Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les libéraux de Justin Trudeau: «Nous avions un plan et nous l'avons respecté» et ils ont gagné

Les libéraux de Justin Trudeau: «Nous avions un plan et nous l'avons respecté» et ils ont gagné
Justin Trudeau sort du Parlement pour donner une conférence de presse à Ottawa le 20 octobre 2015 après avoir remporté les élections fédérales. (Photo: Nicholas Kamm/Getty Images)

La victoire historique des libéraux, lundi dernier, a peut-être étonné certains Canadiens, mais pas Justin Trudeau et ses conseillers les plus proches. Elle fut le résultat d’une stratégie de deux ans et demi qu’ils disent avoir été exécutée à la perfection, d’un leader à la hauteur et d’un peu de chance gracieuseté des états-majors conservateur et néo-démocrate.

Ce fut également la preuve pour Trudeau et ses plus proches qu’une politique positive pouvait fonctionner, et que des publicités au ton négatif avec des attaques personnelles n’étaient pas nécessaires pour se rendre au 24, Sussex Drive.

En juillet, alors que les libéraux semblaient se diriger vers la campagne électorale en troisième place à l’échelle nationale, le président de la firme de publicité du parti, Bensimon Byrnes, a prévenu les collaborateurs de Trudeau que les publicités qu’ils avaient en tête étaient vouées à l’échec, et qu’il leur fallait adopter un ton négatif.

«’Changer ensemble’ ne va pas fonctionner», leur a dit Jack Bensimon. Le mois précédent, Trudeau avait déjà dévoilé son slogan de campagne, «Changer ensemble», et un programme en 32 points afin de rendre le gouvernement plus transparent.

Le thème du changement appartient au NDP, a-t-il indiqué, et deux marques ne peuvent cohabiter dans l’esprit des gens. Des générations de Canadiens ont fini par penser que, peu importe ses politiques, le NPD serait perçu comme le vecteur du changement, et son dirigeant, Thomas Mulcair, comme celui ressemblant le moins au leader conservateur Stephen Harper.

«Au lieu de nous présenter comme étant la meilleure option, nous devons devenir la moins pire des options», a écrit Bensimon à Gerald Butts et Katie Telford , les conseillers les plus proches de Trudeau, dans un courriel partagé avec d’autres membres de l’équipe. «Puisque cela est contraire aux raisons qui font que Trudeau et vous êtes allés en politique, il serait totalement raisonnable de renoncer à cela. Mais je crois que c’est ma responsabilité de proposer une stratégie qui pourrait fonctionner, même si vous la rejetez.»

David Herle, un habitué de CBC ayant joué un rôle dans la stratégie publicitaire de l’équipe de Trudeau, était d’accord, et il estimait fortement que les libéraux devaient présenter des publicités négatives ciblant Mulcair.

Butts et Telford n’étaient pas d’accord. Des attaques libérales se retourneraient contre le parti, croyaient-ils. Les Canadiens verraient cette stratégie pour ce qu’elle était: mettre les intérêts du parti devant ceux des électeurs, a écrit Butts dans un courriel.

Cela ne parviendrait également pas à contrer la perception — implantée par les conservateurs grâce à des millions de dollars de publicités négatives — voulant que Trudeau n’était pas prêt.

Tout d’abord, il leur fallait revenir dans la partie, et alors, pensaient-ils, Trudeau serait en mesure de rassembler les gens autour de lui avec un message d’espoir selon lequel un Canada meilleur était possible.

«Nous allons gagner grâce à l’espoir et au travail. Travailler pendant la campagne et ‘espérer un Canada meilleur pour vous et votre famille’», a écrit Butts.

C’était en gros le même message que répétait Trudeau depuis qu’il était entré dans la course à la direction du Parti libéral, le 2 octobre 2012. Il souhaitait offrir aux Canadiens un leader en qui ils croyaient pouvoir avoir confiance, a-t-il affirmé à une foule rassemblée à Montréal, quelqu’un se concentrant sur leurs espoirs et rêves, et quelqu’un croyant que «mieux» était possible.

Il s’en est tenu à ce message pendant trois ans, et lundi, il a donné au Parti libéral un gain de 150 sièges en une élection, soit la plus importante victoire de l’histoire du parti, et son pourcentage de votes le plus élevé depuis Jean Chrétien, en 2000. Soudainement, un parti qui se trouvait sur son lit de mort quatre ans auparavant redevenait pertinent.

Le commencement

L’histoire du succès de la campagne des libéraux a débuté bien avant l’annonce des élections, et avant l’accession de Trudeau à la tête se son parti, en avril 2013. On peut remonter à ce long week-end de la fin juillet de 2012, dans la pittoresque ville de Mont-Tremblant, dans les Laurentides.

Trudeau avait réuni amis, conseillers et membres de sa famille afin de discuter de sa très probable tentative afin de devenir le chef libéral, et de planifier sa victoire. Entre autres, le groupe incluait:

  • Sophie Grégoire-Trudeau, sa femme.
  • Gerald Butts, son meilleur ami à l’université et conseiller de confiance qui avait été le principal secrétaire de Dalton McGuinty, premier ministre de l’Ontario. Il a quitté son poste pour diriger le Fonds mondial pour la nature avant le scandale ayant secoué les libéraux de l’Ontario.
  • Katie Telford, ancienne collègue de Butts à Queen’s Park et pendant un certain temps chef d’état-major adjointe de Stéphane Dion. Elle allait devenir coprésidente de la campagne.
  • Tom Pitfield, un ami de la famille qui allait être stratège numérique.
  • La femme de Pitfield, Anna Gainey, maintenant présidente du Parti libéral.
  • Navdeep Bains et Omar Alghabra, anciens députés de Mississauga, qui encourageaient Trudeau à entrer dans la course, tous deux réélus lundi.

