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Les hommes doivent porter le discours féministe, dit Julie Miville-Dechêne (VIDÉO)

La présidente du Conseil du statut de la femme souhaite que davantage d’hommes imitent le rappeur Koriass et discutent de la culture du viol et d’égalité femme-homme.

Julie Miville-Dechêne se réjouit à l’idée de partir en tournée dans les cégeps avec Koriass afin de discuter de la culture du viol et d’égalité femme-homme. La présidente du Conseil du statut de la femme souhaite maintenant que davantage d’hommes imitent le rappeur. Elle demande aussi le retour rapide du cours d’éducation sexuelle afin que les élèves du primaire et du secondaire soient davantage outillés pour aborder leur vie sexuelle de façon positive. Nous l’avons rencontrée chez elle.

Vous débuterez une tournée dans les cégeps de la province avec le rappeur Koriass et la journaliste Marilyse Hamelin pour parler de la culture du viol et d’agressions sexuelles. Quelle est l’importance d’avoir un homme avec vous pour porter le message?

Depuis le début de mon mandat, je me dis qu’il faut absolument une implication des hommes pour progresser sur les questions de la violence contre les femmes. Nous avons fait beaucoup de chemin, mais les mentalités ne changent pas assez vite. Pour faire bouger les choses, il faut que des hommes fassent partie de ceux qui passent le message. Koriass, à travers un cheminement personnel, représente un jeune homme qui rejoint les jeunes et qui prêche l’égalité et qui pratique ce qu’il prêche.

Pourquoi les hommes ne prennent-ils pas davantage la parole?

C’est une excellente question. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus d’hommes qui se manifestent pour en parler. À ce sujet, le Québec n’est pas différent des autres sociétés. Il faut dire que l’immense majorité des hommes n’est pas violent envers les femmes. Mais on dirait qu’ils ne sentent pas que c’est leur responsabilité de changer les habitudes et le comportement d’autres hommes. Il faut des modèles comme Koriass qui montrent aux jeunes de 12, 13 ou 14 ans qu’il y a d’autres façons d’agir avec les femmes. Je peux bien aller le dire dans les cégeps, mais c’est beaucoup plus puissant quand c’est lui qui le fait.

Pourquoi cibler les jeunes du cégep et pas ceux du secondaire?

Je trouve qu’à leur âge, les cégépiens sont capables de parler et d’entendre parler de sexualité sans être mal à l’aise. C’est le bon âge pour convaincre les jeunes hommes et les jeunes femmes qu’il y a des responsabilités reliées à l’acte sexuel, que la notion de consentement est au cœur de l’acte.

C’est bien de parler aux jeunes du cégep, mais que doit-on faire pour sensibiliser les élèves du primaire et du secondaire? Avec les histoires de proxénétisme et de fugues à Laval, on se rend compte que les problèmes surviennent à un très jeune âge.

Le Conseil n’a pas la prétention de tout régler avec sa tournée. Nous lançons un signal pour dire qu’il faut parler aux jeunes, idéalement avec une équipe mixte. Ce que ça prend au primaire et au secondaire, ce sont des cours d’éducation sexuelle. Ça fait huit ans qu’il n’y en a plus et ça manque cruellement. Présentement, il y a un cours qui est à l’étape de projet-pilote. Mais ça va trop lentement, il y a urgence d’agir pour que les filles et les garçons aient les outils pour aborder la sexualité de manière positive. Parfois, des infirmières viennent leur parler de santé sexuelle, mais il faut aussi parler d’égalité sexuelle, de consentement, d’exploitation sexuelle.

Il est beaucoup question dans les médias de cas d’agression et de harcèlement sexuels. Pourtant, on ne sent pas que les choses avancent. Une avocate peut rapidement ridiculiser une présumée victime et un maire reconnu coupable d’agression sexuelle peut demeurer en fonction…

D’abord, il faut souligner que si des cas sont médiatisés, c’est que des femmes ont eu le courage de dénoncer. Ensuite, il y a publicisation, oui, mais la question du harcèlement est encore perçue comme quelque chose de banal. L’idée de se faire tripoter, embrasser, toucher n’est pas perçue par tous comme une intrusion dans la vie d’une femme… Je peux dire que nous avons fait moins de chemin sur les agressions sexuelles que sur la violence conjugale, par exemple. Les agressions présentent encore beaucoup de zones grises et on entend encore souvent que la fille s’est mise dans une situation où elle n’aurait pas dû se mettre, qu’elle n’était pas habillée de façon appropriée, qu’elle avait trop bu… Quel que soit l’état de la femme, l’agression n’est jamais permise. Il faut qu’il y ait consentement.

Pour la notion de consentement est-elle encore si floue, si élastique?

