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La divine souffrance de Serge Fiori (ENTREVUE/PHOTOS))

La divine souffrance de Serge Fiori (ENTREVUE/PHOTOS)

«J’étais une flaque d’eau… J’étais bouleversé. Ému, content, bouleversé, triste, nostalgique. Tout ça à la fois.»

C’était le 13 juin 2014. À la Salle Wifrid-Pelletier de la Place des Arts. Exactement cinq mois après la sortie du simple Le monde est virtuel, premier extrait de l’album qui marquait son retour sous les projecteurs après une absence d’une trentaine d’années. Paru, lui, quelques semaines plus tard, le 4 mars, jour de son 62e anniversaire.

Daniel Lavoie, Antoine Gratton, Catherine Major, Alexandre Désilets, Marie-Pierre Arthur, Coral Egan, Monique Fauteux et Ian Kelly étaient sur scène pour faire revivre toutes les époques de la carrière de Serge Fiori. Celle d’Harmonium, celle de Fiori-Séguin, celle des collaborations avec Dufresne et Workman, celles en solo. Tous ceux qui y étaient l’ont dit et redit: ce spectacle, ces Fioritudes, furent mémorables.

Fiori, lui, était présent, mais sans l’être. Il était assis dans une loge. «Une chance», s’empresse-t-il de préciser. Mais plusieurs l’ont cherché. L’ont remarqué. Ont murmuré, ont pointé son petit nid secret du doigt lorsqu’ils l’ont repéré. Ça ne l’a pas intimidé.

«Je le savais, je le sentais, je le voyais, se remémore l’auteur-compositeur-interprète. Je voyais des têtes se retourner régulièrement. Une fois qu’on m’avait spotté et que ça se disait, je me penchais de plus en plus dans ma loge (rires). Pour qu’ils me voient.»

«En deuxième partie, ils ont fait mon dernier album, et c’était hallucinant. J’ai tellement été pris par la finale! Je me suis levé. Je me suis mis à applaudir. J’ai ovationné. Toute la salle s’est revirée de bord. C’était malade! Je pleurais. C’était trop d’amour. Ce n’est pas facile. Ça n’a aucun sens. Tu as un petit cœur, gros de même (il mime avec ses doigts en se pointant la poitrine) et… Ah! (il échappe un faux cri de détresse). J’ai eu de la misère à dealer avec cet amour-là quand je performais, parce que c’était trop fort. Là, c’était aussi pire. Sinon pire!»

«C’est à la fois un deuil et une renaissance. Tu revois toute ta vie…»

Serge Fiori

Difficile exaltation

Serge Fiori ne s’en cache pas, il a fait une dépression après ce moment de grâce des FrancoFolies. Comme il en avait fait une après que Le monde est virtuel eut atteint les sommets des palmarès de ventes, que les commentaires eurent été dithyrambiques et que Claude Rajotte eut noté son dernier-né de 11 sur 10. Il a aussi connu un creux après le Gala de l’ADISQ 2014, où il a foulé le tapis rouge et été cueillir le trophée de l’Album de l’année-Adulte contemporain après des décennies loin des mondanités. Certaines de ces périodes se sont étirées jusqu’à un mois et demi, où l’artiste se tenait immobile dans son lit, mais finissait toujours par reprendre pied, souriant. Il avoue composer de mieux en mieux avec ces soubresauts périodiques.

«Ça brasse, insiste-t-il. Chaque chanson ramène à l’écriture, à l’époque, à ce que je faisais, avec qui j’étais. Aux FrancoFolies, je n’écoutais pas vraiment le show. Je l’ai vécu dans une autre dimension. C’était pire que faire un show. C’est dur à endurer. C’est une exaltation très difficile.»

«Je le dis de façon très humble, pas du tout égoïste, mais moi… c’est toujours un hostie d’événement, continue Fiori, avec animation. Si je sors, que je vais à quelque part, c’est parce qu’on me rend un hommage. Alors, c’est gênant. Maintenant, je m’arrange pour aller voir plein de shows, plein de monde, être anonyme dans une salle… Et je suis content.»

Serge Fiori venait d’ailleurs, quelques jours plus tôt, d’assister au délire acoustique de Jean Leloup, son Fantôme de Paradis City, aussi à Wilfrid-Pelletier, lorsque le Huffington Post Québec s’est attablé avec lui, au Café Cherrier, rue Saint-Denis, la semaine dernière.

«Je pense qu’il est maso, avance Fiori, en parlant de Leloup. Il se jette sans filet devant 3000 personnes. C’est un geste entre l’hyper-conscience et l’inconscience totale.»

Impérative loge

Il a beau connaître son statut d’icône, Serge Fiori, on l’a compris depuis longtemps, ne court pas après les éloges. N’empêche, l’homme ne semble pas trop malheureux de savoir que les Fioritudes, non seulement connaîtront un second souffle au début 2016, mais «fioriseront» aussi un peu partout au Québec, lors d’une tournée-éclair qui, pour l’instant, ne compte que neuf dates (Montréal, Brossard, Saint-Jérôme, Valleyfield, Laval, Longueuil, Gatineau, L’Assomption et Québec).

«C’est tellement la plus belle vie au monde, de voir que tu as fait des affaires, et que les gens les chantent encore 40 ans plus tard…»

Quand Laurent Saulnier, l’un des manitous des FrancoFolies, lui a proposé ce projet de concert en son honneur, huit ans après le Salut à Serge Fiori, présenté au même festival, en 2006, qui, raconte-t-il, l’avait rendu «tout perdu», Serge Fiori a hésité.