Ensemble, ils ont parlé de l’avenir du PLC: fallait-il continuer en tant que parti distinct (oui); le Parti libéral devait-il fusionner avec le NDP (non, ils étaient trop différents); comment allaient-ils reconstruire le Parti libéral (attirer les Canadiens, le rendre concurrentiel, accroître sa capacité à lever des fonds); étaient-ils en faveur de nominations ouvertes (ils avaient tendance à dire oui, et Trudeau allait par la suite être inflexible à ce sujet); combien d’élections leur faudrait-il pour parvenir à leurs fins (peut-être une, possiblement deux).

«Quand on pense aux sièges, personne n’avait jamais fait ça avant, a affirmé Butts au Huffington Post Canada, cette semaine.

La prudence nous faisait dire qu’on ne pouvait passer de 35 à un gouvernement majoritaire en une élection, il nous fallait donc réaliser des progrès graduels plutôt qu’un bond transformationnel.»

Ils croyaient que c’était peut-être possible, mais qu’avant cela, il y avait beaucoup de travail à faire, a-t-il dit.

Le parti détenait alors 35 sièges à la Chambre des communes, un de plus qu’au soir du scrutin de 2011, alors que les libéraux avaient chuté à leur nombre de sièges le plus bas de leur histoire, et que leur proportion du vote populaire était inférieure à 19 %.

Élections Canada avait désincrit plusieurs associations de circonscription. Les collectes de fonds du parti étaient loin de pouvoir rivaliser avec celles des conservateurs.

«Il avait la vision la plus lucide de ce que nous devions faire de chacun au sein du caucus.»

— Alfred Apps, ancien président du Parti libéral

Ces «jours sombres», comme les qualifie Alfred Apps, alors président du parti, étaient l’élément catalyseur dont avait besoin le parti pour se moderniser. Apps a commencé par demander aux libéraux de s’impliquer à nouveau et de réformer leur parti, et Trudeau s’est impliqué profondément dans le processus de renouvellement.

«Il avait la vision la plus lucide de ce que nous devions faire de chacun au sein du caucus», a affirmé Apps au sujet de sa réunion avec les députés libéraux, à l’automne de 2011.

Trudeau s’est prononcé en faveur d’une idée controversée lors du congrès du PLC, en janvier 2012: ne pas limiter aux membres du parti l’élection du nouveau chef libéral. Certains croyaient qu’établir une catégorie de «partisans» était risqué et aurait pour effet d’écarter de loyaux membres. Cela a plutôt permis d’ajouter 30 000 personnes à la banque de données des libéraux, aidant ceux-ci à identifier d’éventuels partisans et bénévoles, tout en accroissant largement le groupe des donateurs du parti.

«Cela a toujours été une possibilité [se hisser au pouvoir au terme d’une seule élection] et, franchement, cela a toujours été l’objectif visé, mais le risque de se retrouver numéro un, l’objectif principal, peut être vraiment distrayant, a indiqué Alghabra.

L’idée était de ne pas perdre de vue l’objectif… [et de ne pas] perdre du vue les éléments de base, parce que vous êtes après certains sondages ou politiques».

À Mont-Tremblant, les discussions ont largement porté sur la façon dont le parti pouvait être rebâti. «L’idée était que si on se concentrait sur la reconstruction du parti, de l’image du parti et des valeurs du parti, le succès politique suivrait», a-t-il dit.

«C’était un vrai appel à l’action qui m’a inspiré et m’a donné espoir, et je crois que cela a certainement rapporté», a ajouté Alghabra.

Deux mois plus tard, Trudeau annonçait dans sa circonscription de Papineau qu’il prendrait part à la course à la direction du parti. Sept mois après, il gagnait, par une large marge près de 80 %.

Justin Trudeau célèbre son accession à la tête du Parti libéral, en 2013, sur scène avec sa famille. (Photo: Canadian Press)

La planification de la campagne électorale — la vraie course — avait débuté deux mois auparavant.

Les conseillers de Trudeau avaient déjà déterminé la voie menant au succès. «Nous avons dit que nous avions besoin de dominer au Canada atlantique, de mieux faire au Québec, de plus ou moins balayer l’Ontario, de prendre pied dans l’Ouest urbain et de gagner dans la vallée du bas Fraser. C’est exactement ce que nous avons fait», a dit Butts.

Le chef libéral a commencé par arpenter le pays. Il s’est rendu en Colombie-Britannique et a déclaré que le Parti libéral légaliserait la marijuana. Il est allé à Calgary et a déclaré que cette ville, la province de l’Alberta et l’Ouest canadien avaient un important rôle à jouer en ce qui a trait à l’avenir du Canada. Il y est retourné à maintes reprises, et a même dévoilé à Calgary son programme en matière de changement climatique. Les libéraux n’avaient pas obtenu un siège dans cette ville depuis 1968; lundi, ils en ont gagné deux.

Trudeau a aussi passé pas mal de temps au Québec, en particulier à Montréal, mais également à Laval, sur la Rive-Sud, à Québec, Gaspé, Saint-Tite, Mirabel, Saguenay, Gatineau.

Plusieurs de ces circonscriptions sont allées aux libéraux, qui ont pris 40 sièges dans la province.

