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Arrêt du procès SharQc: le DPCP n'appellera pas de la décision de la Cour supérieure (VIDÉO)

Arrêt du procès SharQc: le DPCP ne fera pas appel (VIDÉO)

La directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec ne fera pas appel de la décision du juge James Brunton d'annuler le procès pour meurtres et complot pour meurtre de cinq Hells Angels du chapitre de Sherbrooke. Elle ordonne cependant la tenue d'une enquête administrative sur le travail des procureurs impliqués et crée un comité d'examen qui réfléchira à la gestion des mégaprocès.

« L'arrêt des procédures [...] nous a tous secoués : la population, la communauté juridique, les policiers et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales personnellement impliqués dans ce dossier et, évidemment, toute l'institution du Directeur des poursuites criminelles et pénales » a affirmé Me Annick Murphy lors d'une conférence de presse tenue vendredi au palais de justice de Montréal.

Après un examen préliminaire effectué par son bureau et sur la recommandation du comité provincial des appels, qui est composé de juristes d'expérience, le DPCP a néanmoins décidé de ne pas interjeter appel dans ce dossier.

« Le jugement du juge Brunton repose essentiellement sur l'appréciation des faits particuliers à cette affaire. Or un simple désaccord de la poursuite à l'égard de cette appréciation des faits n'est pas un motif suffisant d'un point de vue juridique pour faire renverser le jugement en appel. Le jugement ne sera donc pas porté en appel », a expliqué Me Murphy.

Elle a annoncé du même souffle la tenue d'une enquête administrative visant à « faire la lumière sur toutes les circonstances qui ont retardé, jusqu'en septembre dernier, la communication des éléments de preuve en cause » dans ce dossier. Ce retard est à la base de la décision du juge Brunton d'arrêter les procédures dans le procès des Hells Angels Claude Berger, Yvon Tanguay, François Vachon, Sylvain Vachon et Michel Vallières. Le magistrat y a vu un « grave abus de procédure ».

« Je suis interpellée par la gravité des inférences tirées par le juge à l'égard de la conduite de la poursuite, puisqu'une telle conduite serait contraire aux rôles et responsabilités qui incombent à l'institution que je dirige, de même qu'aux valeurs de justice, d'intégrité et de compétence qui l'animent dans l'accomplissement de cette mission. »

— Me Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec

L'enquête administrative sera dirigée par Me Jean Lortie, qui devra remettre ses conclusions au DPCP le 18 décembre prochain. Me Lortie devra évaluer s'il est justifié ou non que ses recommandations soient rendues publiques, étant donné que des procédures juridiques sont toujours en cours. Me Murphy a fait savoir qu'elle s'engage à se conformer à ces recommandations.

Par voie de communiqué, la Procureure générale du Québec, Stéphanie Vallée, a accueilli « favorablement » la décision du DPCP de tenir une telle enquête.

La ministre de la Justice dit espérer que les moyens mis en place aujourd'hui par le DPCP permettront de « s'assurer d'une meilleure gestion des mégaprocès pour l'avenir ».

Quel avenir pour les mégaprocès?

Me Murphy a également annoncé la mise en place d'un comité d'examen chargé de mener « une réflexion exhaustive sur la gestion des mégaprocès par la poursuite », en tenant compte « des difficultés et des défis rencontrés dans le dossier SharQc afin d'en tirer toutes les leçons utiles à la gestion des futurs mégaprocès. » Le comité devra se pencher « sur la pratique et l'expérience de la conduite des mégaprocès », non seulement au Québec, mais aussi ailleurs au Canada et dans le monde.

La magistrature, le Barreau du Québec, l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense et les corps policiers seront invités à donner leur point de vue dans le cadre des travaux de ce comité, que présidera Me Michel Bouchard. Le rapport de ce dernier devra être remis le 26 août 2016. Les conclusions du comité d'examen et les actions qu'entreprendra le DPCP pour les mettre en oeuvre seront rendues publiques.

Les recommandations du comité pourront notamment porter sur :

  • l'organisation du travail au sein des équipes de procureurs;
  • l'organisation du travail entre les policiers et la poursuite;
  • l'établissement des priorités opérationnelles;
  • le nombre d'accusés et de chefs d'accusation;
  • la période couverte par l'acte d'accusation.

