communications sur la page de sa fille. Souvent, elles écrivent les statuts d’Émilie ensemble.

Ce mardi, 16 février, Émilie Bierre co-animera le concert-bénéfice annuel de la Fondation Jasmin-Roy et y offrira un témoignage.

Sophie Desmarais, fille de Paul Desmarais, marraine de la Fondation, ainsi que l’auteure française Nora Fraisse, et l’auteur-compositeur-interprète corse Jean-Pierre Marcellesi seront aussi présents pour s’exprimer en mots et en musique, de même que d’autres invités. On annoncera à cette occasion un partenariat de la Fondation Jasmin-Roy avec la Corse et la France. L’événement aura lieu au Théâtre Corona. Consultez le site officiel (fondationjasminroy.com) pour plus d’informations.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.