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Pas d'obligation de bilinguisme en Alberta et en Saskatchewan, tranche la Cour suprême (VIDÉO)

Ces deux provinces n'ont pas d'obligation de bilinguisme (VIDÉO)

La Cour suprême du Canada a rejeté vendredi l'appel de Gilles Caron et de Pierre Boutet, et décidé qu'aucun élément historique n'empêche l'Alberta et la Saskatchewan de se déclarer unilingues sur le plan législatif.

Dans une décision partagée, une majorité de six des neuf juges de la Cour refuse l'interprétation d'un droit implicite. « Les droits linguistiques ont toujours été conférés de manière expresse », écrivent les juges.

Ils qualifient l'interprétation historique présentée par M. Caron et M. Boutet comme un « amalgame complexe fait d'instruments, de phrases vagues, de déclarations politiques et de contexte historique ».

Trois juges, dont deux Québécois, sont plutôt d'avis que les provinces auraient dû être déclarées bilingues sur le plan législatif.

Selon eux, l'histoire prouve que le bilinguisme avait effectivement été accordé avant la création des provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan. Ils auraient préféré que la Cour reste fidèle à « l'approche large et généreuse [...] adoptée par la Cour à maintes reprises » en matière de bilinguisme.

Les juges de la majorité ont plutôt estimé que même si la Cour « doit donner une interprétation généreuse aux droits linguistiques constitutionnels ; elle ne doit pas en créer de nouveaux. »

Les arguments des appelants

Les avocats de Gilles Caron et de Pierre Boutet ont argumenté que le respect des droits linguistiques des francophones faisait partie intégrante du transfert de la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest dans la Confédération canadienne en 1870.

Ce territoire comprend aujourd'hui l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et une partie du Labrador.

Dans une proclamation royale en 1867, la reine d'Angleterre avait notamment reconnu les « droits acquis » des Métis, qui comprenaient, selon les avocats de Gilles Caron et Pierre Boutet, les droits linguistiques.

Les juges de la majorité ont cependant rappellé que seul le Manitoba a expressément inscrit des garanties linguistiques dans l'acte consitutionnel de 1870 créant cette province. De telles garanties constitutionnelles n'existaient pas, selon eux, dans le reste du territoire annexé au Canada.

L'échec déçoit les francophones

Gilles Caron a exprimé son amertume après avoir appris la décision de la Cour suprême. « On a perdu, mes amis [...] on n'a rien gagné . » Selon lui, le jugement fragilise la présence du français en Alberta et en Saskatchewan.

La présidente l'Assemblée communautaire fransaskoise, Françoise Sigur-Cloutier, a exprimé « un grand sentiment de vide et de déception » face à la décision sur laquelle elle avait fondé beaucoup d'espoir pour « renforcer nos communautés, donner un élan dont on avait besoin ».

Le président de l'Association canadienne-française de l'Alberta (ACFA), Jean Johnson, a aussi exprimé sa déception. Il estime qu'à la suite de la décision de la Cour, les droits des francophones seront encore plus difficiles à revendiquer.

M. Johnson souligne toutefois que trois des neuf juges ont donné raison aux avocats de Gilles Caron, un élément positif dans toute cette histoire. Il croit que leur interprétation ouvre la porte à d'autres discussions avec le gouvernement fédéral.

L'avocat de Gilles Caron, Roger Lepage, soutient que les faits historiques donnent raison à son client. Il croit que c'est maintenant au gouvernement fédéral d'intervenir dans le dossier.

« Le gouvernement Trudeau devrait faire la bonne chose et dire qu'il va corriger cette erreur-là et payer l'argent qu'il faut aux provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta pour traduire toutes leurs lois, et les règles de la cour. »

— Roger Lepage, avocat de Gilles Caron

Écoutez l'entrevue complète de Me Roger Lepage à l'émissionMidi plus Saskatchewan avec Marc-Antoine Bernier

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) rappelle aussi que les provinces canadiennes peuvent choisir d'être bilingues sur les plans juridique et législatif. « Je pense que ce sont des choses que l'on peut corriger, en dépit du jugement de la cour qui n'empêche pas de faire ces correctifs », avance Sylviane Lanthier.

Elle souligne que le jugement n'enlève rien au fait que des francophones sont présents en Alberta et en Saskatchewan et que ces communautés sont en croissance dans l'Ouest du pays.

L'Alberta veut rassurer les francophones

La ministre de la Justice de l'Alberta, Kathleen Ganley, dit que son gouvernement reste engagé à soutenir la culture francophone en Alberta, malgré la décision de la cour.

« Nous ne voulons pas que ce jugement définisse notre relation avec la communauté francophone de l'Alberta », dit la ministre.

Elle ajoute que la province n'avait pas entrepris de démarches en vue du jugement, ne voulant pas présupposer la décision de la cour.

Le parcours juridique

La cause Caron découle d'une contravention rédigée en anglais et imposée, en 2003, au camionneur albertain Gilles Caron. Ce dernier avait contesté la validité de l'amende, car elle n'avait pas été rédigée en français et en anglais.

Une affaire à laquelle s'est greffée celle de Pierre Boutet, un résident d'Edmonton qui dénonçait lui aussi une contravention rédigée en anglais, affaire qui s'est rendue jusqu'en Cour suprême du Canada.

Les actions en justice de Gilles Caron et de Pierre Boutet se sont élargies au cours des 12 dernières années à la question du bilinguisme dans les lois provinciales.

En 2008, la Cour provinciale de l'Alberta avait donné raison aux deux hommes en affirmant que l'Alberta avait l'obligation constitutionnelle de publier ses lois en anglais et en français.