Les libéraux ont également consacré des ressources — ayant finalement retenu quelque chose de leurs expériences passées avec les leaders Dion et Michael Ignatieff — à contrer les publicités négatives des conservateurs. Au lendemain de l’élection de Trudeau à la tête de son parti, les conservateurs ont diffusé une série de publicités laissant entendre qu’il n’était pas à la hauteur.

Les libéraux ont répliqué avec une publicité de Trudeau affirmant qu’il travaillerait «pour gagner votre confiance». Un an plus tard, ils modifiaient le message pour dire qu’il se préparait «à diriger».

Les publicités des conservateurs, montrant Trudeau se dévêtant lors d’un événement caritatif, n’ont pas fonctionné, contrairement aux caricatures de Dion et Ignatieff. Pour la plupart, les Canadiens ignoraient presque tout de Trudeau, et ils étaient prêts à lui accorder le bénéfice du doute. (Les publicités du printemps dernier, laissant entendre qu’il n’était pas prêt, ont causé pas mal plus de dommages).

Les libéraux ont profité d’une longue période de grâce. Ils ont mené dans les sondages d’opinion publique et le parti identifiait davantage de partisans libéraux. Les nominations ouvertes apportaient plus de membres et de bénévoles au parti. Les candidats frappaient déjà aux portes, établissant des liens et travaillant afin d’éventuellement faire sortir le vote. Plusieurs candidats vedettes suscitaient des réactions positives. Les fonds collectés étaient en hausse. En très forte hausse.

L’équipe de Trudeau a également modifié de façon significative le fonctionnement du parti.

En septembre, Butts est arrivé avec Christina Topp, qui levait des fonds pour lui alors qu’il était au Fonds mondial pour la nature.

Elle a changé la façon dont le parti demandait des dons — essentiellement dans des courriels — en utilisant les données disponibles afin de déterminer la bonne façon de rejoindre les gens. Le parti a de plus dépensé pas mal d’énergie afin de remercier ses donateurs, les garder informés, a-t-elle dit, «parce qu’ils ne sont pas seulement des donateurs, ils sont des supporters, des ambassadeurs et des électeurs».

L’argent a commencé à rentrer. Trudeau est parvenu à obtenir de petites sommes d’un grand nombre de personnes. En 2012, un an avant qu’il en soit devenu le leader, son parti avait obtenu 8 166 657 $. Le PLC a obtenu 11 292 845 $ en 2013 — dont quelque 9,6 millions $ après la nomination de Trudeau.

En 2014, les libéraux ont récolté 15 063 142 $, soit une hausse de 31,6 pour cent par rapport à l’année précédente. Lorsque la campagne a été annoncée, le 2 août, les libéraux avaient obtenu quelque 8,6 millions $ lors des six premiers mois de 2015.

«En bref, chaque trimestre depuis le troisième trimestre de 2013 jusqu’au troisième trimestre de 2015 a été notre meilleur trimestre… à l’exception du deuxième trimestre de 2014, particulièrement à plat par rapport au deuxième trimestre de 2013, lorsqu’il a été élu chef», a écrit Topp dans un courriel.

L’équipe de Trudeau a également multiplié les initiatives de mobilisation, établissant des centres régionaux et engageant des travailleurs afin de les envoyer sur le terrain. Elle a également repensé sa façon de rejoindre, engager et former ses bénévoles.

Telford et Butts accordent à Hilary Leftick, directrice de la mobilisation des bénévoles libéraux, qui a déjà dirigé le festival de musique Pop Montréal, le mérite d’avoir mobilisé 80 000 bénévoles pour la campagne électorale. Cette impressionnante main-d’oeuvre a rejoint plus de 11 millions d’électeurs en frappant à leur porte ou en leur donnant un coup de fil.

À l’automne de 2014, les libéraux ont mis en place un système leur permettant de savoir en temps réel ce qui se passait aux portes, quels messages fonctionnaient, quelles stratégies ne fonctionnaient pas — afin de pouvoir corriger le tir si nécessaire.

À Vancouver-Sud, par exemple, le parti a constaté que les bénévoles devaient faire du porte-à-porte par mauvais temps.

Sinon, les gens n’étaient tout simplement pas à la maison.

Ils ont également consacré pas mal de ressources à une nouvelle stratégie numérique. Via Facebook et d’autres réseaux sociaux, les libéraux se sont mis à la recherche de nouveaux partisans. Ils ont lancé des messages ciblés et ont fait le nécessaire afin d’obtenir leurs votes.

En août 2014, avant le caucus du parti et des rencontres électorales à Edmonton, Butts et Telford se sont penchés sur plusieurs de leurs propres données et sur les positions occupées par les autres partis, réalisant qu’une majorité était possible — pas certaine, mais dans le domaine du possible. Trudeau rejoignait les Canadiens, et leur organisation tombait en place plus rapidement qu’ils ne l’avaient prévu.

« C’est alors que nous avons dit au caucus, ‘jusqu’à présent, on voyait ça de cette façon, mais on commence à croire que ce pourrait être à notre portée, et voici les différentes voies que nous devrions envisager’», a indiqué Telford en entrevue.

Trudeau, a-t-elle dit, était lui aussi confiant.

Telford présenté le projet du parti au caucus — les circonscriptions sur lesquelles elle se pencherait de même que les données qui détermineraient où des ressources devraient être consacrées en priorité.

Le changement d’état d’esprit était «si fort et si répandu» que les conseillers libéraux ont conclu que Harper ne gagnerait pas les élections. Mais si la victoire allait au NPD, le Parti libéral serait mort, croyait Butts.

«La conclusion à laquelle nous sommes parvenus était que nous allions gagner l’élection ou que le parti allait disparaître», a-t-il dit.

