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Productions J: Julie Snyder ignore quel avenir attend ses émissions (VIDÉO/PHOTOS)

Productions J: Julie Snyder ignore quel avenir attend ses émissions (VIDÉO/PHOTOS)

«Je suis contrainte d’abandonner les activités télévisuelles de Productions J. Je suis obligée de céder la production télévisuelle, de l’abandonner.»

Ces paroles, Julie Snyder les a répétées à plusieurs reprises, en point de presse, dans les bureaux de son entreprise, Productions J, lundi après-midi.

La raison de ce changement de cap : les modifications apportées par le ministre des Finances, Carlos Leitao, au programme de crédits d’impôts remboursables pour les producteurs indépendants, dans le budget détaillé le 26 mars dernier. Le gouvernement estimant que Julie Snyder et Productions J sont «liées» à leur principal client, TVA, qui appartient à Québecor, dont l’actionnaire de contrôle est Pierre Karl Péladeau, l’entreprise et sa fondatrice se retrouvent ainsi privées de sommes importantes qui menacent sa survie, soutient Julie Snyder. Pauline Marois avait octroyé ces crédits d’impôts à Productions J quelque temps avant les élections de 2014, mais les libéraux ont renversé la décision au printemps.

Conférence de presse de Julie Snyder - Fin de Productions J

Julie Snyder est convaincue que la mesure est discriminatoire à son endroit, parce qu’elle vit avec le chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau. Alléguant que plusieurs autres producteurs font principalement affaire avec une seule chaîne – elle a cité les noms d’Éric Salvail, de Fabienne Larouche et de Marie-France Bazzo en exemple -, la femme d’affaires a qualifié son propre cas d’absurde et injuste. Elle a précisé ne détenir aucune action dans TVA, pas plus que TVA n’en possède dans Productions J.

«Ce n’est pas une décision que j’ai prise par choix, a déploré Julie Snyder. C’est un geste que je suis contrainte de poser. Privée de l’aide à laquelle tous les autres producteurs ont droit, je me retrouve hors-jeu dans un contexte concurrentiel.»

«Tout cela découle de ma situation conjugale. Je suis pourtant une productrice indépendante et je suis reconnue comme telle. Quand Oprah Winfrey me demande de faire un documentaire sur Céline Dion, elle me considère comme une femme et une productrice à part entière. Quand Sony Music me confie de produire les DVD de Céline, distribués partout dans le monde et traduits en 11 langues, ils ne me considèrent pas comme la femme dépendante de quelqu’un.»

«On présume de ma dépendance à mon conjoint, de la dépendance de mon entreprise à son principal client. Le Québec accorde donc son soutien financier si, et seulement si, la personne avec qui je partage ma vie fait son affaire… »

«C’est super dur. C’est comme donner son bébé à quelqu’un d’autre…», a avoué Julie, en fondant en larmes, à la fin de la rencontre avec les médias, pour laquelle elle était entourée de l’avocate en droit de la famille, Sylvie Schirm, de l’ancien président de la SODEC, Pierre Lampron, du réalisateur et producteur, Roger Frappier et de la jeune militante féministe, Léa Clermont-Dion, qui ont pris la parole à tour de rôle pour affirmer le statut de productrice indépendante de Snyder et décrier les choix de Philippe Couillard et son cabinet.

Non, cette nouvelle orientation ne pave pas la voie à un saut de Julie en politique, comme certains l’ont cru, lundi. «Je ne me présenterai pas, ni pour le Bloc, ni pour le Parti libéral, ni pour le Parti québécois, ni pour le Parti conservateur. On m’a déjà offert d’être sénatrice et cette offre a été refusée!», a badiné Julie. Celle-ci reprendra d’ailleurs la barre du Banquier à l’automne, puisque le jeu est une production interne de TVA et non de Productions J.

Suite incertaine

Maintenant, concrètement, quelle sera la suite des choses pour Productions J? Qui reprendra les rênes des projets déjà en développement, comme les prochaines saisons de La voix, d’Accès illimité, de Vol 920, de même que celles des nouveautés Faites comme chez vous et Le missionnaire – Station services, adaptation au petit écran des capsules web de Jean-Pier Gravel?

Julie Snyder, qui demeure à la tête de sa compagnie, laquelle produit aussi disques et spectacles –ceux-ci étant par contre la plupart du temps dérivés de concepts télévisés - vendra-t-elle les droits de ces émissions, et donc toute la division télévision de Productions J? Qui se portera acquéreur? Qui aura les reins assez solides pour faire rouler des plateaux à grand déploiement comme ceux de La voix et Star Académie et assumer les coûts qui viennent avec?

La principale intéressée n’en sait rien. Elle a dit ne rien espérer de sa déclaration de lundi, se contentant de réitérer sans arrêt, en refoulant ses larmes avec difficulté, qu’elle est «contrainte d’abandonner la production télévisuelle.»

