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La division du vote pourrait coûter la victoire à Justin Trudeau et Thomas Mulcair

La division du vote pourrait coûter la victoire à Trudeau et Mulcair

La date limite de dépôt des candidatures étant passée depuis lundi, nous savons maintenant que le Parti conservateur, le NPD et le Parti libéral présenteront chacun 338 candidats et candidates à l’élection fédérale du 19 octobre. Il n’y a rien d’étonnant à cela, puisque les grands partis livrent généralement bataille dans chaque circonscription – pas nécessairement pour la gagner, mais pour préserver les apparences.

Or, le NPD et le Parti libéral courtisent le même type d’électeurs, c’est-à-dire les 60 à 65 pour cent de Canadiens souhaitant remplacer Stephen Harper à la tête du pays.

Pour sa part, le Parti conservateur peut compter sur un bassin d’électeurs plus réduit, mais fidèle à près de 100 pour cent. Il est bien positionné pour remporter le plus grand nombre de sièges, bien que Stephen Harper ne soit pas assuré de demeurer premier ministre.

Cette situation s’explique par la division du vote. Notre système électoral permet en effet à un candidat conservateur d’être élu même si les candidats du Parti libéral et du NPD ont recueilli ensemble un plus grand nombre de votes.

La division du vote est l’un des principaux obstacles que doivent surmonter les Canadiens en quête de changement. C’est pourquoi des sites web dédiés au vote stratégique, comme LibDemo et VotonsEnsemble, sont apparus sur le web depuis quelque temps.

Selon les plus récents sondages, 72 circonscriptions donnent lieu à une lutte serrée propice au vote stratégique. En 2011, elles n’étaient que 46 si l’on se fie aux résultats officiels.

Une fusion du NPD et du Parti libéral permettrait d’éviter le recours au vote stratégique. C’est exactement ce que les partis de droite ont fait en 2003, lorsque l’Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur ont uni leurs forces, permettant ainsi à Stephen Harper de prendre le pouvoir trois ans plus tard.

Bien que certains échanges aient eu lieu à cet effet, il est hautement improbable que le NPD et le Parti libéral fusionnent dans un avenir prévisible. La possibilité de les voir former une coalition apparaît tout aussi éloignée. Or, ces deux partis seraient tout de même capables de mitiger les effets de la division du vote en retirant un ou une candidate des circonscriptions les plus âprement disputées de manière à favoriser leur allié.

Le Parti libéral pourrait ainsi céder ses votes au NPD dans les circonscriptions où il n’a aucune chance de gagner, et vice-versa. Cette stratégie est souvent employée dans les autres pays dépourvus de système électoral proportionnel.

Le NPD et le Parti libéral sont déjà le second choix de leurs partisans mutuels

Nous devons donc répondre à ces deux questions : combien de candidats ou candidates faudrait-il retirer, et combien de sièges serait-il possible de soutirer au Parti conservateur?

Il est peu probable qu’une stratégie concertée fasse perdre aux conservateurs les 72 circonscriptions mentionnées plus haut, puisque tous les électeurs ne seraient pas assez disciplinés pour s’y plier. Il est en effet possible que certains partisans libéraux appuient le Parti conservateur plutôt que le NPD, s’ils ne s’abstiennent pas de voter.

En dépit de ce risque, les données dont nous disposons indiquent que la plupart des électeurs respecteraient la consigne de leur parti favori. Jusqu’à 48 pour cent des partisans du NPD vivant à l’extérieur du Québec ont déjà indiqué que le Parti libéral serait leur second choix. En comparaison, le Parti conservateur serait le second choix d’à peine 15 pour cent des partisans libéraux et néo-démocrates.

L’appui à une coalition formelle entre le Parti libéral et le NPD atteint près de 60 pour cent (bien qu’une coalition dirigée par le Parti libéral soit plus populaire que le contraire). Dans ce contexte, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une stratégie de partage du vote puisse être accueillie favorablement. En tout cas, rien n’indique que Justin Trudeau et Thomas Mulcair perdraient l’appui de leurs partisans respectifs.

En ce qui concerne le nombre de circonscriptions pouvant être remportées de cette manière, le facteur le plus important à considérer est l’avance que le candidat conservateur détient par rapport à son plus proche rival. Dans la circonscription de Glengarry–Prescott–Russell, en Ontario, le candidat libéral tire de l’arrière par 3 points. Par conséquent, le retrait du candidat néo-démocrate – qui ne recueille que 16 pour cent des intentions de vote – garantirait certainement une victoire du Parti libéral. Mais dans plusieurs autres circonscriptions, l’avance du Parti conservateur est tout simplement insurmontable.

Le tableau ci-dessous montre le taux de succès et le nombre de circonscriptions pouvant être soutirées au Parti conservateur en fonction du seuil utilisé pour retirer un candidat libéral ou néo-démocrate. Si cette stratégie était appliquée uniquement dans les circonscriptions où les conservateurs mènent par un maximum de 5 points, le NPD devrait retirer 11 candidats, contre 6 pour le Parti libéral. Le Parti conservateur perdrait alors les 17 sièges, ce qui correspond à un taux de succès de 100 pour cent.

Si cette stratégie était appliquée dans chacune des 72 circonscriptions donnant lieu à une lutte serrée, le taux de succès baisserait toutefois à 39 pour cent et ne permettrait de soutirer qu’un maximum de 28 sièges au Parti conservateur.

En milieu de tableau, nous voyons un autre scénario basé sur un seuil de 8 points. Le Parti libéral serait alors contraint de retirer 10 candidats, contre 17 pour le NPD, et la pseudo-coalition n’irait alors chercher que 25 sièges sur 27.

Une autre manière de voir ce tableau est que seuls 28 sièges sur 72 sont en voie d’être remportés par le Parti conservateur grâce à la division du vote.

De manière réaliste, un accord de partage du vote permettrait d’aller chercher de 20 à 25 sièges tout au plus. Il est donc illusoire de penser que les partis en négocieront un d’ici au 19 octobre. Les négociations seraient très laborieuses, puisque le NPD serait obligé de retirer deux fois plus de candidats que le Parti libéral. Le choix des circonscriptions à sacrifier serait un véritable casse-tête.

Nous présumons que les partis politiques effectuent leurs propres sondages et qu’ils consultent ceux publiés dans les journaux. Or, la stratégie que nous venons d’élaborer repose sur des intentions de vote qui fluctuent elles-mêmes de jour en jour. Le scénario basé sur un seuil de 8 points, par exemple, ne comptait pas 27 mais bien 6 circonscriptions propices à un retrait de candidat, il y a un mois.

Pour conclure, la division du vote est bel et bien une réalité. Elle coûtera un nombre de sièges significatif au Parti libéral et au NPD. Compte tenu de la lutte serrée entre les trois principaux partis, cette division est suffisante pour faire la différence entre un Stephen Harper conservant son poste de premier ministre et un Stephen Harper recalé au troisième rang.

Justin Trudeau et Thomas Mulcair en ressentiront assurément les effets le 19 octobre.

Bryan Breguet a un baccalauréat ès sciences en économie de la politique et une maîtrise ès sciences en économie de l’Université de Montréal. Il a fondé en 2010 TooCloseToCall.ca où il fournit des analyses et projections électorales. Il a collaboré avec le National Post, Le Journal de Montréal et l’Actualité.

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