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Anastasia Lin, Miss World Canada, accuse la Chine de la punir à cause de ses opinions

Miss Canada interdite de finale du concours Miss Monde

Quand Anastasia Lin était enfant, en Chine, sa mère la faisait grimper tous les matins sur les montagnes proches de chez elle et hurler des traductions de textes chinois. C’était sa manière à elle de lui faire pratiquer son anglais. Aujourd’hui, à 25 ans, la lauréate du concours Miss World Canada met à profit sa notoriété pour faire porter sa voix au-delà des frontières.

Critique virulente des violations des droits de l’homme perpétrées dans son pays d’origine, Anastasia Lin affirme que le gouvernement chinois instrumentalise un concours de beauté international pour la punir de ses prises de parole.

"Ça dure depuis un certain temps", nous a-t-elle indiqué lors d’un entretien téléphonique, soulignant qu’il n’était pas rare que le gouvernement chinois utilise la procédure d’attribution de visas pour "réduire au silence" des opposants à l’étranger. Anastasia Lin, qui a pris la nationalité canadienne après avoir quitté la Chine alors qu’elle était adolescente, pense que ce procédé est mis en œuvre pour l’empêcher de participer à la finale du concours Miss World qui doit se tenir le mois prochain à Sanya, sur l’île de Hainan.

Elle a besoin d’une lettre d’invitation des organisateurs chinois de l’événement pour finaliser son dossier de demande de visa. Mais à quelques jours à peine de la date limite pour l’obtention du sésame, elle concède que ses chances de participer au concours le 19 décembre se réduisent comme neige au soleil.

En plus de sa déception, cette jeune diplômée de l’université de Toronto affirme que la réaction du gouvernement canadien n’a pas été à la hauteur de la situation.

Le ministère des affaires étrangères nous a indiqué qu’il n’était pas possible de commenter les décisions chinoises d’attribution de visa. "Le Canada approuve les efforts de toutes les personnes et organisations qui s’engagent pour faire progresser la cause des droits de l’homme en Chine", a déclaré François Lasalle, porte-parole du ministère.

Il a réaffirmé que le gouvernement canadien restait “attaché” à des discussions constructives avec les représentants chinois sur les droits de l’homme, qualifiant ce sujet de question “centrale” dans les relations bilatérales.

"Ils répondent la même chose à tout le monde", affirme Anastasia Lin. "Ce n’est pas un problème de visa, ce n’est pas un problème administratif". C’est une question de principe, insiste-t-elle, accusant l’actuel gouvernement libéral de traîner les pieds pour adopter une position plus ferme. Les organisateurs des concours Miss World Canada et Miss World n’ont pour l’heure pas répondu à nos sollicitations.

"Parce qu’ils osent avoir des convictions"

Anastasia Lin est une figure montante depuis son couronnement de mai dernier à Miss World Canada, un titre que la militante des droits de l’homme Nazanin Afshin-Jam a également détenu par le passé.

Encouragée par des conseils que cette dernière lui avait donnés il y a de cela 12 ans, Anastasia Lin s'est servi de ce concours pour s’exprimer sur les traitements que subissent les adeptes de la secte Falun Gong en Chine. Elle a même été auditionnée par une commission du Congrès américain pour donner son point de vue sur les violations des droits de l’homme en Chine.

"Je voulais prendre la parole pour ceux qui en Chine sont battus, brûlés et électrocutés parce qu’ils restent attachés à leurs croyances ; pour ceux qui sont emprisonnés, à manger de la pourriture avec leurs doigts meurtris parce qu’ils osent avoir des convictions", a-t-elle affirmé en juillet devant la Commission exécutive du Congrès sur la Chine.

Le gouvernement chinois a mis Falun Gong hors la loi en 1999, évoquant le risque que faisait peser cette secte sur la stabilité sociale.

Anastasia Lin a été sensibilisée à cette cause en jouant dans le film “The Bleeding Edge”. Pour se préparer à son rôle d’adepte de Falun Gong emprisonnée, elle a passé du temps à éplucher les campagnes d’affichage du groupe dans le Chinatown de Toronto.

"Comme parmi les adeptes, beaucoup ont la barrière de la langue, ou des barrières culturelles, quand ils viennent ici ils n’ont pas vraiment les moyens de parler de leur expérience aux Occidentaux", explique-t-elle. Elle a confirmé son engagement quand elle a eu connaissance des traitements que les autorités chinoises infligeaient aux adeptes. Mais plus elle s’exprimait, moins son père souhaitait lui parler.

"Ne reviens pas"

Peu de temps après ses premières prises de parole sur le sujet, des agents des services de sécurité ont commencé à rendre visite à son père, qui réside encore en Chine.

"Au début, il a été très content que je gagne, mais ensuite il a pris vraiment peur", explique-t-elle, évoquant une appréhension très forte au sein de cette génération plus âgée, inquiète d’être persécutée pour des prises de position critiquant le gouvernement.

Anastasia Lin affirme que la "peur, qui est présente en permanence" a détérioré la relation qu’elle avait avec son père. Anxieux à l’idée que son téléphone soit sur écoute, il a arrêté de lui parler "pendant un bon moment".

À cause des systèmes bloquant certains sites Internet en Chine, des proches d’Anastasia Lin ont fait parvenir à son père des captures d’écran, correspondant à des articles de presse qui rapportent ses prises de position contre le gouvernement chinois.

"J’ai essayé de reprendre contact avec lui, et on a eu de très brèves conversations", raconte-t-elle.

Quand ils ont enfin repris contact, son père a insisté pour qu’elle arrête de parler de politique et de droits de l’Homme, tout en s'enthousiasmant à l’idée qu’elle revienne en Chine 11 ans après en être partie. Et puis le 2 novembre, elle a reçu un message de sa part : “C’est mieux que tu ne reviennes pas”.

La date limite pour l’obtention du visa approchant à grands pas, Anastasia Lin affirme que la Chine s'enfonce, si les autorités ne délivrent effectivement pas la lettre d’invitation du fait de son militantisme pour les droits de l’homme.

“S’ils ne respectent pas les valeurs et les droits internationaux, ils ne peuvent pas accueillir un concours comme celui-là.”

Malgré des pressions l’invitant à faire profil bas, elle explique qu’elle suit l’exemple de dissidents de premier plan, qui essaient justement de protéger les membres de leurs familles en menant des campagnes médiatiques du même genre.

“Parce qu’ils pourront faire tout ce qu’ils veulent à mon père, si les projecteurs ne sont pas braqués là-dessus.”

Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post Canada, a été traduit de l’anglais par Mathieu Bouquet.

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