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Le plan de réforme du Sénat pourrait coûter plus cher que prévu

Le plan de réforme du Sénat pourrait coûter plus cher que prévu
Sean Kilpatrick/CP

Le plan de réforme du Sénat du premier ministre Justin Trudeau pourrait coûter plus cher que prévu aux contribuables.

Le Huffington Post Canada vient d’apprendre que le Sénat a mis de côté des fonds — entre 250 000 $ et 925 000 $ — pour la mise en place et l’opération du bureau du représentant du gouvernement Trudeau à la chambre haute et tout autre membre du caucus que ce représentant pourrait désigner.

Tout budget additionnel — pour du personnel ou à des fins de recherche — devra être fourni par le bureau du conseil privé, le ministère du premier ministre.

Le premier ministre Justin Trudeau répond à une question à la Chambre des communes en décembre 2015. (Photo : Sean Kilpatrick/CP)

Les 28 sénateurs libéraux que Trudeau a évincés de son caucus parlementaire, il y a deux ans, agiront à titre de parti de troisième rang. Les sénateurs siégeant au comité interne sur l’économie, les budgets et l’administration ont accordé aux libéraux un budget de 1 060 000 $ tandis que la majorité conservatrice, qui constitue désormais l’opposition officielle, dispose d’un budget de 1 275 000 $ pour l’année.

Un sénateur conservateur a déclaré, sous le couvert de l’anonymat en expliquant qu’il n’était pas autorisé à s’exprimer sur la question a affirmé que les conservateurs « n’avaient pas le choix » d’accorder un budget aux sénateurs libéraux.

« Il aurait été malveillant de ne pas procéder à ces ajustements. Nous aurions profité de la situation pour leur porter préjudice », a-t-il ajouté.

L’an dernier, les budgets combinés des sénateurs libéraux et conservateurs totalisaient 2 248 800 $ — 985 800 $ pour les libéraux de l’opposition et 1 263 000 $ pour les conservateurs au pouvoir.

Cette somme n’inclut pas les suppléments salariaux que recevra le nouveau représentant de Trudeau — 80 100 $ en plus du salaire de base d’un sénateur qui est de 142 200 $. Elle n’inclut pas non plus les allocations additionnelles d’un potentiel chef du gouvernement suppléant (30 100 $), d’un whip du gouvernement (11 600 $), d’un whip adjoint du gouvernement (5800 $) ou d’un président du caucus du gouvernement au Sénat si les personnes nommées par Trudeau décident de mettre sur pied un caucus du parti au pouvoir’organiser en caucus de parti au pouvoir.

Ce budget opérationnel n’inclut pas non plus les allocations salariales auxquels les leaders conservateurs au Sénat, en tant qu’opposition, ont droit (de 5800 $ à 38 100 $).

Le leader libéral au Sénat, James Cowan, lors d’une conférence de presse en 2014. (Photo : Sean Kilpatrick/CP)

Les règles actuelles ne prévoient aucun ajustement salarial pour un tiers parti, les sénateurs libéraux, en l’occurrence.

La sénatrice libérale Jane Cordy, vice-présidente du comité interne sur l’économie, affirme que les budgets ont été légèrement augmentés afin de permettre au caucus de chacun des partis d’être plus indépendants.

« Cette indépendance, pour tous les partis, signifie en fait d’avoir besoin de dépendre le moins possible, voire pas du tout, sur nos cousins de la Chambre des communes au chapitre de la recherche et des notes de synthèse. Cela gonfle, bien entendu, nos besoins et nos budgets », écrivait-elle dans un courriel.

Le leader des sénateurs libéraux, James Cowan, admet que le nouveau système coûte plus cher, particulièrement si cinq sénateurs indépendants ou plus décident de former leur propre caucus afin d’avoir droit aux allocations supplémentaires, mais c’est, à son avis, une dépense justifiée.

« Selon moi, nous devons avoir accès aux ressources appropriées pour pouvoir accomplir adéquatement notre devoir. Il n’y a aucune honte à cela. »

Aaron Wudrick, le directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables affirme qu’il n’a aucun problème avec le financement d’organismes gouvernementaux qui font du bon travail, dont notamment celui du directeur parlementaire du budget ou le vérificateur général, mais il craint toutefois que les nouveaux sénateurs indépendants désignés par Justin Trudeau « soient constamment alignés avec le gouvernement ».

« C’est ridicule de croire qu’ils ne seront pas partisans… On a beau changer leur étiquette, c’est leur comportement qui sera révélateur… C’est comme le légendaire cochon portant du rouge à lèvres. »

Les nouveaux sénateurs ne seront pas élus et ils n’auront pas de mandat ou une plus grande légitimité que les sénateurs avant eux simplement parce qu’une poignée d’éminentes personnes les choisissent désormais, selon Wudrick.

