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Quatre questions sur l'intervention russe en Syrie

Quatre questions sur l'intervention russe en Syrie
In this image made from video provided by Homs Media Centre, which has been verified and is consistent with other AP reporting, smoke rises after airstrikes by military jets in Talbiseh of the Homs province, western Syria, Wednesday, Sept. 30, 2015. Russian military jets carried out airstrikes in Syria for the first time on Wednesday, targeting what Moscow said were Islamic State positions. U.S. officials and others cast doubt on that claim, saying the Russians appeared to be attacking opposition groups fighting Syrian government forces. (Homs Media Centre via AP)
ASSOCIATED PRESS
In this image made from video provided by Homs Media Centre, which has been verified and is consistent with other AP reporting, smoke rises after airstrikes by military jets in Talbiseh of the Homs province, western Syria, Wednesday, Sept. 30, 2015. Russian military jets carried out airstrikes in Syria for the first time on Wednesday, targeting what Moscow said were Islamic State positions. U.S. officials and others cast doubt on that claim, saying the Russians appeared to be attacking opposition groups fighting Syrian government forces. (Homs Media Centre via AP)

Les forces armées russes ont commencé à bombarder des positions détenues par les rebelles syriens après que le président Vladimir Poutine eut obtenu le feu vert du Sénat russe pour soutenir l'armée de Bachar Al-Assad. La donne risque-t-elle de changer en Syrie? Décryptage de la situation en quatre questions.

Un texte de Ximena Sampson

1. Est-ce que l'entrée en jeu de la Russie pourrait changer les choses?

Pas vraiment, selon Thomas Juneau, professeur à l'Université d'Ottawa. La Russie venait déjà en aide au régime du président Bachar Al-Assad depuis le début de la guerre civile. Elle a fourni de l'équipement et envoyé des formateurs, des techniciens et des spécialistes en maintenance en Syrie, en plus de partager des renseignements.

« La présence russe en Syrie était déjà très importante. L'accroissement de l'activité militaire russe qu'on voit depuis un mois, c'est une augmentation de ce qui se faisait déjà. » — Thomas Juneau, professeur à l'Université d'Ottawa

Par ailleurs, les frappes russes ne permettront pas au régime Al-Assad de reconquérir le pays, croit M. Juneau. « . On est encore dans un contexte de guerre civile; l'équilibre des forces sur le terrain n'a pas fondamentalement changé à cause de l'intervention russe. »

Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute for Near East Policy, croit cependant que cette implication accrue donnera un nouveau souffle aux forces gouvernementales. « L'arrivée des Russes change la donne », soutient-il. « Depuis six mois, l'armée syrienne recule. Elle a perdu plusieurs grandes villes dans le nord-ouest et beaucoup de jeunes recrues ne voulaient plus aller se battre. L'arrivée des troupes russes leur remonte le moral. »

2. Que cherchent à obtenir les Russes?

Officiellement, il s'agit de lutter contre le groupe armé État islamique (EI). Les djihadistes représentent une menace pour la Russie et il faut donc les détruire avant « qu'ils arrivent chez nous », a déclaré le président Vladimir Poutine. Mais en sous-main, les Russes cherchent surtout à se positionner en vue de l'après-guerre, croit le chercheur Thomas Juneau. « Quand on en arrivera aux négociations, et ce n'est vraiment pas tout de suite, de par sa présence militaire accrue sur le terrain en Syrie, la Russie aura plus d'influence, elle sera un joueur incontournable. »

D'une part, elle cherche à retrouver le statut de grande puissance qu'elle a perdu depuis la fin de la guerre froide et, d'autre part, elle veut soutenir un allié vital. « La Syrie est le seul allié russe dans le monde arabe », souligne Thomas Juneau. « La chute du régime Assad, pour la Russie, ce serait une perte géopolitique énorme. »

3. Quel est le bilan des frappes occidentales jusqu'à maintenant?

Les chercheurs s'entendent pour dire que les frappes occidentales ont réussi à contenir l'avancée du groupe armé État islamique, qui détient actuellement 45 % de la superficie de la Syrie. Par contre, la grande majorité des zones qu'il contrôle sont semi-désertiques et peu peuplées. Elles abritent environ 2 millions de personnes, soit 15 % de la population qui reste en Syrie. « Ça aurait pu être pire s'il n'y avait pas eu les frappes de la coalition internationale », remarque Fabrice Balanche.

« L'État islamique n'a pas été endommagé dans son cœur. Il a perdu quelques territoires, mais il a réussi quand même à mieux s'implanter dans la population locale et à construire une organisation. » — Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute for Near East Policy

C'est ce que croit également Thomas Juneau, qui souligne que l'EI est un adversaire très expérimenté. « Ils ont beaucoup d'expertise militaire et réussissent à recruter de manière très efficace, localement et internationalement. Ils ont aussi toute une machine pour former les nouvelles recrues et les rendre opérationnelles rapidement. »

Les frappes militaires affaiblissent l'EI, mais elles ne seront pas suffisantes pour l'éliminer. Pour le défaire, ça prendra plus, croit le chercheur : la formation de troupes locales et un processus politique.

« À la base, l'État islamique, ce n'est pas un problème militaire, c'est un problème politique », soutient M. Juneau. « Ce sont des sunnites, en Irak et en Syrie, qui sont furieux pour toutes sortes de raisons et c'est pour ça que, dans certains cas, ils joignent l'EI. Aucun instrument militaire ne peut régler ça. »

Les frappes contre les positions de l'État islamique en Irak ont commencé en août 2014, celles en Syrie en septembre 2014. Selon la coalition, 15 000 combattants auraient été tués.

4. À quoi s'attendre pour la suite?

Une conférence réunissant les principaux acteurs du conflit syrien est prévue pour le mois d'octobre. Les États-Unis, la Russie, l'Arabie saoudite, l'Iran, la Turquie et l'Égypte y seront. Il s'agira avant tout de mieux se coordonner dans les frappes contre l'EI. Et il va falloir accepter que Bachar Al-Assad fasse partie de la solution, croient les analystes.

« C'est un calcul compliqué pour la coalition », avance Thomas Juneau, « qui moralement soulève des questions très désagréables, mais en bout de ligne, même si Assad est un tyran et un despote et qu'il est responsable de beaucoup plus de victimes que l'EI, si la coalition se met à bombarder les infrastructures et les forces d'Assad et que ça précipite son effondrement, la situation pourrait empirer ».

« On a tendance à dire que ça ne pourrait pas être pire, mais oui, ça pourrait être pire. » — Thomas Juneau, professeur à l'Université d'Ottawa

Un éventuel gouvernement de transition devra nécessairement inclure des éléments du régime, croit Thomas Juneau. Les Américains l'ont bien compris après leur expérience en Irak en 2003, lorsque les institutions se sont effondrées après que tout l'entourage de Saddam Hussein eut été écarté.

« Assad, c'est la clé du système », croit Fabrice Balanche. « Il n'y a pas de remplaçant possible. Assad règne sur la communauté alaouite, sur l'armée et les services de renseignement. Les alaouites sont loyaux à Assad et pas à un autre. On ne peut pas le remplacer, tout le système se casserait la figure. »

« Il faudra négocier avec le régime et accepter qu'Assad reste au pouvoir. » — Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute for Near East Policy

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