Les conclusions du comité doivent permettre au DPCP de développer des lignes directrices. Ces dernières pourront :

  • servir de jalons dans l'évaluation des risques juridiques, stratégiques et financiers généralement présents dans ce type de dossier;
  • servir à encadrer l'organisation du travail au sein des équipes de poursuite;
  • clarifier le rôle et les responsabilités de conseil juridique et stratégique des procureurs auprès des policiers;
  • préciser les rapports que les procureurs doivent entretenir avec les enquêteurs lors des enquêtes, et particulièrement en ce qui concerne le respect de leurs obligations constitutionnelles respectives en matière de divulgation de la preuve.

« Le poursuivant a l'obligation constitutionnelle de communiquer toute la preuve pertinente à l'accusé. Le corollaire de cette obligation pour les policiers est de communiquer à la poursuite la preuve en leur possession afin que la poursuite puisse remplir sa propre obligation envers l'accusé. »

— Me Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec

Les lignes directrices, a aussi ajouté Me Murphy, viendront clarifier « les exigences du DPCP à cet égard envers les policiers ainsi que les critères qui serviront à s'assurer que le dossier d'enquête qui nous est soumis soit complet et organisé de façon à ce que le dossier soit en état au moment d'engager des poursuites criminelles susceptibles de conduire à la tenue d'un mégaprocès. »

Me Murphy a aussi profité de son point de presse pour faire une mise au point au sujet de la fusion du Bureau de lutte au crime organisé, du Bureau de lutte aux produits de la criminalité et du Bureau de lutte à la corruption et à la malversation sous une même direction, basée à Montréal.

Affirmant que des « informations inexactes » ont été véhiculées dans les médias, elle a plaidé que « la spécialisation pointue et en silo de ces bureaux, autrefois nécessaire, est devenue maintenant un obstacle à leur efficacité et surtout à leur adaptabilité aux nouveaux phénomènes de criminalité et aux priorités policières qui s'en suivent. »

Elle dit être convaincue que ces changements « entraineront une synergie et une polyvalence des équipes, un meilleur partage de l'expertise, une meilleure cohérence dans les interventions, un gain de productivité et une plus grande agilité afin de répondre à la hausse ou à la baisse » aux dossiers qui sont soumis au DPCP par les policiers.

La CAQ veut entendre Me Murphy en commission parlementaire

Le porte-parole de la Coalition avenir Québec en matière de justice, Simon Jolin-Barrette, juge que la décision de lancer une enquête administrative est « insuffisante » et qu'elle est la preuve d'un « constat d'échec du DPCP ».

Selon lui, le verdict vient « confirmer la nécessité » de convoquer Me Murphy devant la Commission des institutions afin qu'elle explique son plan de restructuration des unités consacrées à la lutte contre le crime organisé.

« Tous les parlementaires doivent être convaincus que ces réductions ne menaceront en rien la lutte contre le crime organisé », affirme M. Jolin-Barrette.

Quand la Couronne et les policiers veulent « gagner à tout prix »

En arrêtant les procédures, le juge Brunton a donné raison à la défense, qui arguait que la Couronne avait trop tardé à divulguer des éléments de preuve contenus dans d'anciens projets d'enquête sur les Hells Angels. La défense les avait demandés dès 2011, mais la Couronne n'a annoncé leur divulgation que le 21 septembre dernier.

« L'intimée et les forces de l'ordre ont, jusqu'à tout récemment, privilégié leur désir de gagner à tout prix au détriment des principes fondamentaux qui forment la fondation de notre système de justice pénale », peut-on lire dans son jugement.

Le juge Brunton se référait à un jugement de la Cour suprême, selon lequel un arrêt de procédures peut être justifié lorsque « la conduite de l'État compromet l'équité du procès de l'accusé » ou lorsque « la conduite de l'État ne présente aucune menace pour l'équité du procès, mais risque de miner l'intégrité du processus judiciaire ».

Le juge estimait que les procédures de la Couronne correspondent aux deux catégories en raison de la « communication tardive des éléments de preuve » et la « suppression de ces éléments pendant des années, leur importance et l'absence de toute explication de la part de l'intimée ».

L'opération SharQc, menée en avril 2009, visait à déstabiliser l'organisation pour plusieurs années en procédant à des arrestations massives. Au total, 156 personnes avaient été visées; plus d'une centaine d'entre elles ont plaidé coupables.

En mai 2011, le juge James Brunton avait cependant ordonné la remise en liberté de 31 accusés en raison de délais déraisonnables, une décision maintenue par la Cour d'appel, puis par la Cour suprême.

Huit des accusés en lien avec cette affaire sont toujours en cavale et trois autres sont décédés. Deux autres accusés, Robert Bonomo et John Coate, doivent subir leur procès en janvier 2017.

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