Aujourd’hui, la notion de consentement a changé. Avant c’était «Si on ne dit pas non, tout va bien.» Aujourd’hui, il faut consentir en disant oui, en utilisant des paroles explicites. Et on peut arrêter de consentir à n’importe quel moment dans la relation sexuelle, ce qui n’est pas forcément bien compris. Devant les tribunaux, il y a aussi eu un raffinement de la notion de consentement, mais on y accepte encore l’erreur, dans le sens où l’homme peut ne pas avoir compris le signal que la femme tentait de lui donner. C’est vrai que, parfois, les signaux ne sont pas clairs, mais c’est à la personne qui engage la relation de s’assurer du consentement, quitte à poser une question.

Le procès de Jian Ghomeshi, par exemple, peut-il décourager des victimes à dénoncer?

C’est évident que ce qui se passe au procès Ghomeshi, où l’avocate tente de tailler en pièce la crédibilité des victimes, peut avoir un effet négatif. J’ai peur que des femmes choisissent de ne pas dénoncer. Or, il faut le faire, même si c’est difficile. Lors du mouvement #agressionnondénoncée, des femmes ont dévoilé leurs histoires sur les réseaux sociaux, mais n’ont souvent pas amené leur cause devant les tribunaux, où il faut prouver hors de tout doute que l’agresseur a commis les gestes qu’on lui reproche. C’est clair que le système judiciaire, tel qu’il est conçu, est une barrière importante pour parler d’une chose aussi intime qu’une agression sexuelle, où c’est la parole de l’un contre l’autre.

Aujourd’hui, le mouvement féministe s’est diversifié. De plus en plus d’hommes et des artistes comme Beyoncé s’affichent comme féministes. Ça veut dire quoi être féministe en 2016?

J’adore cette idée d’ouverture du féminisme. Toute personne en faveur de l’égalité femme-homme peut se dire féministe. Ça me fait plaisir que le mot «féministe» circule et soit apposé sur des femmes qui ne correspondent pas aux stéréotypes des féministes, même si parfois c’est de la récupération.

Sur le web, un discours haineux persiste envers certaines féministes.

C’est difficile pour certaines femmes qui, sur les réseaux sociaux par exemple, parlent des questions féministes jour après jour. Il y a un certain nombre d’hommes – mais pas seulement des hommes – qui leur en veulent d’exister. Il est plus difficile dans les réseaux sociaux d’être une femme qui s’exprime librement que d’être un homme. Elles reçoivent plus de courriels haineux et de courriels qui s’attaquent à leur corps, à leur sexualité. Il ne faut toutefois pas que ça nous empêche d’être qui on est.

Votre mandat de cinq ans s’achève cet été. Pourrions-nous voir un homme à la tête du Conseil du statut de la femme?

Je pense qu’on n’est pas rendus là… Je ne sais pas. Notre assemblée des membres demeure féminine, mais à l’intérieur du Conseil, j’ai tenu à embaucher des hommes. Ce serait malaisant d’exiger la parité dans divers organismes et de dire que chez nous, il n’y a pas d’hommes!

Lise Payette a tourné en ridicule, à Tout le monde en parle, la parité du cabinet Trudeau, arguant que c’était de la poudre aux yeux et, qu’au final, les femmes n’occupaient pas des postes clés et qu’elles étaient moins bien payées que leurs collègues masculins. Vous partagez sa position?

Non! Il ne faut pas nier les progrès qu’on fait. Oui, il y a des femmes qui ne sont que ministres d’État. Oui, il y avait une différence de salaire, mais elle a été corrigée aussitôt. Quand on fait des choses qui n’ont jamais été faites, parfois on se trompe et parfois ce n’est pas parfait. Peut-être que c’était pour des raisons politiques, mais je considère que Justin Trudeau a donné le signal que la parité était la chose à faire en 2015. Ça m’a plu et je n’ai rien à dire pour diminuer son geste.

Le premier ministre Couillard aurait-il dû – et pu – atteindre lui aussi la parité au sein de son Conseil des ministres?

M. Couillard a fait un certain progrès au dernier remaniement ministériel, mais à 39 %, nous ne sommes pas encore dans la zone paritaire [proposée par le Conseil, qui demande une représentation de 40 à 60 % de femmes en politique]. C’est bien d’avoir une femme au cœur des décisions économiques, par exemple [Dominique Anglade au ministère de l’Économie]. J’espère qu’aux prochaines élections, il y aura un plus grand bassin de candidates.

Pour y parvenir, le Conseil croit qu’il faut imposer des quotas de candidates…

Ça fait des années qu’on demande des progrès et qu’il n’y en a pas. Nous croyons qu’il faut désormais légiférer et lier le financement politique à l’atteinte de la zone paritaire. À l’Assemblée nationale, il y a présentement 27 % de femmes. Si les partis ne veulent pas de ces quotas, alors qu’ils s’imposent eux-mêmes des règles pour présenter un minimum de candidates.

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