Radio-Canada a découvert qu'une femme proche du crime organisé est propriétaire de garderies subventionnées par l'État. Bien que ses frères, son ex et son actuel conjoint soient des trafiquants de drogue condamnés, les garderies liées à Rosalba Guerrera ont reçu près de 20 millions de dollars en fonds publics.
Un texte de Marie-Maude Denis
Les garderies privées subventionnées La petite étoile à Anjou et Au petit champignon à Saint-Sulpice, dans Lanaudière, appartiennent à Rosalba Guerrera. Cette femme de Laval a été pendant 15 ans la conjointe du Hells Angel Louis « Melou » Roy.
Louis « Melou » Roy était un criminel de grande envergure au Québec, selon le spécialiste du crime organisé André Cédilot. « C'est un des membres les plus influents des Hells Angels. Même que dans les années 1990, pendant la guerre des motards, il est considéré numéro deux chez les Nomads, derrière Mom Boucher », explique-t-il.
Rosalba Guerrera a ouvert sa première garderie en 1997. L'année suivante, elle achète trois permis de taxi à Québec et en confie la gestion à Roch Savard, un associé des Hells.
L'un des trois permis de taxi sera révoqué, puisque l'un de ses chauffeurs se sert du taxi pour le trafic de drogue.
En 2000, le conjoint de Rosalba Guerrera disparaît. André Cédilot explique que « Melou Roy disparaît au printemps 2000, en pleine guerre des motards. Selon les rumeurs du milieu policier, il a été victime d'une purge interne au sein des Hells Angels ».
Selon des documents policiers, Rosalba Guerrera ne signale pas sa disparition aux autorités. Lorsque des enquêteurs viennent l'interroger le 3 août 2000, elle déclare aux policiers : « Moi, ça fait 15 ans que je suis avec un Hells et que je vis dans ce milieu-là et je sais comment ça marche. Là, je vais refaire ma vie ».
Sa vie avec Alex Guerra
Veuve de Louis « Melou » Roy, Rosalba Guerrera refait sa vie avec Alex Guerra, qui sera arrêté en 2011 dans le cadre de l'opération Cynique de la GRC relativement à un complot visant à importer 250 kg de cocaïne. Il sera condamné à cinq ans de prison.
Pour le faire libérer sous caution, Rosalba Guerrera offre sa maison en garantie au tribunal, à hauteur de 100 000 $. Dans son témoignage, elle affirme qu'elle vient de vendre deux de ses quatre garderies, dont l'une pour 950 000 $.
Selon notre compilation, près de 20 millions de dollars ont été octroyés en subventions aux garderies dans lesquelles elle a ou avait des intérêts depuis 15 ans. Elle est toujours propriétaire de La petite étoile et Au petit champignon, qui comptent en tout 160 places subventionnées.
Un voyage aux îles Turquoises
Selon des documents judiciaires, Rosalba Guerrera s'est rendue en 2010 aux îles Turquoises en jet privé pour 24 heures en compagnie de Charles Huneault, qui a été décrit à la commission Charbonneau comme un associé des Hells Angels.
Huneault, 47 ans, connu comme le Grand Charles, a été arrêté le 22 octobre 2014 en compagnie de 16 autres personnes dans le cadre d'une opération de la Sûreté du Québec appelée Hantise. Le projet visait les centres d'encaissement de chèques soupçonnés de fraude fiscale.
Lors de notre premier entretien téléphonique vendredi, Rosalba Guerrera est restée vague sur les raisons de ce voyage.
« Pourquoi, vous êtes avec une personne associée aux Hells Angels pour 24 heures en jet privé aux îles Turquoises? », lui a-t-on demandé.
« Ben parce qu'on est allés là », a-t-elle répondu.
« Pour des vacances? »
« C'est des vacances... oui. »
« Des vacances de 24 heures? »
« Oui. »
« Pourquoi vous êtes revenus au bout de 24 heures? »
« Parce qu'on est revenus. J'aimerais bien ça que vous veniez me rencontrer. »
Les deux frères de Mme Guerrera, Liliano et Tonino, sont aussi des trafiquants de cocaïne condamnés, notamment dans le cadre de l'opération antimafia Colisée dans le cas de Tonino.
Un deuxième appel
Nous avons contacté Rosalba Guerrera afin de lui offrir l'occasion de répondre à nos questions. Lors d'une première conversation téléphonique, elle a fait valoir qu'elle n'était pas une criminelle - notons qu'elle n'a pas d'antécédent judiciaire. Elle a d'abord accepté de nous rencontrer et nous a donné rendez-vous dans un café de Laval.
Son avocat a ensuite communiqué avec nous pour nous dire qu'il avait conseillé à sa cliente de ne pas nous parler. Il a indiqué qu'il n'estimait pas notre reportage d'intérêt public. Comme un certain flou persistait sur le rendez-vous que nous avait donné Mme Guerrera, nous avons recommuniqué avec elle. Lors de cette deuxième conversation, elle nous a fait valoir que ses garderies étaient bien tenues.
« Mme Guerrera, est-ce que vous comprenez que les gens peuvent avoir des doutes sur votre probité du fait qu'à peu près toutes les personnes dans votre famille proche sont criminalisées? », lui a-t-on demandé.
« Non, je ne pense pas qu'ils peuvent avoir des doutes, parce que moi je fais le travail mieux que ben du monde, moi. Je me lève le matin et je vais travailler », a -t-elle répliqué.
« Est-ce que vous vous occupez vous-même des garderies? »
« Non, je n'y vais jamais, j'ai des directrices. »
Elle a admis que son conjoint Alex Guerra faisait de l'entretien et de menus travaux dans ses garderies, mais a précisé qu'il n'y allait jamais en même temps que les enfants.