À l’époque, il semblait que la campagne de 2015 allait être une lutte à deux entre les libéraux et les conservateurs. Les choses allaient rapidement changer.

En octobre, Trudeau a fait un curieux commentaire sur l’utilisation des CF-18 et les libéraux se sont opposés aux missions de bombardement contre l’organisation État islamique, ce qui a déplu à certains partisans. Deux incidents terroristes, plus tard le même mois — un à Saint-Jean-sur-Richelieu, où l’adjudant Patrice Vincent est mort après avoir été heurté par une voiture, et un autre à Ottawa, où un tireur a abattu le caporal Nathan Cirillo au cénotaphe avant de se rendre au Parlement — ont commencé à réduire le soutien aux libéraux.

Puis, en février, les libéraux ont annoncé qu’ils appuieraient le projet de loi antiterroriste C-51. Les chiffres du parti ont continué à glisser.

«C-51 semble avoir eu un impact», a affirmé un libéral sous le couvert de l’anonymat. À l’interne, l’équipe de Trudeau n’est pas d’accord quant à l’importance des dommages causés par le soutien des libéraux au projet de loi. Une personne a indiqué que des groupes de discussion avaient permis d’établir que peu de gens étaient au courant, mais d’autres ont laissé entendre que le projet législatif avait permis au NPD de se positionner comme le parti du changement en dépeignant Trudeau comme un allié de Harper.

«Cela a été la chose qui nous a mis au tapis.»

— Une source libérale au sujet de la victoire du NPD en Alberta

En mai, les libéraux ont été frappés encore plus durement lorsque le NPD de l’Alberta a balayé la province, victoire ayant largement profité au NPD fédéral.

«Cela a été la chose qui nous a mis au tapis, a affirmé une autre source au sein du Parti libéral, qui n’était pas autorisée à se prononcer publiquement. Tous ces électeurs qui étaient probablement avec le Parti libéral car ils croyaient que le Parti libéral était le meilleur moyen de se débarrasser de Harper sont soudainement passés au NPD. Nous avons perdu six points en une semaine. Une telle chute est pas mal sans précédent hors d’une période électorale», a affirmé cette personne.

Les élections en Alberta, jumelées aux sommes de 12 à 15 millions $ investies par les conservateurs (selon des estimations libérales) dans des publicités laissant entendre que Trudeau n’était pas prêt à être premier ministre, ont propulsé le NPD en première place dans les sondages. Le NDP, et non les libéraux, s’imposait comme le parti du changement.

«Cela a vraiment incité les gens à s’assurer que Trudeau embrassait le changement», a indiqué le libéral. L’équipe de Trudeau allait devoir travailler avec ardeur pour séduire les électeurs ayant soif de changement, plutôt que d’obtenir leurs voix par défaut.

Les libéraux ont réagi avec une politique concrète.

«Ce fut l’une des critiques formulées à notre endroit au début, que nous n’avions pas présenté nos idées, notre programme…

Les gens voulaient savoir ce que nous étions et ce que nous entendions faire, a affirmé Gainey, présidente du parti. Nous voulions qu’ils aient quelque chose à se mettre sous la dent.»

(Photo: Canadian Press)

La première annonce de Trudeau en mai, à Gatineau, a été la réponse des libéraux au projet des conservateurs sur le fractionnement du revenu et leur PUGE, prestation universelle pour la garde d’enfants. Les libéraux ont promis des chèques plus généreux, un allègement fiscal pour la classe moyenne, et ils se sont engagés à faire payer le note par le 1 % des Canadiens les mieux rémunérés. Ils ont parlé d’un programme de justice.

En juin, Trudeau a dévoilé un programme en 32 points afin de réformer le gouvernement pour le rendre plus ouvert et transparent. Il prenait alors place derrière un lutrin affichant son slogan de campagne: Changer ensemble.

L’annonce sur «la transparence était une indication du genre de changement que Justin souhaitait à Ottawa, a indiqué Pitfield, ami d’enfance de Trudeau et responsable de la stratégie numérique des libéraux. D’une certaine façon, c’était notre réaction à C-51 (…) que les Canadiens ne devraient pas penser que le gouvernement est fermé.

«C’était un programme ambitieux — couvrant tout, de la réforme de l’accès à l’information à celle du système électoral, a fait remarquer Pitfield. [C’était] probablement plus que nous devions sortir. Mais la politique avait été rédigée, alors pourquoi ne pas la sortir?»

«Avec le recul, avoir cette expérience presque fatale, ou le choc albertain, fut probablement une bonne chose, a affirmé un autre conseiller libéral au HuffPost. Cela nous a forcés à vraiment nous concentrer pour obtenir ces votes et nous assurer que tout ce qu’il faisait était pour courtiser les gens qui souhaitaient du changement…

«C’est en partie de cela qu’est venu le ton emprunté, s’éloigner du ton négatif de Harper et de son style, et de présenter Justin comme l’opposé de Harper, un gars qui serait nouveau et frais (…) et c’était difficile de dire aux gens qu’il allait apporter du changement du point de vue politique, parce que le NPD, n’ayant jamais été au pouvoir, ils étaient le changement, pas vrai?

«Il n’y a rien de plus gros que d’aller avec le NPD. Donc, nous devions vraiment nous concentrer sur les politiques et monter du changement, qu’il s’agisse d’imposer des impôts aux riches, ou du plan d’infrastructure ou de transparence, afin de courtiser les électeurs du changement et de les faire monter à bord.»

