Depuis leur création, en 1997, le montant consacré par l'État aux centres de la petite enfance et aux garderies privées subventionnées a été multiplié par 11, passant de 221 millions de dollars à 2,4 milliards de dollars. Estimant que cette hausse est insoutenable, Québec tente depuis des années de freiner ces coûts, tout en rendant plus attrayantes pour les parents les garderies privées non subventionnées.
Un texte de Ximena Sampson
Les centres de la petite enfance (CPE) dénoncent de nouvelles compressions de 120 millions de dollars que le gouvernement Couillard veut leur imposer cette année et qui, selon eux, auront un impact direct sur les services aux enfants.
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Depuis 2006, le réseau a subi d'importantes coupes, que l'Association québécoise des centres de la petite enfance estime à plus de 400 millions de dollars, dont la moitié au cours des trois dernières années.
C'est qu'il est, en quelque sorte, victime de son succès.
Pour voir le graphique sur le nombre de places sur votre appareil mobile, cliquez ici.
Alors que 76 000 enfants fréquentaient les garderies subventionnées en 1997, ils sont maintenant 227 500. Les coûts ont donc augmenté en flèche, explique Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l'Université du Québec à Montréal.
« Ce n'est pas vrai que la croissance des coûts des CPE est hors de contrôle. Ils contrôlent bien le coût par enfant. Le problème est que le nombre d'enfants dans les CPE a explosé. C'est pour ça que le coût augmente. »
— Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l'UQAM
Avant d'imposer les compressions, le gouvernement libéral soutenait que le programme serait impossible à soutenir financièrement sur le moyen et le long terme.
Pour voir le graphique sur le coût des subventions sur votre appareil mobile, cliquez ici.
C'est faux, soutient M. Fortin. La proportion de petits Québécois fréquentant des garderies subventionnées ne devrait pas beaucoup augmenter au cours des prochaines années. Avec le ralentissement démographique, « on va atteindre un rythme de croisière, ce qui entraînera un ralentissement de la croissance des coûts », prévoit-il.
Qui plus est, le gouvernement libéral a augmenté en 2008 le revenu familial maximum pour le crédit d'impôt, rendant ainsi plus attrayantes pour les parents les garderies privées non subventionnées.
L'idée du gouvernement, tel qu'il l'expliquait dans le budget de 2008, était que « le coût des services de garde [soit] le même, que l'on ait recours à une garderie subventionnée ou à une garderie privée non subventionnée. »
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Le coût du crédit d'impôt a augmenté exponentiellement depuis. Selon le calcul de l'Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), un regroupement de CPE, la part correspondant aux frais de garderies non subventionnées, qui était de 80 millions de dollars en 2008, est passée à 420 millions en 2013.
Pour voir le graphique sur le crédit d'impôt pour frais de garde sur votre appareil mobile, cliquez ici.
Cet appui indirect aux garderies à but lucratif se fait au détriment des CPE, s'insurge Xavier de Gaillande, directeur général adjoint de l'AQCPE.
« Avec ce crédit d'impôt, ce que le gouvernement lance comme message, c'est qu'il n'y a pas de différence entre les différents types de service de garde, que c'est la même qualité partout », soutient-il.
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« Alors qu'il verse près d'un demi-milliard dans ces services-là, le gouvernement ne se préoccupe pas de ce qui s'y passe et ne leur demande aucune reddition de compte. »
— Xavier de Gaillande, directeur général adjoint de l'AQCPE
Le gouvernement se défend de vouloir favoriser les garderies commerciales. « L'objectif est d'offrir des places subventionnées, ça a toujours été ça et ça ne changera pas », soutient Nadia Caron, porte-parole du ministère de la Famille. « Il n'y a aucun frein au niveau de la création de places. »
Le réseau des garderies subventionnées comprend :
les centres de la petite enfance (CPE), qui sont des organismes sans but lucratif ou des coopératives;
les garderies en milieu familial;
les garderies privées subventionnées.
Les garderies non subventionnées, pour leur part, sont également reconnues par le ministère de la Famille et doivent respecter un programme éducatif.
Des différences notables
La proportion d'éducatrices ayant suivi une formation est beaucoup plus faible dans les garderies privées non subventionnées que dans les CPE, soutient Nathalie Bigras, professeure à l'UQAM et directrice scientifique de l'équipe de recherche Qualité éducative des services de garde et petite enfance. Quelque 93 % des éducatrices en CPE sont qualifiées contre 53 % dans les garderies privées non subventionnées, selon l'étude Grandir en qualité 2014, publiée par l'Institut de la statistique du Québec.
Autre exemple : dans les garderies privées non subventionnées, environ 30 % des poupons sont dans un groupe dont l'éducatrice a un diplôme de niveau primaire ou secondaire comme plus haut diplôme, alors que c'est le cas pour seulement 4 % des poupons en CPE.
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« Si le personnel a une formation reconnue en petite enfance, on sait que c'est mieux pour le développement de l'enfant, en particulier son développement affectif et sa santé psychologique. »
— Nathalie Bigras, directrice de l'équipe de recherche Qualité éducative des services de garde et petite enfance
« Donnez-moi une subvention pour payer les éducatrices qualifiées, je vais en avoir 18 au lieu d'en avoir 4 ou 5 », rétorque Marie-Claude Collin, présidente de la Coalition des garderies privées non subventionnées du Québec. Selon Mme Collin, il est très difficile pour son réseau de retenir les éducatrices formées, alors que les CPE leur offrent de meilleures conditions de travail.
« Si on avait une aide budgétaire [...] ça viendrait changer toute la donne dans nos services de garde. »
— Marie-Claude Collin, présidente de la Coalition des garderies privées non subventionnées du Québec
Une enquête de la Direction de la santé publique de Montréal publiée en 2014 montrait à quel point les enfants issus de milieux vulnérables étaient mieux protégés s'ils avaient fréquenté un CPE. Cette année, l'enquête Grandir en qualité a mis en lumière les variations de qualité entre les garderies privées non subventionnées et les CPE.
« Et on continue de dire que c'est du pareil au même, que tous les services de garde se ressemblent. Mais c'est faux. Les faits nous le disent. »
— Nathalie Bigras, directrice de l'équipe de recherche Qualité éducative des services de garde et petite enfance
Il est vrai que la qualité peut beaucoup varier d'une garderie à une autre, reconnaît Marie-Claude Collin. « C'est comme dans les CPE, il y en a des bons et des pas bons », affirme-t-elle.
La qualité a un coût
Oui, le gouvernement déboursera moins dans l'immédiat pour les places en garderie privée, mais les coûts à long terme ne sont pas quantifiables, craint l'économiste Pierre Fortin.
« L'économie à court terme qu'on fait dans le budget [...] on va la perdre à long terme avec des générations d'enfants qui seront mal formés », précise M. Fortin. « C'est bien plus important que l'économie de 150 millions par année qu'on peut faire annuellement. »
« Ça vaut combien une génération d'enfants qui obtiennent un développement de qualité deux ou trois fois moindre? »
— Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l'UQAM
Une analyse comptable publiée en juin révélait que les coûts de fonctionnement des CPE étaient beaucoup plus élevés que ceux des garderies privées subventionnées, en partie à cause de la masse salariale des employés, mais aussi à cause de la rémunération des gestionnaires et de l'organisation du travail.
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C'est là dessus qu'insiste le gouvernement, qui soutient que le réseau doit être plus efficient. « Certains CPE arrivent très bien avec le financement actuel, sont efficaces, de qualité et efficients, alors pourquoi d'autres ne pourraient pas l'être? », demande Nadia Caron, porte-parole du ministère de la Famille.
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