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Faire vivre les langues autochtones en ville

Faire vivre les langues autochtones en ville

« Kuei! », lance en arrivant dans sa classe Nathalie Gressin. « Kuei », lui répond Joséphine Bacon. En ce mardi soir, la poétesse et professeure d'innu écrit au tableau et fait répéter une dizaine d'élèves. Dans le couloir, Bérénice Mollen-Dupuis, la chargée de projet en éducation du Centre Montréal autochtone regarde du coin de l'oeil le cours qui se donne... et n'en revient toujours pas.

Un texte de Marie-Laure Josselin

Depuis septembre, dans cet organisme membre du mouvement des centres d'amitié autochtone, on donne des cours de cri de la baie James, d'innu et de mohawk. « On offre un programme culturel assez diversifié (artisanat, danse), mais les cours de langue étaient souvent demandés », explique Bérénice Mollen-Dupuis.

Grâce à une subvention de 30 000 $ du programme initiative des langues autochtones de Patrimoine canadien, le centre a mis en place ces trois cours offerts gratuitement. Mme Mollen-Dupuis ne s'attendait pas du tout à un tel engouement.

« Pour chaque cours, je me disais, gros max, on va avoir 15 inscriptions et on sera correct, on rentrera dans nos chiffres. Mais on a eu plus de 100 inscriptions par cours et donc une liste d'attente de 300 personnes au bout d'une semaine! » Elle refuse donc les inscriptions.

L'enseignement des langues autochtones est très rarement donné à Montréal, sauf pour un peu d'inuktitut ou de mohawk. Pourtant, la demande est là et l'urgence de maintenir ces langues aussi. La majorité des 90 langues autochtones du pays sont menacées de disparition, selon Patrimoine Canadien et l'UNESCO. Seuls le cri, l'ojibwé et l'inuktitut ne le sont pas, même si elles restent vulnérables.

Montréal autochtone a fait le choix des langues en fonction des particularités de la ville. « Ici, il y a beaucoup d'Innus et de Cris de la baie James, d'Inuits aussi, mais l'inuktitut est déjà offert alors on s'est dit qu'on allait enseigner le mohawk, car on est sur un territoire mohawk. Et ce qui est intéressant, c'est qu'avec le cri, la clientèle est anglophone et avec l'innu, francophone », précise Bérénice Mollen-Dupuis.

La grande majorité des inscrits n'est pas autochtone

Cet engouement, elle ne sait trop comment l'expliquer, surtout que plus de 80 % des étudiants sont des non-autochtones. L'organisme a donné priorité aux Autochtones pour remplir les classes. Les places restantes et les rares désistements sont allés aux non-Autochtones comme Stéphanie Boulais, 28 ans.

« C'est une construction langagière complètement différente du français ou de l'anglais, une porte ouverte sur un autre monde », explique la jeune fille qui n'a pas la prétention d'arriver un jour à parler innu.

Sur une feuille, trois lignes sont inscrites en innu. C'est la date de naissance de Nathalie. Trois lignes juste pour écrire une date de naissance. « Rien que ça, c'est un sacré défi », dit en riant Nathalie Gressin.

« C'est extrêmement compliqué, ça ne ressemble à aucune langue que j'ai apprise. »

— Nathalie Gressin

Mais la femme qui s'est mariée sur une réserve innue avec le cinéaste Marthin Lamotte, auteur de films sur la communauté, veut persévérer, au moins pour comprendre les titres des films de son époux, mais aussi « parce que c'est toujours plus agréable de pouvoir dire quelques mots dans une langue que tu ne connais pas ».

Pour les Autochtones présents dans la classe, l'enjeu est plus grand. Même Bérénice Mollen-Dupuis le reconnaît. « Je suis Innue, mais je ne parle pas l'innu et c'est la partie qui me manque le plus dans ma culture! Je sais broder, faire du tambour, mais si je parlais innu, j'aurais l'impression d'être entière », confie-t-elle.

C'est pour cela que la jeune Abeille, 11 ans, suit les cours, assise au fond de la classe, sirotant un jus, mais concentrée. Ses parents sont Innus de Uashat-Maliotenam, arrivés à Montréal il y a neuf ans. Et pour sa mère, Myriam Thirnish, il y va de la survie de la langue. « Quand je retourne dans ma communauté, je vois de plus en plus de jeunes enfants qui ne parlent pas leur langue et je trouve important que ma fille l'apprenne [...], car on pourrait facilement perdre la langue, on est peu nombreux. C'est ma façon de contribuer à perpétuer la langue innue ».

Au Canada, un Autochtone sur six parle sa langue.

Apprendre et partager

Souriante, Joséphine Bacon met un CD du groupe Petapan, la chanson kushpinanut nikamu, pour aider les élèves à se faire l'oreille et travailler avec plaisir. Mme Bacon se souvient que petite, tout le monde ne parlait que l'innu, il n'y avait que chez le marchand qu'elle entendant le français.

Puis, il y a eu les pensionnats autochtones et elle a dû l'apprendre. Aujourd'hui, les jeunes insèrent beaucoup de mots français dans leur vocabulaire, sur Internet surtout, et dès qu'ils sortent de la communauté, le défi est plus grand. Alors, voir tous ces élèves, ça la rend vivante, crie-t-elle.

« Vivante, qu'il y ait cet engouement pour nos langues, de les partager avec d'autres qui ne sont pas forcément Autochtones [...] puis quand tu es en ville et que tu enseignes ta culture, ta langue, ça te rend vivant dans la ville, c'est comme si on a une existence où que l'on soit en tant qu'être humain », car tant que la langue vit, la culture aussi.

Et si la petite Abeille enseigne l'innu un jour? « Oh, dit-elle fébrile, de dire que je l'ai aidé à se réapproprier sa culture et sa langue, ce serait ce qui pourrait m'arriver de mieux », conclut la poétesse. Montréal autochtone voit grand et souhaite désormais ouvrir une école de langues où l'on apprendrait aussi l'algonquin, l'abénaquis ou encore, aux enfants, l'inuktitut.

Maisy Odjick

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