(Photo: Canadian Press)

L’élection

Lorsque les élections ont été annoncées, le 2 août, et que le pays entrait dans la plus longue campagne de son histoire moderne, le Parti libéral se trouvait en troisième place dans les sondages nationaux. ThreeHundredEight.com plaçait le NPD à 31 %, les conservateurs à 29 % et les libéraux à 26 %. Les propres données des libéraux laissaient entendre qu’ils étaient derniers dans chaque tranche d’âge, étaient troisièmes parmi les hommes, perdaient du terrain chez les femmes, et tiraient de l’arrière dans chaque région du pays, exception faite du Canada atlantique.

Il ne s’agissait pas du scénario dont rêvait l’équipe de Trudeau en établissant la stratégie libérale. Le PLC souhaitait entreprendre la campagne devant le NDP afin d’être perçu comme le vecteur du changement.

La première tâche des libéraux consistait à revenir dans la course. Trudeau avait besoin de débuter en force le débat de Maclean’s, premier de cinq débats des chefs, qui a eu lieu le 6 août.

C’est ce qu’il a fait.

Dans ses propos de clôture, tournés en dérision par certains, applaudis par d’autres, Trudeau a demandé aux Canadiens de croire qu’un meilleur pays était possible.

«Afin de savoir si quelqu’un est prêt pour ce poste, demandez-lui ce qu’il veut faire avec ce poste, et pourquoi il le veut en premier lieu», a déclaré Trudeau en regardant directement la caméra. Le chef libéral allait passer le reste de la campagne à dire aux Canadiens ce qu’il entendait faire.

Parfois, cela allait lui valoir des propos moqueurs — des commentateurs au Québec ont affirmé qu’il sonnait comme un «magnétophone» durant le débat des chefs diffusé par Radio-Canada — mais à la fin, les Canadiens sauraient que Trudeau projetait des réductions d’impôts pour la classe moyenne, une hausse des impôts du 1 % des contribuables aux revenus les plus élevés, un déficit pendant trois ans afin de financer les dépenses en matière d’infrastructures, et de sortir 315 000 enfants de la pauvreté.

Si Trudeau avait échoué lors du débat de Maclean’s, ce à quoi ses rivaux semblaient s’attendre, l’histoire de la 42e campagne électorale aurait été très différente. Mais Butts, Telford et compagnie avaient confiance que leur chef réaliserait une bonne performance. Ce soir-là, le parti a lancé une importante campagne nationale de publicités télévisées montrant Trudeau en train de marcher tout droit vers la caméra, disant aux Canadiens qu’il était «prêt» à diriger. Les publicités furent conçues par Butts et le directeur créatif de Bensimon Byrne, David Rosenberg, auquel Butts accorde une large part de leur succès.

Les publicités constituaient une réponse directe à celles des conservateurs, en particulier celle laissant entendre que Trudeau n’était «tout simplement pas prêt», qui avait laissé des traces. Des membres de groupes de discussion répétaient que Trudeau n’avait pas l’expérience nécessaire et qu’il avait déjà dit que «les budgets s’équilibrent eux-mêmes», selon un libéral ayant assisté aux rencontres. Les propres données du parti laissaient entendre qu’un tiers des électeurs libéraux pensait que Trudeau n’était pas prêt à être premier ministre.

«Prêt» était devenu la question sur les bulletins de vote, a affirmé ce libéral. «Est-il prêt ou non? C’était en quelque sorte impossible à ignorer.»

Deux semaines plus tard, avec 4 millions $ d’achats publicitaires, les libéraux croyaient avoir contré les attaques des conservateurs.

En juillet, des groupes de discussion s’attardant à la publicité «Prêt», diffusée en français et en anglais, ont laissé entendre qu’il s’agissait de la meilleure publicité jusque-là conçue par les libéraux. Les gens qui avaient écarté Trudeau du revers de la main pensaient soudainement qu’il était «matière à premier ministre», «confiant» et «optimiste».

Mais tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes; des gens critiquaient le fait que Trudeau répétait l’attaque des conservateurs à son endroit. Mais comme l’a résumé la responsable de la publicité de Trudeau, Suzanne Cowan: «Vers la fin de la campagne, ‘prêt’ nous appartenait».

«Cette publicité a sauvé notre campagne. En fait, cela et le débat de Maclean’s nous ont relancés, a indiqué un autre conseiller libéral. Et les conservateurs, parce qu’ils le détestaient tellement, ont sous-estimé sa capacité à livrer une telle performance. Mais si vous portez réellement attention à la carrière de ce gars, chaque fois que tout est en jeu, il livre la marchandise.»

Pitfield est d’accord «’Changer ensemble’ et ‘Prêt’ nous ont remis dans le coup.»

La deuxième tâche des libéraux était de mieux incarner le changement que le NPD.

Ils voulaient battre Mulcair sur les questions du leadership («Est-ce que j’aime ce gars?») et de ses politiques («Que veut-il faire?»). Les libéraux y sont allés de plusieurs façons.

Tout d’abord, ils ont cherché à présenter Mulcair comme un homme prêt à dire n’importe quoi afin d’être élu. Les libéraux ont affirmé que Mulcair avait dit différentes choses en anglais et en français sur des questions fondamentales, comme l’indépendance du Québec, l’oléoduc Énergie Est et l’exploitation des sables bitumineux.

Ils ont été aidés par les médias, qui se sont penchés sur le passage de Mulcair à l’Assemblée nationale du Québec, où il s’est dit en faveur des exportations d’eau et a fait l’éloge de l’ancienne première ministre britannique et figure de la droite Margaret Thatcher. Ces propos l’ont non seulement fait paraître semblable à Harper et de droite, mais également indigne de confiance.

