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Les réseaux sociaux, là où naissent des djihadistes

Les réseaux sociaux, là où naissent des djihadistes
Twitter

Ils sont partis vers le Moyen-Orient sans laisser de trace. Des Québécois, des Ontariens, des Albertains. Qui les a recrutés, qui les a aidés? Dans son livre «La fabrique du djihad», Stéphane Berthomet a tenté de comprendre comment les réseaux sociaux peuvent faciliter la radicalisation.

Un reportage de Karine Bastien

En trois semaines, Stéphane Berthomet est entré en contact sur Internet avec un important recruteur pour le groupe armé État islamique, qui l'invitait à prendre l'avion et à partir faire le djihad.

« J'ai fait une expérience empirique en me disant : "je vais voir ce que cela va donner". J'ai créé deux comptes : un sur Facebook et un compte sur Twitter, des comptes avec un prénom d'un jeune homme. Je voulais voir ce qu'il allait lui arriver lorsque j'allais aborder les questions de terrorisme ou de radicalisation sur les réseaux sociaux », explique l'auteur, qui est aussi codirecteur de l'Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent et analyste en affaires policières et terrorisme.

On lui a répondu « immédiatement après que le compte ait commencé à débattre sur les questions qui touchaient aux djihadistes en privé ». Et on lui a conseillé « des lectures salafistes [...] qui poussent au combat et à la radicalisation ».

Cela n'étonne pas Ghayda Hassan, psychologue et professeure de psychologie clinique et culturelle à l'UQAM. Les groupes radicaux ont découvert les avantages d'Internet et des réseaux sociaux et s'en servent pour recruter les jeunes.

« À travers Internet et les réseaux sociaux, on va chercher à établir un lien direct avec les individus en surveillant ce que les jeunes peuvent mettre sur Twitter, sur Facebook, comme opinion publique. Ils deviennent faciles à retracer et on peut facilement rentrer en contact avec eux et créer des sortes de réseaux sociaux qui traversent les frontières [...] et qui peuvent créer une sorte de sentiment de cohésion. » — Ghayda Hassan, psychologue et professeure de psychologie clinique et culturelle à l'UQAM

Stéphane Berthomet entame un dialogue sur sa conversion à l'Islam et ses interlocuteurs le poussent à se convertir.

« Ensuite, il se passe des choses qui sont assez surprenantes. Vous avez toute une communauté de gens qui viennent vous dire : "Bravo, c'est bien, tu t'es converti. Tu fais partie de notre famille." Et vous avez ce sentiment d'appartenance qui vous motive à continuer sur cette voie. » — Stéphane Berthomet

Ses nouveaux amis le mettent en garde et lui disent qu'à partir de maintenant, il doit agir en secret s'il compte déménager en terre musulmane pour pratiquer un islam sain, ou hijra.

Dave Charland, analyste en matière de sécurité nationale, affirme que la radicalisation sur Internet est en rapide expansion.

« Il y a des gens qui vont faire plus ou moins attention à leur anonymat sur Internet incluant les gens de l'État islamique. On pourrait être surpris de voir que certains ne se cachent pas du tout, mais le volume est tellement grand que c'est de là que vient la complexité pour les autorités pour les détecter », dit-il.

Selon le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de 130 à 145 Canadiens se trouveraient au Moyen-Orient pour participer à des activités terroristes. Au Québec, en janvier dernier, au moins sept jeunes de la grande région de Montréal sont partis vers le Moyen-Orient et avaient l'intention de faire le djihad.

À sa grande surprise, Stéphane Berthomet a réussi à échanger avec un des plus influents recruteurs français pour l'État islamique, et ce, en moins de trois semaines. « Je suis rentré en contact avec ce fameux Omar Omsen, qui était considéré - puisqu'il vient d'être tué il y a quelques semaines - comme l'un des principaux recruteurs français pour le djihad en Syrie. »

C'est à ce moment-là que Stéphane Berthomet a mis fin à son expérience.

« Ce que les recruteurs en général peuvent faire - et ça, c'est caractéristique de tous les groupes radicalisés - [c'est] détecter l'ouverture de la personne, son influençabilité. Et plus une personne semble ouverte et influençable, évidemment, plus le processus de recrutement peut se passer rapidement », indique Ghayda Hassan.

« Cette pression est très importante. [...] Vous recevez un flot d'informations qui vont toutes dans le même sens. Ça ressemble effectivement à un lavage de cerveau. Ça ressemble à de la manipulation comme on en fait dans les sectes. » — Stéphane Berthomet

D'où l'importance d'intervenir rapidement auprès de nos jeunes, selon Dave Charland. « Ça va toujours rester un défi, mais plus on en parle, plus on prévient, plus on est capable de parler à une personne avant qu'il devienne trop radicalisé. »

Stéphane Berthomet croit « qu'il y a un réel danger sur les réseaux sociaux pour les jeunes, pour les adolescents, pour les individus qui se cherchent, qui cherchent une identité et qui cherchent une communauté parce que ces gens-là vont tomber très souvent justement vers les plus radicaux ».

Ghayda Hassan ajoute que « lorsque nos jeunes s'isolent dans leur chambre pour dialoguer avec un recruteur, on déjà rendu un peu trop loin un peu trop tard ».

Selon plusieurs spécialistes, les seules façons de se prémunir contre la radicalisation sur Internet, c'est par la prévention, la discussion, le débat et la vigilance.

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