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Addiction aux réseaux sociaux: Pourquoi Facebook et Instagram font-ils de nous des losers?

Pourquoi Facebook et Instagram font-ils de nous des losers?
poppydelevingne/Instagram

Sur Facebook et Instagram, on ne montre que les bons côtés de la vie, des morceaux choisis par nos soins. À quel point cette mise en scène peut-elle impacter négativement ceux qui en sont à la fois les spectateurs et les acteurs?

Plages paradisiaques, hamburgers alléchants et soirées déjantées, voilà que ce l’on voit passer en quasi-permanence sur nos timelines Facebook et Instagram. Et pour cause, sur les réseaux sociaux, armes fatales du personal branding, on ne dévoile que ce l’on veut bien et en particulier ce qui est susceptible de faire saliver nos voisins virtuels. Ces mises en scène incessantes, celles des autres mais aussi les nôtres, peuvent-elles nous impacter négativement et nous rendre, au final, malheureux?

“Depuis l’arrivée de Facebook et d’Instagram, j’ai compris que tout le monde ne montre de sa vie que ce qu’il veut bien”, écrit Nathanaël Rouas, dans son livre Le bomeur, paru en 2014, qui raconte le parcours du combattant d’un jeune chômeur bobo qui essaie de rester cool. “Sur Instagram, (…) tu n’as que des moments de vie joués. Il faut montrer au plus grand nombre que ta vie est plus cool que celle des autres. (…) En fait, t’as même plus le droit de ne rien faire tranquillement chez toi tellement les autres se chargent de te montrer qu’ils sont en train de vivre un moment génial… et pas toi.” Autrement dit, depuis quelques années, la tyrannie du cool nous laisse peu de répit.

Sur les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en tête, c’est à coup de photos de piscines à débordement, de paysages somptueux, de vacances idylliques et d’intérieurs parfaits que se joue la guerre psychologique virtuelle, la surenchère du bonheur affiché. Loin de nous l’idée de diaboliser ces nouveaux moyens de communication, fantastiques canaux de socialisation, sources de connaissances et excellents outils de partage. Cependant, au fur et à mesure de leur existence et de l’utilisation que l’on en fait, ils pourraient bien se retourner contre nous.

Une photo publiée par sinsu co (@sinsuco) le

Si ça se trouve, cette jeune femme s’emmerde profondément Instagram/sinsuco

Le sentiment de solitude du spectateur accentué

Le psychologue Sébastien Dupont, qui travaille notamment sur le sentiment de solitude des jeunes, estime qu’il peut y avoir “une impression de grossissement de l’effet de solitude face à la mise en scène de la sociabilité des autres”. La sensation d’être seul est “très subjective et très dépendante de ce que l’on voit autour de soi, continue-t-il, c’est comme le sentiment de pauvreté, on se sent davantage pauvre au milieu de gens riches et ça fonctionne de la même façon sur la richesse émotionnelle”. Résultat? “Face à des gens qui ont plein d’amis, plein d’activités, on dévalorise son propre capital social alors même qu’il était satisfaisant”, conclut Sébastien Dupont.

C’est exactement ce qui est arrivé à Serena, 33 ans, qui a déconnecté son compte Facebook il y a maintenant quatre ans -et elle le vit très bien, merci: “Je n’ai jamais vraiment compris à quoi servait Facebook, je n’ai jamais mis de statut, ni de vraie photo de profil, je n’ai jamais eu envie de me mettre en scène et, avec ce réseau, j’ai eu très vite l’impression d’une foire exhibitionniste vachement narcissique et extrêmement chronophage.” À l’époque, la trentenaire, qui a “toujours réussi à faire partie des cool mais sur un malentendu”, vient de se marier et elle est sur le point de devenir mère: “J’avais une vie sociale, des amis, un mec et pourtant ma timeline me déprimait, j’avais la sensation d’être une loseuse.” Et de continuer: “Ça me faisait me sentir super minable, je me demandais comment les gens faisaient pour passer leur temps à Courchevel ou à Marrakech, ou bien pour vivre des trucs chanmé sans arrêt.”