Au début de la campagne, Mulcair a également donné aux libéraux l’occasion d’établir un parallèle entre sa façon de faire les choses et celle de Harper, comme lorsque le chef du NPD a décidé de ne pas répondre aux questions des journalistes ,le jour de l’annonce des élections, ou de ne pas prendre part au débat en anglais du consortium de télévision, ou encore quand il a renoncé à être du débat des femmes même s’il avait consenti à y prendre part un an plus tôt.

Ensuite, au moyen de leur stratégie de communications et de publicité, Trudeau et les libéraux ont cherché à démontrer que le programme électoral de Mulcair comportait de nombreuses lacunes, et que, selon un conseiller, il avait présenté un programme cynique avec des promesses creuses pour faire croire aux Canadiens qu’il se préoccupait de leur sort.

«Le programme du NPD est un mirage, a lancé Trudeau en français lorsqu’il a lancé sa campagne au Québec, début août. La grosse promesse du NPD d’un salaire minimum de 15 $ l’heure ne s’appliquera qu’à moins de 1 % des travailleurs qui font le salaire minimum. L’autre grosse promesse du NPD, un programme de garderies à 15 $ par jour, n’entrera pas en vigueur avant huit ans, [et] ça ne changera rien au Québec. Les Québécois ont déjà mieux.»

En septembre, le parti a commencé à cibler les élections des circonscriptions où les libéraux se trouvaient nez à nez avec le NPD, avec une vérification des promesses du NPD. Cet exercice a permis de démontrer que pour la plupart, les gens ne profiteraient pas immédiatement, sinon aucunement des promesses de Mulcair.

Au Québec, les libéraux ont avancé dans des publicités diffusées à la radio et la télévision que le programme de garderies de Mulcair ne leur apporterait rien de nouveau, alors que Trudeau leur donnerait des bénéfices pour enfant plus généreux.

Troisièmement, les libéraux ont souligné que Mulcair était d’accord avec Harper et qu’il s’opposait à de nombreux éléments progressifs du programme libéral. Les groupes de discussion du parti avaient constaté que les gens pensaient que le programme des libéraux, penchant vers la gauche, était celui du NPD.

«M. Harper veut donner de l’argent à ceux qui en ont le moins besoin, et M. Mulcair est d’accord avec lui», a de nombreuses fois affirmé Trudeau durant la campagne, cherchant à associer les deux hommes.

Le 25 août, Mulcair a annoncé qu’un gouvernement néo-démocrate aurait des budgets équilibrés. Deux jours plus tard, Trudeau annonçait trois ans de déficits modestes ne dépassant pas 10 milliards $ afin de financer essentiellement des projets d’infrastructures. Trudeau jonglait avec cette idée depuis plus d’un an, mais il ne s’est décidé qu’en juillet.

Justin Trudeau, à gauche, et l’ancien premier ministre Paul Martin durant la campagne. (Photo: Paul Chiasson/La Presse Canadienne)

Lors des jours suivants, Trudeau a contacté les anciens premiers ministres Paul Martin et Jean Chrétien pour qu’ils l’aident à faire passer son idée auprès des libéraux penchant vers la droite et les conservateurs penchant vers la gauche, tout en mettant en lumière les réalisations du parti en matière de lutte contre les déficits.

La décision de Trudeau d’enregistrer des déficits allait constituer la plus grande différence entre les libéraux et le NPD.

«Ma plus grande crainte durant l’été était qu’ils le fassent avant nous», a affirmé Butts au HuffPost.

Des déficits permettraient aux libéraux de dépenser davantage que le NPD et d’investir dans une économie que la Banque du Canada allait quelques jours plus tard confirmer en récession. Les libéraux espéraient en outre que la promesse de Trudeau lui donnerait l’image d’un leader authentique et honnête.

«Le déficit était la preuve que vous étiez prêt à prendre un risque en raison de vos convictions. Nous n’allions pas dire aux gens qu’ils pouvaient tout avoir. Nous étions honnêtes», a affirmé Butts.

Début septembre, les libéraux ont lancé une nouvelle publicité — la publicité de l’escalier — montrant Trudeau gravissant des marches allant vers le bas, laissant entendre que sous Harper, il était plus difficile d’aller de l’avant. De son côté, Mulcair promettait davantage de «réductions», et le moment était mal choisi pour cela, affirmait le chef libéral. Son plan: donner un coup de pouce à l’économie au moyen de nouveaux investissements.

«Ça c’est le vrai changement.»

Plus tard le même mois, lorsque le NPD a dévoilé ses coûts budgétaires, les libéraux ont fait remarquer que plusieurs des dépenses promises par le NPD ne seraient financées que plus tard lors de son mandat. L’opposition de Mulcair à l’engagement pris par Trudeau afin d’annuler l’achat de F-35 a creusé davantage l’écart entre les deux partis.

Les libéraux y allaient pour le «vrai changement». En octobre, ils ont commencé à réclamer du «vrai changement maintenant» sur leurs affiches.

La campagne du Québec

Àla mi-septembre, les sondages d’opinion publique plaçaient les libéraux devant le NPD à l’échelle nationale. À la suite du scrutin, Karl Bélanger, l’un des stratèges de Mulcair, a reproché aux conservateurs d’avoir torpillé la campagne du NPD avec le niqab. La question s’est retrouvée au premier plan le 15 septembre, lorsque la Cour fédérale d’appel a rejeté une requête du gouvernement qui souhaitait maintenir l’interdiction du port du voile couvrant le visage durant les cérémonies de citoyenneté. Les conservateurs et le Bloc québécois ont utilisé le niqab contre le NPD.

