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«L'angoisse du paradis» de Yann Fortier: en marge du monde (ENTREVUE)

«L'angoisse du paradis» de Yann Fortier: en marge du monde (ENTREVUE)
Sarah Scott

Né en 1940 dans la municipalité connue sous le nom de Gorki, à l’époque de l’Union soviétique, Ivan Zolotov tourne les pages de l’histoire avec une lunette un peu décalée. Bien que sa vie soit parsemée d’événements marquants – rencontre avec l’astronaute Youri Gagarine, séance de montagnes russes endiablées au parc d’attractions Karl Marx, découvertes des prestidigitations du Cirque Volant, folles aventures à Cuba, enseignement à Barcelone – il sera toujours un peu spectateur du monde dans lequel il vit. À cheval entre deux siècles et deux régimes politiques, ce professeur d’histoire est né dans la tête de Yann Fortier, rédacteur professionnel, ex-éditeur adjoint du magazine Nightlife et directeur montréalais du World Press Photo.

À l’image du WPP, L’angoisse du paradis est ouvert sur le monde, politisé, générateur de réflexions et teinté de philosophie, mais là s’arrêtent les comparaisons entre l’objet littéraire et l’événement qui célèbre une discipline partisane de la réalité.

« Selon moi, un roman, c’est un carré de sable pour parler de choses qui ne se peuvent pas. En écrivant, je ne voulais rien faire d’autobiographique ou qui s’approchait de ma géographie. Le récit est campé en Russie, à New York, Barcelone, Cuba, Lyon et aux îles Kiribati. Certaines personnes sont convaincues que j’ai fait énormément de recherches pour l’écrire, mais je me suis surtout amusé à faire des recherches pour donner des noms de joueurs de ping-pong qui sont allés aux Olympiques à mes personnages secondaires... J’inclus bien sûr des portions d’histoire, mais je fais souvent vivre des faits non vécus à des personnes ayant existé. Je décloisonne le vrai du faux pour faire en sorte qu’à la fin, on ne sache plus ce qui s’est produit ou non. »

Véritable contraste avec une plume qui s’amuse avec le réel, le choix de faire du personnage principal un professeur d’histoire – inévitablement passionné de faits – n’a pourtant rien d’un parti pris pour la vérité. « En lisant le roman, on réalise qu’Ivan n’est jamais en train d’enseigner ou de parler d’histoire. Son travail est un prétexte à inclure encore plus d’éclatements. Pour moi, ce livre est une espèce de gros cirque. »

Un cirque dont est témoin un homme à côté de tout. « Ivan est un angle de caméra sur le monde, comme s’il regardait tout derrière une fenêtre, en se dégageant de ce qui se passe autour de lui. Il est spectateur de sa vie et de la vie, à un point tel qu’en le lisant, on peut le confondre avec le narrateur. Même quand il se passe des choses mirobolantes autour de lui, il reste stoïque. Il est parfois tellement dégagé que ça devient drôle. »

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Même si un accident tragique survient au terme des études du jeune homme, l’auteur a choisi de ne pas creuser les impacts émotifs de cette épreuve. « Mon roman ne va pas beaucoup dans l’affect. Il n’y a pas de grosse trame narrative avec des éléments clés qui séparent le livre en trois parties : avant, pendant et après. Je me suis plutôt amusé avec certains codes de l’absurde, de la bande dessinée et du surréalisme. J’aime faire un gros zooming sur rien pour que ça devienne caricatural. »

Un ton qu’il a adopté avec un sourire en coin pour décrire l’Union soviétique, dont le conflit avec les États-Unis a marqué son enfance. « Je viens d’une génération qui se levait le matin avec le sentiment que la guerre atomique serait déclenchée le lendemain. La télé diffusait plein de reportages sur la construction d’abris antinucléaires. Ça m’a marqué, très jeune. Avec les années, je me suis intéressé à la littérature russe et j’ai suivi un cours d’études russes à l’université. Paradoxalement, je n’ai jamais visité le pays. J’ai peur que mon imaginaire soit déçu. »

Il a plutôt opté pour une visite de la Russie à travers l’écriture romanesque. Un genre qu’il partage avec le grand public pour la première fois. « J’ai commencé à écrire vraiment jeune. Entre 15 et 20 ans, je m’exerçais énormément. Mais j’ai longtemps eu de la difficulté à savoir si j’avais un certain talent. Finalement, je suis publié sans avoir jamais vraiment envoyé de manuscrit aux maisons d’édition. Mon éditrice chez Marchand de feuilles, Mélanie Vincelette, avait lu des nouvelles que j’avais faites à Radio-Canada et m’a demandé si j’avais autre chose. Mon roman était pratiquement prêt. Le processus d’édition a été la démonstration que j’étais capable d’écrire un roman et ça m’encourage à en faire un autre. »

Le roman L’angoisse du paradis est présentement en librairies.

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