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« Poutine pour emporter » de Marie-Ève Gosemick : roman de l'éternel chokeux (ENTREVUE)

« Poutine pour emporter » : roman de l'éternel chokeux (ENTREVUE)
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Fred Proulx, porteur d’un demi-prénom et capable de demi-projets, est en pleine crise de quart de vie. Possédant un talent rare pour justifier ses mauvais comportements et préférant jouer sur la défensive plutôt que d’aller de l’avant, il abandonne sa vie montréalaise pour expérimenter la vie en Colombie. Un voyage qui le mènera à Bogota, Cartagena et Medellín, avec son lot d’auberges de jeunesse, de voyageurs colorés, de substances illicites, de fiestas et de remises en question. Poutine pour emporter est le premier roman de Marie-Ève Gosemick.

D’emblée, on est séduit par le style moderne, rafraichissant, rythmé, plein d’abréviations, d’anglicismes, de courtes portions en espagnol et d’expressions à l’image de la jeunesse d’aujourd’hui, rendant la lecture du récit absolument réjouissante.

« Comme j’ai un amoureux russe et des amis de partout dans le monde, j’adore les mélanges langagiers. J’aime explorer. Et je me suis permis ce genre d’écriture sans limites, parce que mon personnage se permet tout. En tant que personne, je n’ai jamais osé dire tout ce que je pensais. Je suis du genre à accumuler, à esquiver ou à fuir. J’ai donc utilisé un personnage pour exprimer plusieurs pensées longtemps retenues. »

Certaines de ces pensées sont en lien direct avec ses choix académiques et professionnels. Passionnée par l’écriture et la danse durant sa jeunesse, Gosemick a délaissé son amour du mouvement et transformé ses rêves d’auteure en secrets, le jour où le regard extérieur a pris plus de place dans sa vie. « Quand j’ai commencé à être exposée à la critique en danse, une discipline que j’aimais vraiment et qui est très subjective selon moi, j’ai beaucoup moins apprécié. J’imaginais étudier en lettres, mais mon expérience en danse m’a fait changer d’avis. »

Elle s’est plutôt dirigée en administration des affaires au HEC. Une fois son diplôme en poche, elle a décroché un emploi pour un producteur de chocolat possédant une filière à St-Hyacinthe, où elle a travaillé quelques mois avant de déménager à Zurich, en Suisse. De là, elle a accumulé les voyages d’affaires à l’étranger (France, Côte d’Ivoire, Ghana, Cameroun, Mexique, États-Unis), jusqu’au jour où la crise économique a eu raison de son poste.

De retour au Québec, elle a effectué un retour aux études en marketing – sachant pertinemment que son horaire lui permettrait de voyager – et travaillé pour le Cirque du Soleil et les Grands Ballets canadiens de Montréal. « Comme mon personnage, je me suis perdue dans mes histoires de carrière, d’ambition et de rêves d’expatriée. À Zurich, comme je ne parlais pas la langue, je pouvais à peine me débrouiller dans la ville. La solitude m’a donc encouragée à écrire énormément. Je suis revenue peu à peu vers mon côté artistique. »

Un tournant où elle a puisé l’inspiration de son premier roman. « Ma vie n’était pas ce que j’avais imaginé. Je me suis longtemps dit que je devais faire mes études, travailler à l’international, avoir le sens de l’initiative et travailler toutes les heures qu’il faut. J’avais le syndrome du bon élève, comme bien des jeunes qui croient devoir accomplir plein d’affaires avant d’avoir 30 ans. Mais avec le temps, j’ai réalisé que mes objectifs me filaient constamment entre les doigts. Quand j’ai vécu ma crise de remise en question, j’ai décidé d’écrire. »

Elle a alors imaginé les hauts et les bas de Fred, un antihéros déçu de sa vie. « Il prend conscience qu’il a suivi un moule un peu sans s’en rendre compte, qu’il ne termine jamais rien, qu’il est doué pour les fins en queue de poisson et qu’il a des relations toxiques, tant en amour qu’avec sa famille. »

Troublé par un tel constat, il décide de fuir. Un concept qui a trop mauvaise presse, aux yeux de l’auteure. « La ligne est parfois bien mince entre la lâcheté et le courage, quand il est question de fuite. Parfois, c’est la bonne décision de quitter, de lâcher prise. Ça ne sert à rien de rester dans une situation toxique ou de se refermer sur soi, car on n’aura pas le recul nécessaire pour identifier nos erreurs, réfléchir à ce qu’on peut faire pour améliorer notre condition ou se rappeler ce qu’on aimait plus jeune, avant de se perdre en chemin. »

« Le voyage amène une meilleure perspective et nous permet de rencontrer des gens avec des habitudes différentes. Quand on se retrouve à l’étranger, la lourdeur nous accompagne, parce qu’on part avec soi-même, mais ça nous éloigne du contexte où on doit travailler, voir plein de monde et exécuter sans arrêt. »

Très tôt, l’écrivaine a su que la Colombie était le lieu parfait pour accueillir la crise de son jeune Québécois. Son voyage là-bas avait laissé un souvenir de lourdeur et de légèreté, une dualité très riche pour son récit.

« L’histoire du pays est très lourde, avec la criminalité, les cartels de drogue et les drames qui se sont produits pour accéder à l’indépendance. Pourtant, les Colombiens sont parmi les peuples les plus chaleureux qu’il m’ait été donné de rencontrer. Ils ont une aptitude au bonheur, ce qui va inspirer Fred. Sans devenir complètement un nouvel homme, il va apprendre à ralentir pour regarder autour de lui et en lui, et il va développer sa capacité à improviser. Parce qu’en Amérique du Sud, si tu arrives avec un plan, tu comprends vite qu’il ne va jamais se produire. Tu sais quand tu pars, mais tu ne sais jamais quand tu arrives. »

« Poutine pour emporter » est présentement en librairies.

La Vénus à la fourrure

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