Lors d’un déjeuner à Ottawa, mercredi, la directrice nationale de campagne du NPD, Anne McGrath, a dit croire que la question du niqab avait incité de nombreux québécois à regarder de plus prêt le NPD et les autres partis, et avait secoué leurs convictions. Après avoir été à environ 47 pour cent dans la province, le NPD a chuté de 17 points dans les intentions de vote lors des 10 jours ayant suivi le jugement, selon un sondage.

Le NPD a obtenu 16 sièges au Québec lors du scrutin, en baisse par rapport aux 59 de 2011, tandis que les libéraux — dont la position sur la question du niqab était similaire à celle du NPD, sinon plus forte — a obtenu 40 sièges, contre sept en 2011.

«Je crois que le débat sur la question du niqab a été la cerise sur [la théorie voulant] que Mulcair soit hypocrite. Parce qu’il a refusé de répondre à cette question pendant si longtemps, et lorsqu’il est devenu évident qu’elle l’avait piégé, les Québécois ont réalisé la même chose. Il avait de la difficulté à prendre parti», a affirmé Pitfield au HuffPost.

Des candidats libéraux, à l’instar de ceux du NPD, étaient nerveux. Mais on leur a dit de ne pas en parler à Trudeau.

L’équipe de Justin Trudeau pense que le NPD se croyait assuré des sièges québécois. (Photo: La Presse Canadienne)

Les libéraux ont laissé entendre que le NPD se croyait assuré du soutien de ses électeurs. «Ils n’avaient aucun programme. Les garderies de jour, nous les avons déjà. Le débat constitutionnel entourant le sénat, a affirmé Robert Asselin, conseiller de Trudeau pour le Québec. Je crois que les gens ont pensé: la vague orange, c’est très bien, mais qu’est-ce qu’ils offrent? Et il faut dire que Mulcair ne possède pas le charisme de [Jack] Layton.

«La plus grosse erreur a été de croire assurés ces 57 sièges au Québec, qu’ils pouvaient les gagner facilement, et que Trudeau n’était pas un adversaire important au Québec.»

Pour la plupart, les Québécois n’ont aucune affiliation politique, a affirmé au HuffPost Sylvie Paradis, stratège du Parti libéral au Québec. Ce qu’il est nécessaire de faire, c’est identifier les questions qui comptent à leurs yeux.

Paradis, qui travaille au sein de l’équipe Trudeau depuis trois ans, a indiqué que les libéraux avaient constaté grâce aux groupes de discussion que les Québécois avaient envie d’un leader possédant une vision. Ils n’aimaient pas Harper et ils souhaitaient un changement reflétant leurs valeurs. En général, ils cherchaient à joindre les deux bouts. Les Québécois voyaient le niqab comme une question secondaire, a ajouté Paradis, et ils étaient plus réceptifs au message des libéraux voulant que le parti améliorerait leur qualité de vie.

Les libéraux croyaient que la seule façon pour eux d’accéder au gouvernement était d’accroître leur soutien au Québec. Ils ont non seulement tendu la main aux Québécois sur des sujets qui leur importaient — comme l’opposition de Trudeau à la mission de bombardement contre l’organisation de l’État islamique l’an dernier — mais ils ont aussi mené une campagne publicitaire spécifique dans cette province.

Ils ont diffusé des publicités présentant leurs candidats. Des publicités laissaient entendre que le programme de garderies à 15 $ par jour de Mulcair n’apporterait rien de plus aux Québécois — qui profitent déjà d’un programme à 7 $ par jour — tandis que les libéraux leur donneraient des bénéfices pour enfant plus élevés. Et lors des deux dernières semaines de la campagne, les publicités libérales montraient des gens se rendant au bureau de scrutin et entendant Trudeau se prononcer sur les questions les intéressant. Cette campagne, a indiqué Paradis, a été établie en sachant qu’environ 20 % des Québécois prennent leur décision une fois dans l’isoloir. Les chiffres des libéraux ont augmenté progressivement.

Les sondages des libéraux laissaient croire que les Québécois, plus que quiconque au pays, voulaient se débarrasser de Harper tout en étant également plus ouverts que les autres Canadiens à l’idée de changer d’avis. Mais ce n’est que lors des derniers de la campagne qu’ils se sont ralliés en masse derrière Trudeau. «C’est ce qui nous a fait passer d’une solide minorité à une majorité», a affirmé une source libérale. Le dernier week-end, les libéraux croyaient qu’ils mettraient la main sur 155 sièges. Tard dimanche, leurs propres données permettaient d’envisager 177 sièges.

La dernière phase de la campagne a débuté plus tôt que prévu car le NPD était plus faible que ne l’avait prévu l ‘équipe de Trudeau.

«J’ignore si le NPD donne le niqab [comme la raison de sa chute] ou s’ils disent cela parce qu’ils ne comprennent pas », a indiqué un libéral.

« Nous ne savions pas qu’ils allaient faire campagne sur une promesse merdique de 15 $ l’heure, a-t-il ajouté. Nous devions démontrer qu’ils étaient faux et que nous étions vrais. Et ils sont tombés en plein dedans. Je ne suis même pas certain qu’ils savent ce qui leur est arrivé.»

La troisième partie de la campagne libérale visait à consolider les opinions anti-Harper, courtiser les conservateurs rouges et mobiliser les électeurs.