Malgré le recul que Serena peut prendre à ce moment-là, elle n’arrive plus “à gérer l’effet accumulation”: “Je trouvais ça oppressant, j’avais une impression de tourbillon, de vie à 100 à l’heure. C’est comme quand on regarde un film, on ne voit jamais le héros se brosser les dents, on le voit au top, à 19 heures, sur la plage, avec une lumière de crépuscule, en train de siroter un cocktail.” Et même si la jeune femme sait que tout ça est “factice”, elle ne peut s’empêcher de se demander pourquoi sa vie ne ressemble pas aussi à ça.

La vie rêvée des autres…

Parfois, Justine aussi, 34 ans, bade devant sa timeline Facebook: “En ce moment, je n’en peux plus, je bosse beaucoup, je n’ai plus de vie, je veux partir en vacances et j’ai le sentiment que tous mes amis sont en Thaïlande.” Un jour, un statut lui a porté un coup fatal: “J’ai vu un ami qui postait une photo de lui dans l’avion, il voyageait en business. Je me suis dit ‘merde, j’ai raté ma vie, c’est mon rêve et je ne le ferai jamais’.” De son côté, Marieke, 23 ans, a décidé de supprimer ses notifications pour éviter que les réseaux sociaux ne viennent à elle: “Je préfère que ce soit le contraire.” Ça n’empêche pas celle qui y passe environ deux heures par jour de tomber “sur les photos de vacances de potes en train de s’éclater alors que je suis en train de bosser” ou bien des clichés de bouffe alléchante pendant qu’elle se contente d’“un plat de pâtes”.

Capture d’écran du dessin illustrant le billet de Marine Normand sur Retard Magazine © Roca Balboa

Marine Normand, 28 ans, journaliste chez Retard Magazine, s’est inscrite sur Instagram il y a trois mois. Ce qu’elle y a vu lui a inspiré un billet bien senti, intitulé Hashtagueule. Elle écrit: “Instagram, c’est l’une des pires choses qui soit arrivée à notre société. C’est la culpabilisation à coups d’intérieurs nickels et de daronnes parfaites qui jouent du ukulélé, c’est les filles mégabonnes qui prennent des photos au Club Med Gym alors que t’as repris trois fois de la brioche au petit-déjeuner, c’est les gens qui font la fête avec Kathleen Hanna, Tavi Gevinson et Tina Fey alors que tu bois un Monaco toute seule en terrasse d’un PMU qui donne à la fois sur le boulevard et sur le métro aérien.”

En permanence susceptible d’être le spectateur du bonheur des autres -du moins celui qu’ils donnent à voir-, notre réalité peut nous sembler bien fade. Ce sentiment est accentué, selon Marine Normand, par notre position passive face à ce flot d’images: “Quand on est sur Instagram, on est dans une position de touriste, soit dans les transports, soit sur son lit, on a la mèche qui colle, on ne fait rien et on voit tous ces gens qui font plein de choses géniales, on ne peut que se sentir en décalage.” D’ailleurs, si la jeune femme considérait qu’elle avait “une vie cool” quand elle la racontait, ce n’est plus le cas depuis qu’elle est sur Instagram: “Quand je la photographiais, ce n’était pas la même chose. Facebook est un outil que j’arrive mieux à maîtriser car j’écris mieux que je ne prends des photos. Instagram demande un certain don de mise en scène, d’être au bon endroit au bon moment. Tout le monde se bat pour être plus cool que son voisin.”

Et quand elle est tombée sur “cette blogueuse maman qui vit à Nashville dans ce qui ressemble à un catalogue Bonton, qui joue du ukulélé et qui a un portrait de Bob Dylan dans son salon”, la vingtenaire, dont les poils de chien envahissent son appart, s’est posé cette question: “Pourquoi ça ne ressemble pas à ça chez moi, pourquoi je n’arrive pas à vivre dans un truc aussi joli?” Avant de s’interroger sur elle: “Je ne comprends pas pourquoi je suis jalouse de ces filles qui ont le temps de faire ça alors qu’en réalité, je n’ai pas envie de faire la même chose, c’est assez paradoxal.”

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