«Ma priorité est que les émissions actuellement produites par Productions J soient entre bonnes mains, et que les emplois des créateurs, collaborateurs et artisans soient protégés», a martelé la démone à la question, qui est revenue plusieurs fois, et de différentes façons, lundi.

«Qui assurera ces activités? Sous quelle forme? On est dans une période de transition et il reste beaucoup de choses à explorer. Mais je ne pourrai plus être la patronne et diriger cette production télévisuelle. On va le faire de façon ordonnée, mais je suis obligée de l’annoncer», a souligné Julie.

Pas la première fois

Pourquoi ne pas avoir attendu d’être en mesure de fournir toutes les informations quant à l’avenir de Productions J avant de convoquer les journalistes? Parce que l’annonce, à la fin mars, de la modification des règles de crédits d’impôts alloués aux producteurs a été un coup de masse pour Julie Snyder et son équipe, qui ont dû se retourner rapidement. L’exercice financier de Productions J se terminant le 30 juin, Julie Snyder devait à tout prix se retirer au plus tard la veille, question de pouvoir laisser aller librement ses produits ailleurs dans la prochaine année et de ne plus y être rattachée d’aucune façon. D’où la conférence de presse de dernière minute décrétée lundi matin, pour 14h l’après-midi même.

Dans le pire des scénarios catastrophes, le départ de Julie Snyder de la sphère télévisuelle à titre de productrice pourrait signer l’arrêt de mort de rendez-vous très populaires auprès des Québécois, comme La voix. Julie Snyder le reconnaît, mais refuse de s’attarder à cette possibilité. Son souhait le plus cher, pour l’instant, demeure de préserver les emplois des 42 employés permanents de Productions J et de tous les pigistes qui ont investi leur talent et leur savoir-faire dans les créations de l’entreprise. Déjà, quelques coupes ont dû être effectuées dans les derniers mois, et on espère vivement ne pas avoir à en faire d’autres.

«J’ai espoir qu’on ne doive pas se poser cette question», a solennellement déclaré Julie, après quelques secondes de silence.

Julie Snyder croit-elle être victime d’une «game politique» visant à leur nuire, autant à elle qu’à son conjoint, Pierre Karl Péladeau? «Je ne peux pas répondre à cette question-là», a laissé tomber Julie.

Productions J avait été privée une première fois de ses crédits d’impôts, de 2008 à 2014, à peu près pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui. Pourtant, le business se portait très bien pendant cette période, et n’était pas en danger. Mais le contexte n’était pas le même à l’époque, a insisté Julie, qui venait d’accoucher de sa fille Romy lorsqu’elle avait appris qu’on lui enlevait une première fois ses crédits d’impôts, le 22 octobre 2008.

«Au début, on se disait qu’on allait être capables de les convaincre, de trouver des moyens. On s’est activés sur tous les fronts pour trouver des solutions logiques. On y croyait, on se disait que ça ne se pouvait pas. On a examiné les aspects juridiques, financiers, législatifs, et on a bénéficié de l’appui et de la patience de nos partenaires dans ces démarches. Les autres divisions de Productions J, notamment celles du spectacle et du disque, ont contribué à éponger les pertes encourues par les productions télévisuelles. Mais les ventes de disques en 2015 ne sont plus ce qu’elles étaient en 2009 et en 2003. On arrivait à être en mode survie, parce que tout le monde croyait que c’allait se régler, qu’on allait pouvoir plaider notre cause.»

Grandes réalisations

Depuis sa mise sur pied, en 1997, Productions J a été à l’origine de plusieurs titres à succès de la télévision québécoise, qu’on pense bien sûr au Poing J, à Star Académie et à La voix, mais aussi aux nombreux spéciaux avec Céline Dion, aux capsules Le Québec, une histoire de famille, aux documentaires Lise Payette : un peu plus haut, un peu plus loin, La face cachée de la viande et 75e, elles se souviennent, aux émissions jeunesse Réal-It et Réal-TV et à des téléréalités comme Occupation double, La série Montréal-Québec et Vol 920.

La voix, mouture québécoise de The Voice, dont la formule a été adaptée 58 fois dans 180 pays, est la version la plus performante de la franchise sur le plan international, avec des parts de marché de 59% en termes d’écoute. Le manteau de cheminée de Productions J compte, au total, une vingtaine de trophées Gémeaux, Artis et Félix et, il y a quelques mois, Julie Snyder recevait le grade de Chevalier de l’ordre national de mérite de la République française.

Julie Snyder, née d’une mère technicienne médicale et d’un père courtier d’assurances, a interviewé plus de 2000 personnalités de tous les horizons depuis ses débuts, à 16 ans, dans une émission d’une télévision communautaire intitulée 13-16.

Par voie de communiqué, lundi, la direction de TVA s’est dite «confiante de pouvoir maintenir la programmation dévoilée récemment à l’industrie et à ses téléspectateurs, de même que de pouvoir respecter ses engagements envers ses annonceurs.»

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