À la mi-septembre, le parti a loué un vaste aréna à Brampton, en Ontario, pour ce qu’ils espéraient être un immense rassemblement qui susciterait un élan. Les libéraux disaient aux Canadiens que s’ils voulaient du changement, leur parti représentait le meilleur choix. L’événement, le 4 octobre, a attiré 7000 personnes. Les organisateurs et candidats avaient multiplié les efforts en vue d’une salle comble. Trudeau a livré un discours passionné.

En présence d’une foule largement asiatique, Trudeau a livré un message rassembleur. «Stephen Harper n’a rien d’autre à offrir que la peur. La peur du terrorisme. La peur du monde hors de nos frontières. La peur de l’autre, a affirmé Trudeau. La tâche du premier ministre est de rassembler les Canadiens, pas de les diviser.»

Les conservateurs avaient passé les trois semaines précédentes à parler du niqab, promettant de mettre en place une ligne de dénonciation des pratiques barbares, et faisant la promotion du projet de loi C-24, législation privant les citoyens possédant une double nationalité de leur citoyenneté canadienne s’ils sont reconnus coupables d’espionnage ou de crimes terroristes. Les conservateurs espéraient que de mettre en lumière l’opposition de Trudeau à ce projet de loi le dépeindrait comme naïf en matière de sécurité. La stratégie s’est retournée contre eux parmi les groupes ethniques qu’ils courtisaient depuis si longtemps.

Les libéraux en ont tiré profit. Ils ont exploité le fait que de nombreux immigrants craignaient que la nouvelle loi diminuait la valeur de leur citoyenneté par rapport aux Canadiens nés au pays, ou qu’elle pourrait être utilisée contre leurs enfants.

Trudeau a également saisi l’occasion du rassemblement de Brampton pour tendre la main aux conservateurs — les conservateurs rouges — qui en avaient assez de Harper. «Les conservateurs ne sont pas nos ennemis, ils sont nos voisins», a dit Trudeau. Il allait répéter cela lors des deux semaines suivantes.

«Nous avons la chance de vaincre la peur avec l’espoir, a affirmé Trudeau. Ceci est le Canada, et un Canada meilleur est toujours possible.» La foule a réagi chaudement. L’agence de publicité n’a rien manqué de la scène. Cette publicité de 60 secondes — diffusée lors des deux dernières semaines de la campagne — visait à faire sentir aux gens qu’ils faisaient partie d’un mouvement.

La semaine suivante, sans trop d’efforts de la part des organisateurs, des milliers de personnes se déplaçaient afin d’apercevoir Trudeau lors d’événements à travers le pays.

«Je savais que c’était terminé lorsque nous sommes allés à Napanee [en Ontario] pour servir du café dans un Tim Hortons ,et qu’il y avait 400 personnes dans l’aire de stationnement», a indiqué un conseiller se déplaçant avec Trudeau.

Telford a également constaté un soutien accru dans des circonscriptions de moindre importance. Il s’agissait de circonscriptions que les libéraux ne jugeaient pas prioritaires, mais où ils pouvaient aisément transférer des ressources nationales, des bénévoles et des publicités radiodiffusées afin d’aider leurs candidats à surfer sur la vague. Elle a proposé à l’équipe de Trudeau de se déplacer d’Ottawa à Toronto afin d’arrêter dans des circonscriptions appartenant habituellement aux conservateurs.

À Port Hope, en Ontario (population: 16 000), au PCC depuis 2006, 1200 personnes se sont présentées à un événement, ont indiqué des organisateurs libéraux. À Winnipeg, les gens ont fait la queue pâté de maisons après pâté de maisons. En Alberta, au dernier jour de la campagne, Trudeau a pris la parole devant plus de 4000 personnes à Edmonton et Calgary.

La campagne de Trudeau a culminé à Vancouver-Nord, circonscription qui fut représentée par son grand-père, Jimmy Sinclair. Trudeau s’est rendu en Colombie-Britannique à maintes reprises durant la campagne. Le parti y a investi d’importantes ressources et a mené une campagne publicitaire mettant l’emphase sur les racines de Trudeau dans la province. Son équipe croyait que la Colombie-Britannique serait cruciale. Ce fut le cas.

Tout au long de cette semaine, les journaux faisaient état en première page de l’élan alors en train gagner en puissance, mais les libéraux avaient encore un gros problème. Les conservateurs diffusaient à la télévision des publicités laissant entendre que Trudeau tracerait un trait sur le fractionnement du revenu des aînés. Bien qu’ils aient maintes fois assuré qu’un gouvernement libéral ne ferait rien de tel, les candidats se faisaient accueillir sèchement par les électeurs.

«J’ai reçu de nombreux coups de téléphone me disant ‘aidez-nous avec les aînés’. À cause du vote des aînés”, a affirmé Gainey.

Les libéraux ont appelé à l’aide Hazel McCallion, ancienne mairesse de Mississauga, Ontario. La vidéo de la femme de 94 ans sur Facebook, dans laquelle elle demandait, «Stephen, ai-je l’air d’avoir peur de toi?», a été vue plus de 3,4 millions de fois. Elle a été si populaire que les libéraux l’ont diffusée à la télévision. On estime qu’elle a permis de stopper la glissade des libéraux parmi les électeurs de 65 ans et plus.

Les libéraux ont eu un premier souci sérieux lors de la dernière semaine de la campagne, lorsqu’une fuite a permis d’apprendre qu’un haut responsable de l’équipe de Trudeau avait envoyé un courriel à quelques personnes de Transcanada, les conseillant sur la façon de faire pression en faveur d’un nouveau gouvernement. Dan Gagnier, coprésident de la campagne, n’a enfreint aucune r?

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.