En dépit de la Société des alcools, malgré le lobby des détaillants, sans égard aux récupérateurs qui veulent tout envoyer à l'enfouissement, le ministre de l'Environnement, David Heurtel compte aller de l'avant avec une consigne pour les bouteilles de vin. Ses fonctionnaires ont eu le feu vert pour préparer un projet à soumettre d'ici quelques semaines au Conseil des ministres, a appris La Presse. On vise juin, août au plus tard.

Pressé par Coderre et Labeaume

Au cabinet du ministre Heurtel, cependant on reste coi, refusant même de spéculer sur l'échéancier de la démarche. Au ministère des Finances, on est bien plus circonspect ; Carlos Leitao est aussi responsable de la SAQ, fortement opposée à la récupération. Plusieurs maires, dont Denis Coderre pour Montréal et Régis Labeaume pour Québec, ont écrit au ministre Heurtel, le pressant de mettre en place un système de consigne pour les bouteilles de la SAQ. Pour Denis Coderre surtout, comme 80 % du verre des bacs est constitué de bouteilles de vin, « la responsabilisation de la SAQ devient incontournable ».

Des gobeuses pour bouteilles

Selon les informations obtenues, le ministère de l'Environnement planche sur une proposition à l'effet que le verre des produits de la SAQ - 200 millions de bouteilles de vin par année - serait récupéré par des « gobeuses », spécialisées pour le verre. De telles machines, produites par la  multinationale norvégienne Tomra, sont déjà en fonction dans l'État de New York et en Angleterre. Elles présentent un avantage : elles permettent de séparer le verre transparent, celui qui intéresse les recycleurs, des bouteilles teintées sans valeur. Les bouteilles y sont broyées. Un employé doit se charger de changer les bacs de verre pilé, passablement lourds.

Consigne de 20 à 25 cents

Les calculs ne sont pas complétés à l'Environnement, mais la consigne pour une bouteille de vin de 750 ml serait entre 20 et 25 cents. On en profiterait pour hausser les consignes des produits déjà récupérés. Les contenants à 5 cents passeraient à 10 et ceux à 10 monteraient à 15 cents. Les tarifs n'ont pas été revus depuis leur mise en place, au milieu des années 80. On ne sait pas toutefois quel impact aura la consigne à ces nouveaux niveaux. Le système de consigne actuel, sous la responsabilité de Recy-Québec, se finance à même les 30 % de bouteilles ou de canettes, payées par les consommateurs, mais jamais retournées en consigne.

La patate chaude

Au Ministère, on est toutefois tombé sur un os : comment faire entrer dans le circuit une multitude de contenants de plastique - essentiellement des bouteilles d'eau de 500 ml. Non consignées actuellement, elles vont directement au site d'enfouissement. La situation actuelle pose un problème logique : une bouteille de plastique pour une boisson gazeuse est consignée tandis qu'une bouteille d'eau de même format ne l'est pas. Les embouteilleurs vont regimber - l'industrie des boissons gazeuses est farouchement opposée à la consigne - seulement six des 50 États américains consignent les bouteilles.

Projets « bonbons »

Le gouvernement Couillard espère pouvoir faire une annonce avant l'été, dans le cadre d'une série de mesures « populaires », a-t-on appris par ailleurs. Le projet de loi pour proscrire le tabagisme des terrasses des bars et restaurants était le premier « bonbon » d'une série. La ministre responsable des aînés, Francine Charbonneau, doit déposer un projet de loi sur la maltraitance aux aînés la semaine prochaine. Suivra un projet pour proscrire la cruauté envers les animaux, prévoyant jusqu'à l'emprisonnement pour les contrevenants. Le projet de la consigne du verre, largement souhaitée par la population, fermerait la marche avant l'ajournement pour l'été.

Sur les stationnements ou à l'intérieur

Dans un premier temps, Québec lancera un projet-pilote. Quelques machines « gobeuses », propriété de Recy-Québec, seront réparties sur le territoire, essentiellement dans des stationnements proches des succursales de la SAQ ou d'un supermarché. On voudra tester la formule tant en ville qu'en milieu rural. Pour certaines SAQ, on pourra trouver suffisamment d'espace pour l'installer l'appareil à l'intérieur.

Réplique à la SAQ

À l'Environnement on a aussi aiguisé son crayon pour réfuter les arguments de la SAQ, qui a fait réaliser une étude qui estime à 250 millions de dollars sur cinq ans la mise en place d'un système de consigne. D'abord, les 115 millions nécessaires pour les installations ne sont pas récurrents - les frais d'exploitation récurrents sont ramenés à 27 millions même dans l'étude de la SAQ, qui tablait sur la mise en place de 500 postes de récupération, avec des employés au salaire minimum.

20 millions oubliés

En outre, l'étude de Lidd Intelligence Supply Chain pour la SAQ tient compte des 35 000 tonnes de CO2, du carburant utilisé pour transporter les bouteilles vides, mais oublie de comptabiliser les 20 millions par année puisés dans les profits de la SAQ pour la récupération de ses bouteilles - on finance par exemple la transformation du verre en poudre à ajouter au ciment. Finalement, bien des villes paient pour la valorisation du verre récupéré, une facture de 300 000 $ par année pour Montréal. À Québec, membre depuis le début de l'année du mouvement Pro-Consigne, on estime que l'absence de consigne pour le verre coûte 325 000 $ par année à la ville.