« Le fait que les Canadiens paient encore plus cher pour un Sénat qui n’a que l’apparence d’avoir été réformé alors que rien de substantiel n’a changé est pour le moins décevant », se désole-t-il.

« Le fait que les Canadiens paient encore plus cher pour un Sénat qui n’a que l’apparence d’avoir été réformé alors que rien de substantiel n’a changé est pour le moins décevant. »

Dominic LeBlanc, leader du gouvernement à la Chambre des communes, a déclaré au HuffPost qu’il ne partage pas ce « pessimisme » voulant que la seule façon qu’auraient les sénateurs indépendants de démontrer leur indépendance soit de voter contre le gouvernement.

« Je ne crois pas que parce qu’ils sont indépendants, is vont nécessairement adopter une telle tactique empreinte de cynisme », a-t-il déclaré.

Cowan affirme quant à lui qu’il espère que Justin Trudeau nommera des « progressistes » et qu’il les encouragera à joindre les sénateurs libéraux.

« On ne leur demande pas d’être membre du parti, explique Cowan, mais j’espère toutefois qu’ils sauront accorder leur soutien à un agenda progressiste pour notre pays. »

Certains indépendants pourraient préférer agir en loups solitaires, a-t-il ajouté, exprimant du même souffle l’espoir que, le temps aidant, d’autres « réaliseront l’importance de collaborer, et j’espère qu’ils trouveront notre groupe plus sympathique à leurs intérêts. »

Il est toutefois loin d’être acquis que les conservateurs de la chambre haute permettront aux nouveaux représentants du gouvernement Trudeau d’utiliser l’argent mis de côté à leur intention.

Le leader de l’opposition conservatrice, Claude Carignan, a déclaré au HuffPost que si les représentants de Trudeau désirent une augmentation de salaire, un plus grand bureau et un budget plus important, ils devront d’abord répondre aux questions du Sénat.

Le sénateur Claude Carignan en route vers la cambre haute en 2013. (Photo : Sean Kilpatrick/CP)

« On ne peut pas être à moitié enceinte. Soit il y a un leader du gouvernement ou il n’y en a pas. S’il n’y en a pas, alors cette personne n’aura pas droit aux avantages et privilèges accordés à un leader du gouvernement », a-t-il déclaré. « Si cette personne veut avoir le salaire et les allocations d’un leader du gouvernement, son bureau, ainsi que les outils, droits et privilèges du titre, elle devra alors également répondre à nos questions. »

Lordsque, en décembre dernier, la nouvelle ministre des Institutions démocratiques a dévoilé une nouvelle procédure temporaire de nomination pour cinq sénateurs indépendants, LeBlanc a laissé sous-entendre qu’il serait possible qu’il n’y ait pas de période de questions au Sénat.

Le premier ministre Trudeau a l’intention de nommer un représentant du gouvernement parmi les nouveaux sénateurs indépendants afin que celui-ci ait les fonctions d’un leader du gouvernement, affirme LeBlanc, mais il reviendra à la chambre de décider si elle veut s’organiser en vue de tenir une période de questions. D’ordinaire, c’est le leader du gouvernement au Sénat qui répond aux questions au nom du gouvernement en place.

LeBlanc a également déclaré qu’il reviendrait à ce nouveau représentant du gouvernement de guider les projets de loi du gouvernement Trudeau à la cambre haute. Il a laissé sous-entendre qu’un des actuels sénateurs libéraux, une personne « avec une expérience législative impressionnante » pourrait être nommée chef du gouvernement suppléant afin d’appuyer le nouveau leader dans son rôle.

« On ne peut pas être à moitié enceinte. Soit il y a un leader du gouvernement ou il n’y en a pas. »

Carignan a déclaré au HuffPost que les conservateurs ont l’intention de poser des questions au représentant de Justin Trudeau sur une base quotidienne.

« Si cette personne souhaite avoir un ministre à ses côtés afin de répondre à nos questions, ça nous fera plaisir. Fantastique ! Nous en serons plus qu’heureux, mais cela ne limitera en rien nos pouvoirs et nos droits », a dit le vétéran des bleus.

Ces cinq nouveaux sénateurs ¬ deux de l’Ontario, deux du Manitoba et un du Québec sélectionnés à partir d’une liste courte, non contraignante et secrète de candidats établie par un panel indépendant de cinq membres — devraient être nommés fin février ou début mars.

Vendredi dernier, le gouvernement a annoncé que les offres de candidatures pour ces postes seront acceptées jusqu’au 15 février.