Il a toutefois relaxé lorsqu’on lui a énuméré les noms pressentis pour raviver son œuvre: Marie-Pierre Arthur, Antoine Gratton, Alexandre Désilets, Catherine Major. Il avait déjà rencontré les deux premiers, a demandé à jaser avec Alexandre et Catherine. Daniel Lavoie, Ian Kelly et les autres se sont ajoutés plus tard. Sachant que ses potes Marc Pérusse et Luc Picard se co-chargeraient de la direction artistique, il a finalement donné son aval, non sans savoir que la soirée serait chargée d’émotions.

«Pour moi, ces personnes donnent l’homogénéité, le «nous» de ce que ma musique essaie d’être. Une gang comme ça, avec des gens forts individuellement, qui allaient se multiplier ensemble, je trouvais que ça fittait exactement à la bonne place. Et je ne me suis pas trompé.»

Il n’aurait pas aimé une prestation pétaradante, bardée d’effets spéciaux, sur une installation extérieure, devant des dizaines de milliers de personnes.

«On n’est plus dans la musique. C’est le fun, avoir un plus grand écran que le gars de la veille, avec le système d’éclairage qui tourne tout seul, qui fait une spirale et qui mange des hamburgers… Mais la musique? Il n’y a pas d’écoute. J’y vais, voir les gros shows, les grands événements. Je suis aussi freak que les autres. Pour voir le gros écran et la grosse machine. Mais là, ce n’est pas ça qu’on fait. Et moi, je ne le ferai pas. Je ne me taperai pas le Festival d’été. Je comprends ceux qui le font, je comprends le besoin de le faire, l’envie d’être 100 000 personnes à la fois, c’est ça, le trip

«Là, j’ai hâte de le réécouter, laisse-t-il planer, revenant aux Fioritudes. Moins fucké (rires). Peut-être que je vais pogner des downs à chaque jour, suivre la tournée en dépression, couché, avec des pilules…(rires) J’ai peur, mais je vais sûrement avoir des bouts où je vais entendre ce qu’ils feront.»

Sans farces. S’imposera-t-il à nouveau la divine souffrance d’aller regarder et écouter ses jeunes descendants incarner ce qu’il a été hier, ce qu’il est aujourd’hui?

«Ça prend une loge. Je veux qu’eux (les artistes du spectacle) soient totalement libres de vivre ces chansons-là. Et moi, je dois être totalement libre de les écouter. Anonyme. Juste à checker les salles où il y a des loges…»

Déjà, on sait que le Théâtre Outremont et le Grand Théâtre de Québec en abritent au moins une…

La scène? «Ça s’en vient…»

Or, que les rêveurs ne s’emballent pas trop: si Fiori y est, ce sera pour savourer, fredonner tout bas, essuyer une larme en toute discrétion… en toute invisibilité. Pas pour entonner En pleine face ou Comme un fou avec le groupe et ses membres.

Il y a bien eu, dans les derniers mois, des rumeurs comme quoi la légende Fiori préparait un retour derrière le micro, mais celles-ci relèvent, pour la minute, du rêve, davantage que du concret. Il ne dédaigne pas entendre le bruit courir, alimenter le mythe («c’est mon personnage qui crée ça!»), mais ne formule aucune promesse. Aux prises avec une condition, une forme de TDAH avancée, il n’écoute que son instinct. Et celui-ci le sert bien, jusqu’ici.

«Je rêve de jouer, de faire moi-même une tournée, détaille-t-il sur le ton de celui qui remet les pendules à l’heure. Mais j’ai des drops de concentration qui sont effrayantes. Ça peut arriver n’importe quand et ça peut durer 5 ou 6 minutes. Donc, en show, c’est assez pénible à vivre. Je n’ai pas le trac, je n’ai pas de panique, mais quand ça arrive, c’est la chose qui fait le plus peur au monde. Je suis médicamenté.»

Ceci dit, il atteindra son objectif un jour ou l’autre. Il se le jure.

«C’est un défi, un besoin, je le veux, s’enflamme-t-il. Je vais y arriver. Quitte à essayer 14 pilules! (rires) Je suis prêt. Mais c’est ma condition. J’ai eu une amélioration, en un an, qui a été hallucinante. Je n’y avais jamais pensé, avant, parce que je n’avais pas les bons outils, mais il y a eu une amélioration qui a fait que je suis assis ici, aujourd’hui (en entrevue) et que je suis capable de dire que je veux y aller. J’ai l’impression que ça s’en vient…»

Autre fantasme pas si débridé qu’il caresse et qu’il évoque d’un ton mi-figue, mi-raisin: celui d’ouvrir une maison de disques pour permettre aux jeunes talents de briller, sans entraves commerciales.

«Il faut arriver à faire des albums où les producteurs ont moins d’importance que l’artiste, plaide-t-il. Il faut absolument trouver le moyen d’arriver là. Moi, je suis chanceux, je peux me le permettre. Fred Pellerin aussi. Mais il y en a d’autres que, non. Il faut que ça arrête d’être un champ de producteurs, et qu’on revienne à un champ d’artistes.»

«J’achète le plus d’albums québécois possible et, des fois, je trouve que ça tombe seulement dans le single. Dans la vente. Si tu as l’œil, quand tu regardes quelqu’un, tu sais tout de suite où il peut aller. Faut que je me parte une compagnie de disques. Pour faire faire des albums à ce monde-là (les vedettes des Fioritudes), dans le tapis…»

«Vous êtes sérieux? Vous pourriez vraiment le faire?»

«C’est sûr! J’y ai pensé. Je pourrais lancer ma compagnie de disques… en montant sur scène.»

La tournée du spectacle Fioritudes sera lancée le 15 janvier 2016 au Théâtre Outremont, à Montréal, et se conclura le 6 février, au Grand Théâtre, à Québec. Antoine Gratton, Catherine Major, Alexandre Désilets, Marie-Pierre Arthur, Daniel Lavoie et Ian Kelly seront sur scène.

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