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La réduction du fardeau fiscal des entreprises serait «l'une des pires erreurs politiques de la génération précédente»

La réduction du fardeau fiscal des entreprises, dur coup à l'économie?
Money falling from briefcase of running businessman
Gary Waters via Getty Images
Money falling from briefcase of running businessman

Les réductions d’impôt accordées aux grandes entreprises devaient nous mener vers des lendemains qui chantent. Or, une nouvelle étude du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) révèle qu’elles ont ralenti l’économie au lieu de la stimuler.

L’explication tient au fait que les entreprises n’ont pas agi comme prévu, en accumulant des liquidités à la banque au lieu de les réinvestir dans des projets créateurs d’emplois. Pour reprendre le terme utilisé en 2012 par Mark Carney (alors gouverneur de la Banque du Canada), elles ont constitué d’immenses réserves d’argent mort.

Au cours des trois dernières décennies, les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney, les libéraux de Jean Chrétien et les conservateurs de Stephen Harper ont successivement réduit le taux d’imposition des entreprises, si bien que celui-ci est tombé de 36 à 15%. Il s’agit du taux le plus bas depuis la Grande Dépression.

Pendant ce temps, les réserves monétaires des entreprises canadiennes ont atteint des sommets. Selon Statistique Canada, elles s’élevaient à 680 milliards de dollars au deuxième trimestre de 2015. Tant pis pour les investissements !

Plusieurs analystes affirment que les entreprises sont plus réticentes à investir depuis la crise financière de 2008-2009 et attribuent la croissance de leurs réserves à l’incertitude économique. Or, les données de Statistique Canada démontrent que le phénomène s’est accentué dès le milieu des années 1990.

Pour sa part, le FMI souligne que les réserves des entreprises canadiennes ont augmenté plus rapidement que dans tout autre pays du G7, à la suite des baisses rapides du taux d’imposition mises en œuvre par le gouvernement Harper.

« En laissant aux grandes sociétés une plus grande part de leurs revenus bruts, la réduction du fardeau fiscal a favorisé la thésaurisation de l’argent liquide », écrit Jordan Brennan dans l’étude du CCPA. Cet économiste à l’emploi d’Unifor s’en prend plus particulièrement aux géants corporatifs, soulignant que les PME et les petits commerces ont rarement le luxe de se constituer des réserves.

Brennan reconnaît que son analyse risque de susciter la controverse, puisqu’elle défie la pensée économique conventionnelle et contredit les résultats de recherches précédentes, dont ce document de travail du ministère des Finances selon lequel l’allègement du fardeau fiscal des sociétés, de 2001 à 2004, « a mené à des investissements supérieurs ».

Les données examinées par Brennan indiquent que les investissements productifs (donnant lieu à une croissance économique et à la création d’emplois) ont été à leur plus haut niveau durant les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Cette période correspond aux taux d’imposition des entreprises les plus élevés. En revanche, les baisses d’impôt accordées à partir de la fin des années 1980 coïncident avec un ralentissement des investissements.

Tout porte à croire que l’économie se porte mieux quand le taux d’imposition des entreprises est plus élevé. Or, l’étude du CCPA semble indiquer que ce taux a peu d’influence. En effet, Brennan l’a comparé à 52 autres indicateurs économiques et n’a trouvé aucune corrélation significative avec 38 d’entre eux. Autrement dit, les autres événements survenus durant cette période ont eu plus d’influence sur l’économie que cette mesure fiscale particulière.

Cependant, il existe une corrélation positive avec presque tous les autres indicateurs, ce qui suggère que la hausse du taux d’imposition des entreprises aurait bel et bien un effet positif sur l’économie, tandis que sa réduction aurait un effet néfaste.

« Si les constatations de notre étude se confirment, la réduction du fardeau fiscal des entreprises passera pour l’une des plus grandes erreurs politiques de la génération précédente », écrit-il. « Les données empiriques et statistiques vont totalement à l’encontre de la pensée économique dominante à cet effet. »

Un nivellement par le bas

L’argument principal des partisans des baisses d’impôt est que les autres pays en accordent eux aussi, ce qui nous obligerait à les imiter pour retenir les investisseurs au Canada.

« La réalité de l’économie mondiale est que tous les pays souhaitent attirer des investissements. Chaque avantage concurrentiel compte, et le taux d’imposition des entreprises est l’un des éléments les plus importants d’un environnement économique favorable », pouvait-on lire récemment sur le blogue de l’Institut Fraser, un organisme qui penche plutôt à droite.

Le document de travail du ministère des Finances mentionné ci-haut dénote que les entreprises canadiennes sont détenues par des investisseurs étrangers dans une plus grande proportion que leurs consœurs américaines, ce qui rend l’économie canadienne « particulièrement sensible » aux changements de nature fiscale.

Le graphique ci-dessous, produit par l’organisme Tax Foundation de Washington, illustre à quel point le fardeau fiscal des sociétés a décliné sur tous les continents depuis dix ans. Les partisans des baisses d’impôt peuvent s’en réjouir, mais bon nombre d’analystes qualifient cette tendance de « nivellement vers le bas » et redoutent que les consommateurs du monde entier ne portent à eux seuls la totalité du fardeau fiscal dans quelques années.

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