D’ici là, le Sénat a déjà invité quatre ministres du cabinet à répondre à ses questions.

La décision de nommer de nouveaux sénateurs indépendants avait pour but de « redonner de la vigueur » au Sénat, avait déclaré la ministre Moncef aux journalistes, afin de mettre « un terme à la partisanerie ».

De nombreux sénateurs se disent toutefois « pris entre deux eaux », ayant reçu peu d’information au sujet des attentes des libéraux de Trudeau face à la chambre haute.

« Non seulement nous sommes entre deux eaux, mais les libéraux indépendants le sont également », affirmait au HuffPostle sénateur conservateur David Tkachuk.

« Ils n’ont aucune idée de ce qu’il [Trudeau] veut. Nous sommes tous assis là à ne pas faire grand-chose alors qu’il devrait déjà avoir nommé un chef du gouvernement. Il devrait s’être présenté devant le Sénat en nous disant “voici les types de réformes que j’aimerais voir mises en places… voici la façon dont j’aimerais que vous fonctionniez”, et nous étudierions ses demandes afin de déterminer si oui ou non nous les mettons en place. »

« Nous voulons une cambre indépendante. Nous faisons ce que nous voulons, pas nécessairement ce qu’il veut, mais nous sommes ouverts à écouter ce qu’il aimerait, sauf qu’il ne l’a pas fait. Pas plus, d’ailleurs, que le leader parlementaire [Dominic LeBlanc] », affirme Tkachuk. « Personne ne sait quoi que ce soit. »

La ministre des Institutions démocratiques, Maryam Monsef, lors d’une conférence de presse en décembre 2015. (Photo : CP)

Le sénateur conservateur Daniel Lang, qui préside le comité sur la sécurité nationale et la défense, affirme que tout le monde se demande quel sera le rôle de ce représentant du gouvernement.

« C’est quoi, exactement, un “représentant du gouvernement” ? De quelle autorité dispose-t-il ? »

Il ajoute que tant que le gouvernement libéral n’aura pas trouvé comment faire adopter ses lois au Sénat et si ce nouveau représentant parlera au nom du gouvernement, il y a beaucoup de « questions en suspens » qui affectent le travail des sénateurs au quotidien.

Le sénateur conservateur Norman Doyle affirme pour sa part que la capacité des sénateurs d’obtenir de l’information auprès du gouvernement est désormais « gravement entravée ».

« Nous pourrions être beaucoup plus occupés si le gouvernement avait déjà ses représentants au Sénat… Il n’y a aucun projet de loi pour l’instant, mais espérons qu’il y en aura bientôt. »

Le whip conservateur Don Plett dit qu’il n’est pas surpris qu’il n’y ait aucun projet de loi de l’actuel gouvernement à l’agenda du Sénat, et encore moins surpris qu’il n’y ait que deux projets de loi à l’agenda de la Chambre des communes.

« Il n’y a qu’à voir qui ils ont élu comme premier ministre. Soyons honnêtes : il a passé le plus clair de sa vie sur une planche à neige. »

« Il n’y a qu’à voir qui ils ont élu comme premier ministre. Soyons honnêtes : il a passé le plus clair de sa vie sur une planche à neige et il passe son temps à arpenter le pays d’un bout à l’autre pour prendre des “selfies” au lieu de se préoccuper des vraies choses ici. Je ne peux pas être plus direct que ça et, dans les circonstances, je ne suis pas du tout surpris. J’espère qu’ils vont mettre de l’ordre dans leur agenda législatif bientôt. »

Même son de cloche du côté de Cowan, qui affirme qu’il ne sait pas ce qui se passe.

« Plusieurs personnes aimeraient savoir comment tout ça va fonctionner, exactement. J’aimerais le savoir aussi, mais pour le moment, je ne sais pas. »

« Tout deviendra très clair. En attendant, il y a de l’ouvrage pour tous ceux qui souhaitent l’entreprendre. »

Sans directives du bureau du premier ministre, les sénateurs sont toutefois revenus à leur propre agenda sans perdre de temps.

Lors de la période de questions de jeudi dernier, les sénateurs ont questionné les présidents des divers comités sur d’éventuels sujets de recherche.

D’ailleurs, le Comité sénatorial des banques et du commerce doit entreprendre cette semaine une étude sur la chute du dollar.

Plusieurs projets de loi privés ont également été débattus. Le projet de loi du sénateur Cowan afin d’interdire la discrimination génétique a été soumis pour étude au Comité des droits de l’homme.

« Je crois qu’il y a là pour nous une opportunité unique — si nous continuons à bien travailler, avec plus de constance et de fréquence — de prouver la valeur d’un bon Sénat », de conclure M. Cowan.

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