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Des organismes accusent Québec de privatiser en douce les soins de longue durée

Québec privatise-t-il en douce les soins de longue durée?
Chris Ryan via Getty Images

Un regroupement d'organismes accuse le gouvernement du Québec de procéder en douce à la privatisation d'une part importante des soins de longue durée aux aînés et d'en affaiblir les normes en permettant aux résidences privées pour aînés d'offrir des soins plus poussés tout en échappant à l'encadrement requis.

Ces groupes, sous le parapluie du Réseau FADOQ, ont lancé un cri d'alarme, lundi à Montréal, après analyse du projet de Règlement sur la certification des résidences privées pour aînés, déposé le 14 octobre dernier, dont au moins une provision ne respecterait pas la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

«On instaure depuis une dizaine d'années un régime à deux vitesses pour les personnes âgées en perte d'autonomie», a déclaré l'avocat Jean-Pierre Ménard, spécialisé en droit de la santé.

Le règlement en question permet à toutes les résidences privées pour aînés dont la clientèle n'est pas entièrement autonome d'avoir un local où des professionnels pourront offrir un service de santé ambulatoire.

Le regroupement réclame donc l'octroi d'un permis de CHSLD privé conventionné pour toute résidence hébergeant des personnes non autonomes afin que, d'une part, les soins soient couverts par le régime public et, d'autre part, qu'ils soient soumis aux mêmes normes que ceux des Centres d'hébergement et de soins de longue durée.

«On est en train de proposer de sous-traiter littéralement les soins de longue durée à des résidences privées qui, souvent, ne sont pas équipées, d'où notre demande de les assujettir aux conditions pour obtenir une certification comme Centre de soins privés conventionné», a expliqué le président du Conseil pour la protection des malades, Me Paul Brunet.

Le règlement proposé se traduirait, selon ses représentants, par l'obligation pour les résidants de payer de leur poche des soins de santé dont la qualité ne pourrait être garantie par les normes imposées aux CHSLD puisque l'encadrement des résidences privées pour aînés relève de la Régie du logement et non du ministère dans la Santé.

«On n'a rien contre le fait que les murs d'un établissement soient privés, mais il faut que les soins qui y sont prodigués, tous les services qu'on y offre, soient assurés par l'État, a ajouté Me Brunet. Si l'État veut sortir des soins, il faudra qu'on encadre, qu'on surveille.»

Des aînés tatoués

La possibilité de voir le gouvernement rehausser le niveau de soins offerts aux personnes âgées sans que les normes ne suivent a d'ailleurs ulcéré la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), Régine Laurent.

«Pourquoi est-ce que, dès que c'est dans le privé, on diminue les attentes, on diminue tout ce qu'on demande au réseau public de faire en termes de qualité, de surveillance?», a-t-elle lancé.

Les organismes estiment de plus que plusieurs résidences privées oeuvrent déjà au-delà des limites de la légalité puisque quelque 350 d'entre elles offrent des unités de soins, et 540 accueillent des aînés en risque d'errance qui requièrent une surveillance constante. En tout, la Société canadienne d'hypothèques et de logement recense 13 500 places privées en soins assidus au Québec.

Le regroupement s'insurge contre ce qu'il estime être une autre étape du désengagement de l'État face à ses aînés et d'une privatisation des services qui leur sont offerts.

«Ce n'est pas une vision à long terme qu'on a, c'est une vision à court terme d'équilibrer un fichier Excel comptable pour arriver à un budget à zéro et on le fait sur le dos des personnes les plus démunies et ça, c'est inacceptable», a déclaré le directeur général du Réseau Fadoq, Danis Prud'homme.

Il a souligné que le gouvernement avait déjà amorcé ce désengagement il y a quelques années en décidant que, pour être admis dans un CHSLD, un patient devait avoir besoin de trois heures de soins par jour et non plus 1 h 20, plutôt que d'ouvrir de nouvelles places.

Ce faisant, il n'a fait que repousser le problème puisqu'il y a aujourd'hui 4000 personnes en attente d'une place en CHSLD.

Or, de 2009 à 2014, le nombre de places en CHSLD a chuté de huit pour cent à la suite de compressions multiples, l'accès aux soins à domicile n'a pas été amélioré et le nombre d'aînés ne cesse de croître.

La seule croissance se situe du côté des résidences privées pour aînés, mais celles qui offrent des soins assidus qui sont souvent inaccessibles à la majorité puisque le coût annuel moyen, en forte croissance, atteint 27 241 $ par année, soit près de 10 000 $ de plus que le revenu médian des femmes de 75 ans et plus, qui représentent la vaste majorité de la clientèle de ces résidences.

«Notre système de prise en charge des personnes en perte d'autonomie, actuellement, c'est une faillite. On a manqué le virage vieillissement et on amplifie ça encore et la privatisation n'est pas la solution», tranche Jean-Pierre Ménard, soulignant que les victimes de ce virage silencieux vers le privé et la réduction de leurs droits de bénéficiaires sont des personnes vulnérables, qui se plaignent peu ou pas et qui, si elles amorcent des recours juridiques, risquent de ne plus y être lorsqu'ils aboutissent.

«On a réduit l'offre en soins de longue durée dans le public de façon substantielle, mais on a oublié de dire à la population de ne pas perdre d'autonomie dans l'intervalle», conclut-il tristement, non sans ironie.

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